La première fois que j’entends I’expression : »espèce de boloko ! » c’est au lycée Carnot dans la bouche d’un professeur d’éducation physique « métro »; monsieur Donvez Nous sommes en 1954. J’ai quinze ans. La première fois que j’entends I’expression : »espèce de boloko ! » c’est au lycée Carnot dans la bouche d’un professeur d’éducation physique « métro »; monsieur Donvez Nous sommes en 1954. J’ai quinze ans.
Il n’y avait pas beaucoup de professeur « métro » en ce temps-la mais qu’ils eussent pour noms Médina, Paséma, Borghetti, ou Donvez, nous les trouvions tous hautains et méprisants, quand nous n’avions pas I’ impression qu’ils étaient carrément racistes, à I’exception de monsieur Pochaut , professeur d’arts plastiques , mari d’une antillaise madame Pochaut professeur de musique, qui tous deux nous semblaient très proches de nous.
– Espece de Boloko ! lançait monsieur Donvez, à nos amis internes qui venaient de Saint-Anne ou de Saint-Francois, ou bien encore du Moule, ou de Marie-Galanteo tous nègres bien foncés, jamais aux amis internes qui venaient de Trois-Rivières, ou de Capesterre, le plus souvent mulâtres, en tout cas très clairs. Le terme » boloko » semblait reservé aux plus foncés qui venaient du côté des Grand Fonds. Moi je venais de partout, fils d’instituteurs, je n’étais ni nègre ni mulâtre, n’étant pas pensionnaire, je m’arrangeais pour n’avoir jamais à me faire traiter de » espèce de Boloko »
» Boloko » , ressemblait beaucoup à « Bouliki » , je pensais que ce mot avait été inventé par ce professeur par décalque et que c’était une façon polie pour lui de dire « espèce de macaque ».
Nous avions aussi des professeurs antillais, jeunes, fringants,tout frais émoulus des universités françaises et dont nous étions très fiers. Ils s’appelaient Pierre Justin, Leborgne, Matou, Mac-Laurin, Vangout ou Pentier. Nous avions pour eux une admiration sans borne, et espérions bien les rejoindre un jour dans ce panthéon de l’éducation. Et puis arriva ce qui devait arriver, nous apprenons que notre professeur préferé, avait enlevé la femme de ce professeur blanc qui nous traitait « d’espèce de Boloko » Un nègre, même professeur, qui enlève une blanche ! Quel panache ! Mais pas question alors de rester dans I’ile sans sefaire lyncher au moins symboliquement. Les amoureux s’enfuirent en France, puis en Afrique… Nous nous retrouvions sans professeur de lettre, tandis qu’un des professeurs « blancs » , ami du délaissé, ripostait en publiant un livre au titre vengeur: « Femme de nègre » , et les langues allaient bon train parmi les « sénateurs » de la Place de la Victoire.
Je n’ai plus entendu parler de « boloko », jusqu’à ce que, 20 ans plus tard, je me trouve dans un groupe qui se lance sur la piste de Rémy Nainsouta et decide de reprendre le »Dictionnaire créole »à zéro. Et voilà que I’un de nous revient de la pêche aux mots avec ce » boloko » bel et bien attesté dans le créole quotidien de la Grande- Terre, pour parler d’un paysan naif, rustre, fruste, et stupide, bref un campagnard que nous appelions « djanpo » en Basse-Terre. Et les « bolokos » avaient en effet à voir avec les gens de Bouliki qui étaient la risée de tout un chacun : « Ou sé moun Boukiki, ou rivé si pripri ? »
La langue créole était encore ce patois que par trois fois la société antillaise avait renié. Une première fois renié au 18è siècle par les colons blancs qui, s’étant mis au français de la Cour, rejetaient le créole, leur langue matemelle, com me étant « le parler des nègres ». Une deuxième fois le creole fut renié par les parvenus mulâtres et nègres affianchis qui, commençant à bien baragouiner le français, vomirent le creole pour en faire le langage des « nègres d’habitation ». Une foisième fois par ces « intellectuels » de ma génération qui avaient réussi à devenir professeurs de littérature, ou de philosophie, médecins, avocats, dentistes, architectes et qui s’évertuaient à parler le français sans accent, ignoraient même l’existence du créole et de ces gens sans éducation, ces « bolokos » qui parlaient encore ce sabir infime. A leur attitude condescendante je compris très vite que je n’étais pour eux qu’un < boloko > moi-même, puisque je m’intéressais à la langue des « bolokos « .
