Les écarts entre la France hexagonale et hors hexagone ne reposent pas seulement sur le prix des tomates et du dentifrice. Un rapport très récent sur la lecture publique réalisé à la demande du ministère de la Culture dit tout simplement que les habitants de l’outre-mer à quelques exceptions près » n’ont pas les bibliothéques qu’ils méritent. » Tant en matière de locaux que de contenu. » Tous les bâtiments construits sur le modèle métropolitain avec des matériaux de construction classique ( béton, métal) sont très rapidement dégradés. La très belle médiathéque de Rivière-Salée en Martinique, dont la construction a été achevée en 2008 présente déjà des lézardes et des malfaçon, doit faire face à des inflitrations d’humidité ( …) Face à ces dysfonctionnements qui nuisent à l’efficacité des investissements et à la qualité des services offerts à la population trois recommandations peuvent être faites:
– privilégier les matériaux adaptés à l’environnement climatique tropical: bois locaux traités et résistants;
– prévoir dans le financement des budgets de maintenance et d’entretien;
– réaliser un » guide des bonnes pratiques » en liaison avec le ministère, des architectes locaux et des représentant locaux des entreprises du BTP.
Les propos ci-dessus qui préconisent de penser local lorsqu’on construit des bâtiments destinés à la lecture publique, ne proviennent pas d’un groupuscule d’écologistes rêveurs mais du rapport de synthése du ministère de la Culture à l’issue d’une mission chargée d’établir un état des lieux de la lecture publique hors France hexagonale.
Ce rapport, très pragmatique, évoque la facture énergétique de lieux mal conçus et insiste sur les problèmes de climatisation et de ventilation: » Il semble nécessaire de substituer à chaque fois que cela est réalisable des dispositifs de ventilation naturelle aux appareillage classiques de climatisation peu économes en énergie. Il s’agit d’accorder la priorité aux matériaux locaux et de respecter les préconisations de développement durable en milieu tropical ».
On notera que la climatisation est assimilée à appareillage classique. Le changement, la révolution technique si elle doit avoir lieu consiste donc, en 2010, à revenir à des dispositifs de ventilations naturelles, plein de bons sens et moins onéreux à l’usage. Qui l’aurait cru il y a vingt ans en arrière ?
On pense à la médiathéque du Moule, en Guadeloupe fermée depuis plusieurs mois à cause d’une climatisation en panne. Le bâtiment en baie vitrée orientée à l’est, sans ouverture, sans ventilation possible est invivable sans clim et les réparations sont chères, longues, tout comme la maintenance.
Au mois de juin 2010 cette mission du ministère de la Culture est donc passée à la Guadeloupe, mais aussi à la Martinique, en Guyane, à la Réunion pour établir un état des lieux de la lecture publique. Hormis la question des locaux, le bilan n’est pas flatteur.
L’une des conclusions du rapport est que » les habitants des départements de l’outre mer, à quelques exceptions près, n’ont pas les bibliothéques qu’ils méritent et qu’on ne peut se satisfaire de cette situation d’inégalité par rapport à l’hexagone ».
L’inégalité de traitement dans les départements d’outre-mer n’est donc pas seulement celui des prix des produits alimentaires. Inégalité aussi pour l’accés aux livres. Et comment ne pas mettre en parallèle ou en perspective les chiffres élevés de l’illettrisme en Guadeloupe et la faiblesse du réseau de lecture publique ?
Alors que font les politiques ?
» D’une manière générale les bibliothéques ne constituent pas ou plus une priorité pour les Conseils généraux », indiquent le rapport, « décrivant une hétérogèneité plus grande dans les communes o๠certains maires sont plus investis que d’autres. » Ce constat n’est pas faux en Guadeloupe o๠l’on remarque que de grandes communes comme Morne-à -l’eau ne font pratiquement rien en matière de lecture publique alors que d’autres communes parfois plus petites et pas plus riches sont plus dynamiques comme Pointe-Noire, Port-Louis ou même Anse-Bertrand.
Alors que faudrait-il faire pour redresser la barre ?
Tout d’abord améliorer la formation des personnels. 80 à 90% des personnels qui travaillent dans ce secteur n’ont pas de formation spécifique. Comment informer, conseiller un ouvrage, un axe de lecture lorsqu’on n’est pas soi- même lecteur ?
Vient ensuite la qualité et l’état des collections: » Des collections obsolétes, des crédits de renouvellement faibles ou inexistant l’absence quasi généralisée de CD et de DVD n’incitent pas la population, surtout les jeunes, à la fréquentation. D’o๠des taux de fréquentation faible de l’ordre de 3 à 5% de la population totale » indique le rapport du ministère.
Il faut noter encore que lorsque l’équipement est de qualité la fréquentation du public est au rendez-vous. Port-Louis, en Guadeloupe, petite commune du Nord-Grande-Terre en est l’exemple. Dans cette médiathéque entièrement rénovée qui a rouvert ses portes en mars dernier, le nombre d’abonnés dans la commune dépasse les 1200 pour 5800 habitants et des lecteurs des communes voisines s’y inscrivent. Lorsqu’un projet solide est monté, appuyé sur une volonté politique et avec des moyens raisonnables, la population sait apprécier le service rendu. Il est donc trop facile et injuste de laisser croire que la population n’a pas besoin ou n’est pas intéressée par ce type d’équipement.
Deux questions restent posées:
– Existe-t-il une volonté réelle pour développer la lecture publique et lutter efficacement contre l’illettrisme ?
– Que va devenir ce rapport du ministère de la culture: enfermé dans un tiroir ou relayé sur le terrain, par les collectivités, les préfectures, les élus, les professionnels du livre et le ministère lui-même ?