Ce film a été réalisé par John Paul Lepers, directeur de l’information du site LaTelelibre.fr créé par des journalistes indépendants. « La Guadeloupe est-elle une colonie française ? » a été diffusé en juin dernier sur France 4. Si vous l’avez raté il est accessible sur le site de LaTélé libre ou en Guadeloupe sur le site de l’UGTG. A sa manière impertinente et détachée l’ancien journaliste de Canal pose quelques bonnes questions et tentent de briser les silences qui anesthésient encore l’île. Alors la Guadeloupe, colonie ou pas colonie ? Vous pouvez lire notre article, mais allez voir le film. John Paul Lepers, journaliste impertinent, curieux et légèrement provocateur a circulé pendant quelques jours en Guadeloupe, un an après la crise sociale de 2009, à bord d’un véhicule frappé de cette question, imprimée en gros caractères: La Guadeloupe est-elle une colonie française ?
Le résultat est un documentaire de 58 minutes diffusé au mois de juin dernier sur France 4, toujours visible sur plusieurs sites internet, dont celui de l’UGTG, ici en Guadeloupe.
Le film n’est pas parfait, il comporte quelques lacunes mais il est utile car à sa manière l’ancien journaliste de Canal soulève des tabous et tentent de briser quelques uns des assourdissants silences qui anesthésient encore l’île. Le principal oubli du film est celui des Indiens de Guadeloupe, ni descendants d’Africains, ni de colons blancs et dont le rôle est pourtant important dans l’île.
Pendant 58 minutes de façon impertinente et détachée, John Paul Lepers pose des questions qui sont rarement abordées de manière directe en Guadeloupe o๠les groupes sociaux autant que les familles sont frappés par les non dits et les silences.
A la distellerie Damoiseau, devant la caméra, le journaliste interroge sur l’esclavage le patron de la marque de rhum, un blanc-pays; un ouvrier noir passe par là : » Et vous quel est votre avis sur ce sujet ? »
Réponse de l’ouvrier après quelques secondes d’hésitation: » On ne pourra jamais oublier. »
Question: « Avez-vous un jour parlé de la période de l’esclavage avec votre patron ?
Réponse: : « Jamais ».
Une touriste sur la plage du Gosier ne sait pas quoi répondre à la question: la Guadeloupe, colonie ou pas colonie ? Finalement elle penche pour un « mais oui c’est une colonie. »
Le préfet évidemment est embarassé, la Guadeloupe est un département français qui bénéficie des mêmes règles qu’un autre département. En théorie en tout cas. Elie Domota l’est moins, pour lui, » tous les facteurs sont réunis pour faire une colonie, six ou sept familles sans se concurrencer se partagent l’essentiel de l’économie en Guadeloupe … »
Le conservateur du musée Schoelcher est gêné: » C’est une prise de position délicate, c’est un département pas une colonie mais l’ancien système a laissé des traces … »
Autre moment fort quand John-Paul Lepers demande à Elie Domota qui sont les « yo » et les « nou » dans « la gwadloup sé à nou pa a yo ». Réponse du leader syndical: » Yo, c’est tous les méchants, ceux qui nous exploitent quelle que soit leur couleur. »
Le documentaire se déroule ainsi mettant a nu quelques uns des silences de l’île. Notamment celui qui a longtemps régné sur les cimetières d’esclaves, l’un des passages les plus émouvant du documentaire.
Extrait du témoignage de Jean-Luc Romana, fondateur de l’association « Lanmou ba yo » – traduit du créole cela signifie « l’amour pour eux » : « Ces cimetières auraient d û être des lieux d’affiliation et de recueillement, puisque nous ne sommes tout de même pas nés en 1848, nos ancêtres sont là . Et bien ce ne fut pas le cas, ce passé a été occulté par tous et par nous-mêmes comme une honte. Ce n’est que depuis quelques années qu’on peut entendre: je suis un descendant d’esclave et j’en suis fier… »
Lorsque des ossements ont été trouvés en 1998 sur le chantier de rénovation de la piscine du Club Méditerranée à Saint-Anne, l’archéologue chargé des fouilles n’a eu qu’une journée pour faire son travail, la réglementation en vigueur n’a pas été respectée. On apprend également de la bouche d’un archéologue que le remblai de la piste de l’aéroport a été fait en partie avec du sable pris à la plage de Ste Margueritte au Moule, site d’un ancien cimetière d’esclaves contenant plusieurs milliers de sépultures. Trois cents ont été recueillies dans une démarche scientifique et archéologique. Mais cette démarche est récente, les fouilles concernant la période amérindienne sont plus développées que celle de la période esclavagiste, comme s’il avait eu un grand vide. Ce passage du documentaire résume les non-dits d’une société postcoloniale et post esclavagiste qui n’a pas atteint la résilience nécessaire pour dépasser l’histoire. On a occulté plutôt que parlé.
Cette enquête pose de bonnes questions et dépasse les clichés généralement appliqués à la Guadeloupe : île paradisiaque posée sur une mer turquoise ou bien territoire peu accueillant sujet à grèves et mouvements sociaux. La réalité est ailleurs. Ce petit pays porte en lui de la souffrance et de l’humanité. Les grèves à répétition, le rire, le ti punch, la mémoire tronquée, le zouk, le gwoka, l’histoire morcelée, les plages aux eaux turquoises, la palette des couleurs de peau allant du noir au blanc ne le résument pas. Il est seulement un peu tout ça.
– Pour accéder au film les sites: http://LaTeleLibre.fr ou http://ugtg.org