Moi, un « boloko » ? Ulcéré par ce rejet de ceux que j’eusse aimé avoir pour pairs, je me repliai sur moi-même, et m’enfonçai d’autant plus dans le monde de la terre, de l’agriculture, des restes de la culture de I’habitation : c’était pour moi une sorte de splendide isolement du coureur de fond. Un dictionnaire créole n’était plus assez pour tous ceux qui travaillaient à la reconnaissance du créole, il nous fallait chaque fois aller plus loin pour prouver que nous n’étions pas ignares, traduire La Fontaine en créole, traduire Le Clézio en créole, traduire Molière et Jean Cocteau en créole et pourquoi pas la Bible, le Nouvel et I’Ancien Testament ? Mais rien n’y faisait, nous étions définitivement classés « bolokos » , et dans la salle des professeurs, on ricanait sous cape en parlant de nous : ils enseignent le creole !!!
A propos, d’o๠nous venait ce mot « boloko » si proche de « bouliki » ? Je me lance dans la recherche étymologique des mots créoles et découvre le livre de Pierre Anglade » Inventaire étymologique des mots créoles des Caraibes, d’origine africaine « .
A l’entrée : Boloko on trouve : en créole ,paysan idiot. En kikongo, lingala boloko : prison, personne dont on a restreint la liberté. Je suis dubitatif je ne vois pas bien le rapport ente ce paysan idiot des créoles des caraibes et ce prisonnier du lingala. Tout récemment je renconte un congolais dont la langue matemelle est le lingala. Je lui explique ma démarche et ma quête de l’étymologie de boloko, et voilà ce qu’il me dit qui éclaire enfin ma lanterne.
Certes le terme boloko désigne la prison, mais il y a aussi « M’boloko ». M’boloko est le héros d’une série de contes populaires : « M’boloko et N’kosi »dans lequel M’boloko est la naîve Antilope et N’kosi le rusé Lion. Dans cette série de contes de la tradition congolaise, M’boloko se fait toujours avoir par N’kosi, tout comme Isengrin le Loup par Goupil dans le roman de Renart, ou notre Zanba par le Compère Lapin, Bouki par Malice ou tous les naïf par Anansi.
Ainsi, nous avions enfin I’explication de cette « espèce de boloko « , synonyme de péquenot. Et voila que j’apprends que M’Boloko est aujourd’hui le nom d’un célèbre écrivain du Congo M’Boloko …..La boucle est bouclée, voilà un »M’boloko » plus connu pour ces écrits que nos » grangrèk » . Depuis je suis assez fier d’être un M’boloko. Alors je m’intéresse non seulement à la langue céole, langue des bolokos, mais à lapensée même de ces bolokos, à la philosophie des petites gens telle qu’elle s’exprime dans les proverbes et locutions quotidiennes comme celle-ci : « Lavi-a pa on bol toloman » en créole de la Martinique, (la vie n’est pas un lit de roses disent les Anglais » la vie n’est pas un long fleuve tranquille » en français) En créole de la Guadeloupe : » Lavi kon fèy pôyô, pli ou chèché koud-li, pli ou ka chiréy ». D’o๠cette phrase qu’il nous arrive d’entendre de la bouche de bolokos : »An touvé lavi an hangnon, apa mwen kay koudli! ».