Guillaume Guillon Lethière a peint Joséphine avant le Serment des Ancêtres

A quinze ans d’intervalles Guillaume Guillon a peint l’impératrice Joséphine qui n’a pas été neutre dans le rétablissement de l’esclavage par Napoléon et les héros Haïtiens vainqueurs des armées de l’empire. Est-ce le bigidi – déséquilibre maitrisé – du peintre né en Guadeloupe?

Le serment des Ancêtres » ou «Noir et Jaune (mulâtre) s’unissant sous l’oeil de Dieu » retrouvé endommagé dans les ruines du palais du gouvernement après le séisme qui a frappé Haïti en janvier 2010 est l’oeuvre du Guadeloupéen Guillaume Guillon Lethière (1760 – 1832 ). Guillon n’est pas le premier métis venu des Caraïbes à  s’être imposé dans le monde artistique européen du XVIIIe siècle, contemporain du Code noir et de l’esclavage. Un autre Guadeloupéen l’a précédé de quelques années : un brillant musicien et fine lame, le Chevalier Saint-Georges, enfant naturel comme Guillon d’une esclave noire et d’un maître blanc.

 Ces deux hommes issus de couleurs et de cultures différentes ont vécu l’obscurantisme et le racisme de leur siècle. Leurs itinéraires montrent que de tout temps – même les pires – la société civile, la force de la vie et des choses progressent plus vite que les institutions et les lois. La société pousse au changement face à  ce que Shakespeare appelait  » l’arrogance des gens en place « . Le cheminement de ces vies n’a pas été sans heurts: Saint-Georges, compositeur et militaire, mélange rare, fut gendarme du roi en 1761 puis garde national au début de la Révolution de 1789; colonel de la légion franche des Américains qui a combattu les Autrichiens, puis soupçonné de sympathies royalistes en 1793. Le cheminement de Guillaume Guillon Léthière, lorsqu’on lit l’histoire et les dates, n’a guère été plus simple.

Proche d’un frère de Napoléon, il glorifie les héros Haïtiens en 1822, quinze ans après avoir peint, sans doute sur commande, un portrait de Joséphine de Beauharnais, impératrice des Français dont le rôle n’a pas été neutre dans le rétablissement de l’esclavage par Napoléon.

De Joséphine à  Dessalines, ce cheminement interroge. Quels sentiments ont animé ce Guadeloupéen, enfant d’une esclave noire lorsqu’il a travaillé sur ces deux toiles à  quinze ans d’intervalles. Faut-il voir dans ces oeuvres les contradictions d’une vie de créole dans la vieille Europe.

Le bigidi (1) qui traversa la vie de ce Guadeloupéen, le signe des paradoxes qu’il a du vivre et dépasser. Les Guadeloupéens, plutôt que le tableau de Joséphine, préfèrent retenir de l’oeuvre de Guillaume Guillon « Le Serment des Ancêtres » peint en 1822 et le don qu’il en fit à  Haïti. Il fit acheminer le tableau par l’un de ses fils. Une question se pose encore: son coeur avait-il choisi entre les deux oeuvres : celle représentant, Joséphine, la créole martiniquaise issue d’une riche famille de planteurs, enrichis par l’esclavage et revendiquant cette origine ; ou bien celle figurant Dessalines, héros de la révolution haïtienne ? La signature du Serment peut être considérée comme une réponse, à  son nom il ajouté :« né en Guadeloupe ». C’est la seule oeuvre importante qu’il a signé ainsi, c’est la seule aussi dans laquelle il représente des noirs. A 62 ans. vieillissant, s’est-il souvenu de Saint-Anne et de sa mère esclave, a-t-il connu un sursaut, éprouvé une prise de conscience ?

Guillon fut un peintre classique, fortement inspiré par une école gréco-latine en fin de cycle, supplantée quelques années plus tard par le romantisme et les oeuvres de Delacroix. Nous devons à  ce Guadeloupée d’avoir fait entrer dans l’univers artistique européen les Haïtiens Dessalines et Pétion, vainqueurs de Napoléon. Les premiers vainqueurs noirs dans le panthéon de l’histoire de l’art européen, ce n’est pas rien. Les damnés de la terre lui seront gré de ce geste et de cette oeuvre, même si le dieu entre les deux Haïtiens reste blanc.


De Sainte-Anne à  la villa Medicis

Lethière, enfant naturel de Pierre Guillon est né le 10 Janvier 1760 à  Sainte-Anne. Pierre Guillon est blanc, propriétaire d’une Habitation dite «Habitation Guillon» située à  Sainte-Anne, au lieu-dit Ffrench, il est procureur du roi en Guadeloupe. Il cohabite avec une noire, esclave affranchie. Faisait-elle partie, comme c’en était la coutume, de ces noirs appelés nègres-talents, affranchis grâce à  leurs compétences c’est-à -dire à  leurs « talents » ou bien l’a-t-elle été comme cela arrive souvent dans ces années là  parce qu’elle a donné trois enfants au maître ? L’une des lois édictée par Louis XIV en 1685 dans le Code noir stipule qu’il est interdit à  un fonctionnaire du roi d’avoir des relations avec une noire. Pierre Guillon ne peut pas reconnaître son fils, il le reconnaîtra plus tard, à  Paris, après la révolution, le 18 germinal, an VII. Mais lorsque qu’à  14 ans Guillaume quitte la Guadeloupe pour la France, son père est obligé de lui inventer un nom.

