2011 a été déclarée année de l’outre-mer. Est-ce une bonne nouvelle? Un texte rebelle signé du Mir – mouvement international pour les réparations – circule sur le net en comparant cette opération de communication à l’exposition coloniale de 1930. » Cette fois on n’exposera pas des négres en cage », dit en substance le texte, « mais on étalera une concentration de noirs dans leurs oeuvres, artistes, sportifs … » Exaspérant en effet. D’accord ou pas, le parallèle mérite qu’on y réfléchisse. D’abord l’outremer, c’est quoi ?
Mis à part la couleur d’un bleu profond et cette désignation vague de terres situées au delà des mers – dans ce cas l’Andalousie et la Bretagne sont l’outremer des Guadeloupéens et des Guyanais – le mot outremer apparait dans un manuscrit de Sébastien Mannerot publié au XVe siècle (1).
Quelques recherches indiquent que ce Mannerot, prêtre et chroniqueur des croisades a décrit en 1490 les « passages fait outremer par les Français contre les Turcs et autres Sarrazins. » Outremer désigne plus loin « les Etats latins d’orient créés après les premières croisades. » Il y a cinq siècles l’outremer s’est défini donc comme « passages », « espaces de conquêtes ». Les mots et les mémoires ayant la vie dure, cette origine explique l’exaspération des ultramarins sensibles au sens et à une histoire qui se poursuit sans se remettre en question.
Ainsi avec Mannerot, conquêtes, croisades, outremer, notre quête de sens nous ramène à un passé qui justement passe de plus en plus mal. Les trois ministres qui ont lancé officiellement l’année de l’outremer le 12 janvier dernier auraient-ils eu la même facilité à lancer l’année des espaces de conquêtes ? La vérité est que durant des siècles outremer et colonies ont été synonymes. Et lorsqu’on efface les colonies des vieilles cartes de géographie, que reste-t-il ?
Vous allez dire que depuis les croisades et Mannerot cinq siècles sont passés et vous avez raison, mais l’objet du délit n’ayant pas été entièrement soldé, inévitablement un coup de com comme l’année de l’outre mer reçoit en écho le texte du Mir. Et ce n’est pas tout.
Les ministres ont affirmé en choeur que l’année 2011 permettra « de dévoiler les richesses de l’outremer, de rappeler que 80% de la biodiversité française réside hors de l’hexagone … » Merci pour l’information et les dépliants touristiques, dans ce cas, il faut dire aussi que le dispositif Natura 2000 de conservation de cette biodiversité, en vigueur dans la France hexagonale et en Europe n’est pas appliqué en Guadeloupe.
La nature, les plantes ok, mais quid de l’humanité de ces territoires, des écarts que nous y observons. Le taux d’illettrisme très élevé en Guadeloupe, le nombre de jeunes diplômés inférieur de moitié par rapport à la France métropolitaine, le nombre de cadres insuffisant dans la fonction publique, l’opacité toujours présente des prix à la consommation, les monopoles puissants et tenaces, les passedroits etc.
Alors l’année de l’outremer sera-t-elle la vitrine ratée d’un monde factice – musique, cocotiers, verni culturel – ou le révélateur de sociétés complexes, insatisfaites, en devenir.
Le texte s’allonge et la question n’a toujours pas de réponse: l’outremer, c’est quoi ?
Le mot agace car il réduit les territoires évoqués au regard porté depuis la « métropole » vers cet ailleurs, la Guadeloupe, Mayotte, la Réunion, la Martinique etc, ces outremers, en vrac, même séparés par des milliers de kilomètres, confondus, souvent mal situés sur la carte des océans. Un classique:
-« Ah vous venez de la Réunion, »
– « Non de la Guadeloupe. »
– » Ce sont des îles voisines ? »
– « Non! »
Confusion, alors que chacun de ces pays-territoires se vit avec une identité, une spécificité, une fierté fortes, disons le, parfois excessives, que l’insularité renforce.
Pour conclure, très provisoirement, disons donc que l’outremer n’existe pas, n’existe plus ou ne devrait plus exister, car il fait référence à un passé ambigu, non dépassé. Autre chose doit lui succéder, autre chose doit être inventé.
Cela étant d’autres réponses à la question « qu’est-ce que l’outremer? » existent sans doute et sont bienvenues.
Laissez-vous aller.
(1) Ce manuscrit rare « Chronique des croisades, les passages d’Outremer », figure dans les collections de la BNF, il a été réédité en 2009 par les éditions Taschen en deux volumes avec détails et enluminures.