A la fin du mois d’octobre, le Cahier d’un retour au pays natal, texte magnifique d’Aimé Césaire et Jacques Martial, le comédien qui en a traduit l’émotion et la force, sont revenus en Guadeloupe. Plusieurs représentations ont été données, dont une à Port-Louis, dans la chambre à bagasse de l’ancienne usine sucrière de Beauport. Ce fut une belle soirée de théâtre. Olivia, enseignante était présente et nous livre ci dessous les impressions et les émotions qu’elle a ressenti.
A son texte nous associons le regard de Clairnita Lafleur qui se souvient de la naissance de l’oeuvre en 2002. A lire également. Vendredi 22 octobre 2010, 19h30, je me dirige avec mon garçon de 9 ans vers Beauport, le pays de la Canne o๠a lieu, ce soir, une représentation de » Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimée Césaire par Jacques Martial.
Je suis enthousiaste, voilà deux mois seulement que j’ai abordé la Guadeloupe et je vais être confrontée à ce long poà«me en prose qui m’a invité à regarder les Antilles, que j’ai travaillé avec les élèves et qui a toujours suscité chez moi un grand intérêt, sans cesse renouvelé par la force des idées et des images crues et implacables.
Ma petite auto rangée sous un flamboyant, je pénètre dans le parc soigné o๠diverses haltes sont proposées aux visiteurs afin de comprendre la culture sucrière.
Je n’arrive pas à me défaire du fantôme du commandeur, ne parviens pas non plus à comprendre la déshumanisation légalisée et c’est pour cela que retrouver Césaire sous peu, me fait hâter le pas.
La scène est installée dans la chambre à bagasse (1) réhabilité avec soin : cuves en ferraille, barres obliques, rails rappellent le passé industriel du lieu, fraîchement repeint .
Le temps que je passe à m’en imprégner, en suivant les lignes métalliques, il se remplit.
La scène dépouillée, jonchée de quelques plastiques, de hardes balancées au sol habitent peu à peu mon imaginaire.
Au fond de celle-ci, trône une locomotive.
Il y a entre le lieu de la représentation et la teneur du texte une complicité, une corrélation évidente. L’ambiance est douce, concentrée.
Pour la grande majorité le public est composé d’ adultes, il y a très peu de jeunes, des murmures, des sourires, de rares éclats de rire. Aucun signe d’impatience malgré le retard, sauf à l’égard des moustiques.
8h30, les projecteurs s’éteignent. Le silence est complet.
Des enceintes jaillissent les sons de l’entrée en gare d’un train, des portes qui se referment.
Un homme arrive, chargé de sacs remplis d’on ne sait quoi, de ce qui reste de sa vie matérielle. Il les traîne, s’en sert de lit, s’y allonge.
C’est un nègre en errance, vivant dans le monde.
Son sommeil est agité, ses songes le tracassent alors il s’éveille, se lève, se libère et nous livre alors, après 10 minutes de silence, tout ce que sa mémoire d’homme a gardé : Le cahier d’un retour au pays natal. 80 minutes d’émotion.
Un Césaire travaillé, entendu, ouvert au public comme rarement cela a d û être conduit. Par un découpage savant, par des tonalités justement trouvées, Jacques Martial a déclaré cette poésie dans un engagement sans faille. Il a donné corps au lyrisme, à l’accusation, à l’ironie aux métaphores audacieuses, sans fausse note.
Par une gestuelle appropriée, des déplacements choisis, il en a éclairé le sens profond.
Les inflexions de sa voix nous ont conduits dans les entrailles de la négritude, son buste ruissellant, d’o๠coulaient les mots, n’a formé qu’un corps avec le texte de Césaire. Il a rendu son universalité à l’homme. Je ne sais si je parle de Martial, de Césaire, ce fut une véritable osmose.
Au final, un texte majeur de la littérature francophone dit par un excellent comédien.
Je suis restée sans voix, pénétrée par la sienne. J’ai tout vu : la rue Paille, les champs de canne, les origines de l’humanité. J’en ai encore les yeux quelque peu embués, et puis le mouvement s’est apaisé.
Le spectacle arrivant à son terme, l’homme de chair s’est retiré, laissant le texte se poursuivre au travers des baffles. C’était fini.
On se sent toujours un peu orphelin quand l’artiste s’en va et c’est pour le retrouver que le public reconnaissant s’est levé et a applaudi. J’ai mis dans ces battements le plus possible de remerciements.
C’est avec grâce et d’une voix douce et pleine de gratitude que Jacques Martial nous a salué.
Un grand merci au poéte et au comédien pour ce beau moment de theâtre qu’ils nous ont fait vivre à Beauport, dans cette friche industrielle habitée ce soir là par la magie du texte.
Le public s’est acheminé silencieusement vers la sortie le long du sentier, tout empli de ce grand moment.
(1) La chambre à bagasse est le hangar dans l’usine sucrière o๠arrivait la canne après avoir été coupée.