Après avoir retrouvé dans une précédente chronique l’origine africaine du mot Boloko, Hector Poullet nous entraine sur d’autres pistes avec les mots bawo, veyatif, vandouvan … Un voyage dans le temps et dans les mots.
Que signifie « Bawo » en créole de la Guadeloupe? Dènyé transpà²-la sà²ti pasé i té bawo!
Pyé mango-la bawo èvè mango! Quand on consulte le PTM(1) nous avons: Bawo (vwè AREKABA): plein à ras bord.
Quand madame Annegret Bollée auteur du DECOI (2) et préparant le DECA (1) m’a demandé quel pouvait bien être l’étymologie de bawo j’avoue que je me suis senti bien embarrassé. J’ai proposé une explication plus qu’une étymologie : la barre, ou ridelle supérieure des charretés de cannes à sucre. On charèt bawo était sans doute une charrette pleine jusqu’à la barre supérieure.
Cependant il y avait ce synonyme arékaba qui, d’après mes souvenirs, est plutôt utilisé à Marie-Galante. J’ai donc demandé à une amie professeure émérite d’espagnol s’il existait un verbe comme arecabar qui aurait pour signifié « plein à ras bord ». Elle se jette sur son dictionnaire spécialisé dans le vocabulaire spécifique des régions d’Amérique Latine et ne trouve pas arecabar mais trouve abarotar ! Abarotar (qui contient justement le mot « barot ») qui devient en français « baroter » : rempli jusqu’aux barots. Ces barots sont les plus petites poutres qui soutiennent le pont des navires. La cale pleine jusqu’aux barots, était donc on ne peut plus remplie. Le mot bawo créole a voyagé depuis les cales des navires, est resté chez nous, mais a disparu des dictionnaires du français courant. Ainsi la langue créole serait un conservatoire de la langue française!
» Véyatif » fait partie, sans aucun doute, de ce vocabulaire des adeptes d’un syndicalisme militant et sourcilleux. Le mot ne figure pas dans le PTM. Etait-ce une lacune ou bien le mot n’avait-il pas encore été forgé? Si « véyé » existe bien avec le sens de « surveiller », « véya » qui serait la personne qui surveille, n’existe pas non plus.
Quoiqu’il en soit « véyatif » est adopté par tout un chacun et tout le monde comprend quand on nous dit « ké fo nou rété véyatif ». Il s’agirait donc d’un néologisme créole construit par dérivation avec le suffixe « tif » qui permet de passer du nom à l’adjectif, sur le modèle du français tel que « productif », « inventif ».
Nous pensions donc dur comme fer que « véyatif » était la preuve de l’inventivité du créole et donc de sa vitalité.
Et voici qu’au détour de la page 290 du Glossaire des parlers d’Eure et Loir nous trouvons veillatif adj.Vigilant. Cet homme, ce chien sont veillatifs. Du fr. veiller. Anc.fr. veillantif « attentif à veiller ». C’était aussi le nom du cheval de Roland.
Là encore le créole montre sa capacité à conserver un vocable depuis bien longtemps disparu dans le français courant.
Traiter quelqu’un de vandouvan n’est pas lui reconnaître une qualité très enviable. Sans en connaître le sens précis on a l’impression que c’est un peu le considérer comme un traitre, un délateur.
Mais pourquoi « vandouvan »? S’agit-il de « vent » devant le « vent »? Ce petit vent léger qui précède les grands vents et qui serait bien un traitre de nous faire croire qu’il n’y a rien de grave. La métaphore nous semblait bien belle et nous applaudissions sur la capacité de notre créole à parler par image. Et puis patatras! Voilà que nous découvrons dans un vieux grimoire qu’on appelle « va devant » le valet qui va devant les autres pendant les semailles et qui rythme le travail selon les consignes du fermier. Autrement dit le maitre valet, celui qui a la confiance du maitre et donc n’est pas vraiment du coté des autres valets.
Bawo, veyatif, vandouvan sont des mots créoles d’aujourd’hui, mais les racines de ces mots plongent bien loin dans la langue française, comme boloko avait de profondes racines africaines. Une autre fois nous irons regarder du côté des Amérindiens ou bien même des Tamouls.
(1) Poullet, Telchid, Montbrand, Dictionnaire Créole/Français Hatier Antilles 1984
(2) Dictionnaire étymologique des créoles de l’océan Indien
(3) Dictionnaire étymologique des créoles d’Amérique