Ce sera Le Tiers, parce qu’il est le troisième enfant né des relations qu’il a eues avec sa mère. Son père qui a d’abord tenté de le dissuader de poursuivre une carrière artistique, l’inscrit à  Rouen, à  l’Ecole de dessin de Jean-Baptiste Descamps, première école de dessin gratuite.

Il s’y révèle un élève attentif et passionné. Il a un tel désir de devenir peintre qu’il travaille avec acharnement. Dès 1776, il obtient le Prix Extraordinaire de dessin pour une académie d’homme nu et renouvelle son exploit en 1777.

C’est un genre o๠il excelle. Il part ensuite pour Paris poursuivre sa formation chez Le Doyen, peintre du roi. Là  il obtient le grand prix qui lui permet de voyager vers l’Italie pour approfondir encore sa culture artistique. A Rome il obtient un grand succès, ses études sont appréciées, une riche carrière s’ouvre devant lui. En 1792 il rentre en France, puis en 1811 il est nommé directeur de la Villa Médicis en Rome. Il enseigne, peint de très nombreuses oeuvres aujourd’hui disséminées dans le monde. Cinq tableaux sont au château de Versailles, d’autres au Louvre, à  Saint-Pétesbourg, aux états-Unis.

Une passion pour Lethière
Guillaume Guillon est peu connu au delà  d’une petite chapelle de spécialistes et de l’association des Amis de Guillaume Guillon Lethière. Quelques noms de rues en Guadeloupe et à  Paris, un rond point depuis janvier 2009 au carrefour de Ffrench, Sainte-Anne et la plage de Bois Jolan. Il n’est pas rare d’entendre en Guadeloupe que cet ostracisme vient des origines du peintre: un ultramarin qui n’a pas grandi dans le giron de la Vieille Europe. Quelle part de vérité, que mériterait-il de plus ? L’Association des Amis de Guillaume Guillon Lethière fondée par feue Geneviève Capy et Florent Laballe a collecté des fonds dans les années 1990, notamment auprès de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Guadeloupe et des collectivités, pour que le service de restauration des peintures des Musées de France à  Versailles réalise la première restauration du tableau. Perdu depuis la fin du XIXe siècle celui-ci a été retrouvé à  Haïti, en 1991 dans la cathédrale de Port-au-Prince.

Comment et pourquoi Florent Laballe et Genevièce Capy se sont-ils intéressés à  Guillon ?

Enfant, Florent Laballe a fréquenté l’école primaire de Douville à  Sainte-Anne et gardé en mémoire quelques lignes lues concernant Lethière, un enfant du pays. Beaucoup plus tard lorsqu’il est devenu responsable du service audio-visuel à  l’Ecole du Louvre à  Paris, son attention fut attirée par des tableaux de « son peintre » qui ne figurait pas dans le programme des artistes présentés à  l’Ecole du Louvre. Il proposa à  Geneviève Capy, étudiante de sortir l’artiste Guillaume Guillon Lethière de l’oubli. Geneviève hésite. Un jour, passant près du cimetière du Vieux Montmartre à  Paris o๠se trouve la sépulture de Lethière, Geneviève Capy se rend sur la tombe du peintre. Elle demande au Conservateur la permission de repeindre le nom presque effacé sur la pierre. Elle apprend que la Ville de Paris, propriétaire de ce cimetière, a décidé que toutes les tombes non entretenues, seront relevées, les cendres et ossements transférés, la semaine suivante à  l’ossuaire du Père Lachaise (autant dire la fosse commune) à  moins que ce ne soient des gens célèbres. Sur l’instance de Geneviève Capy (ceux qui l’ont connue savent combien elle était convaincante !), le Conservateur consulte le livre des célébrités du cimetière. Elle constate que trois pages sont consacrées à  Lethière. Sa décision est prise et Guillon devient également « son peintre » Geneviève décide de s’inscrire en troisième cycle à  la Sorbonne-Paris-IV pour y préparer d’abord un D.E.A. puis un Doctorat avec pour titre «Lethière, Peintre d’histoire». Geneviève Capy est morte en janvier dernier.

Mais, avec Florent, elle continue de veiller sur « son peintre ». Le service de restauration des peintures des Musées de France restaure pour la deuxième fois « Le serment des Ancêtres » victime du tremblement de terre du 12 Janvier 2010 en Haïti. Et nous en Guadeloupe, nous nous souvenons de l’exposition, réalisée en 1998 au Fort Delgrès à  Basse-Terre, pour le Cent Cinquantenaire de l’Abolition de l’Esclavage, le grand tableau allégorique figurant Dessalines et Pétion était revenu, pour quelques jours, dans l’île natale de son auteur.

(1) En créole et dans le domaine de la danse le bigidi est une déséquilibre maitrisé, une sorte de jeu corporel autour de l’équilibre et du déséquilibre. Plus couramment cela veut dire aussi zigzaguer.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour