La presse américaine a parlé du » bourbier moral » de Guantanamo duquel Obama n’arrive pas à s’extraire; dans une tribune au journal le Monde, Sylvie Laurent, universitaire spécialiste des Etats-Unis a employé les mots de » camp scélérat » pour désigner la prison américaine sur le sol cubain. Cette enclave US au pays de Fidel Castro est un vestige des guerres coloniales dans la région. Les Anglais ont rendu Hong-Kong à la Chine, les Portuguais ont rendu Macao, les Américains gardent Guantanamo. Ce petit bout de terre au sud-ouest de Cuba est connu mondialement depuis janvier 2002. A cette date le gouvernement américain commence à rassembler là des centaines de prisonniers venus essentiellement d’Afghanistan et du Pakistan. C’est l’après 11 septembre, les Etats-Unis font la chasse aux terroristes et c’est sur le territoire de Cuba, l’ennemi de 50 ans, que l’armée américaine rassemble de présumés terroristes arrêtés un peu partout sur la planète, en toute illégalité.
Mais l’histoire américaine de Guantanamo est beaucoup plus ancienne et fut, à certaines époques, plus discrète. Elle commence en 1903, bien avant l’arrivée de Fidel Castro et Georges W Bush sur la scène politique, ceux-ci n’étant que les héritiers du passé colonial de la région.
Un an plus tôt, en 1902, l’île de Cuba, colonie espagnole, a accédè à l’indépendance à l’issue d’ une guerre de deux ans contre la puissance coloniale et l’intervention des Etats-Unis en faveur de l’émancipation du pays. En ce début de 20em siècle, l’Espagne disparaît ainsi de la région en tant que puissance coloniale et les Etats-Unis prennent le relai. A cette même époque, dans le cadre du Traité de Paris signé entre l’Espagne et les Etats-Unis, l’île de Porto Rico passe sous domination américaine. Elle le reste à ce jour. En 1903 également la république du Panama, née de la scission d’une province de Colombie, est créée. Les Etats-Unis sont les instigateurs de cette création et quelques semaines après la naissance de ce nouvel Etat, le Panama concède à son grand voisin du Nord l’usage et le contrôle d’une zone pour la construction du canal que l’on connait. Avec le canal qui va s’ouvrir entre l’Atlantique et le Pacifique ces territoires prennent une dimension stratégique qui explique les attentions nord-américaines.
Cuba o๠les intérêts américains sont importants après le départ des Espagnols est indépendant en 1902. Un an plus tard, en 1903 , le président américain Roosevelt signe avec le premier président cubain Estrada Palma un accord de cession de terrains à Bahia Honda et Guantanamo pour servir de dépôt de charbon et de base navale. Le grand voisin garde un pied sur l’île. Le bail signé ne peut être rompu qu’avec l’accord des deux signataires, c’est l’une des conditions pour que les Américains quittent le pays, avec lequel, jusqu’à l’arrivée de Castro, ils garderont des liens étroits. Les Américains ont imposé dans la constitution cubaine de 1902 » l’amendement Platt » leur prévoyant une base d’intervention légale à Cuba en cas de besoin. Telle est l’origine de l’enclave » yankee » : un bail au terme d’une guerre coloniale et d’un processus d’indépendance sous contrôle.
Depuis 1959, année de la révolution castriste, Cuba demande le droit de disposer du port de Guantanamo et dénonce l’illégalité de l’occupation américaine. Sans effet. » Les Anglais ont rendu Hong-Kong à la Chine, les Portuguais ont rendu Macao, les Américains ont toujours Guantanamo » faisait remarquer en 2004 un représentant du comité Guantanamo, lors d’une conférence d’Amnesty International à Genève.
Pour avoir fait d’un port et d’un dépôt de charbon un centre de détention off shore, on pourrait imaginer la rupture d’un bail de 108 ans consommée et caduque, mais ce n’est pas aussi simple. Obama qui a voulu s’y attaquer, vient semble-t-il d’échouer car cette enclave cubaine est pour les Américains à la fois une base stratégique et une prison pratique.
Avant de devenir prison hors cadre pour présumés terroristes, Guantanamo a été tout au long du XXem siècle un gigantesque Sangatte, centre d’hébergement et de rétention pour des milliers de ressortissants et réfugiés des pays de la région cherchant à entrer aux Etats-Unis. Au fil des crises, Guantanamo a accueilli des dizaines de milliers de réfugiés haïtiens, jusqu’à 40 000, peu souhaités sur le sol américain: à l’arrivée de Duvalier à la fin des années 1950, au départ d’Aristide au début des années 1990. Des milliers de Cubains, candidats à l’émigration vers la Floride ont également été retenus dans l’enclave américaine.
L’existence de Guantanamo pose deux questions : d’une part la légitimité de l’Etat américain sur ce morceau de terre étrangère ; d’autre part l’utilisation qu’il en fait. Ces deux questions dérangeaient le président Obama au point qu’il en a fait un élément fort de sa campagne présidentielle: trois ans plus tard il s’y casse les dents. » Le 8 mars dernier « , écrit Sylvie Laurent dans sa tribune pour le journal Le Monde, » Barack Obama a autorisé la reprise des procès militaires dans le site cubain de Guantanamo, après les avoir suspendus pendant deux ans. Cette décision, à rebours des engagements pris, met à mal une détermination déjà passablement affaiblie de fermer le camp scélérat « .
Ainsi la légitimité de la présence américaine à Cuba en 2011, plus d’un siècle après la signature d’un bail et d’une guerre au terme de laquelle Cuba n’était pas en position de discuter, reste à démontrer ; quant à l’utilisation de la base comme centre de rétention et détention hors territoire américain, déjà dans les années 1990 un tribunal new-yorkais avait conclu que Guantanamo étant sous tutelle américaine, la loi s’y appliquait et les détenus/réfugiés ne pouvaient y être retenus arbitrairement. Le centre avait été fermé en 1995 et 4000 prisonniers, des réfugiés jugés dangereux, déplacés. Il a rouvert plus tard au prétexte de la menace terroriste.
Les Etats-Unis enfreignent avec Guantanamo plusieurs points du Pacte international relatifs au droits civils et politiques qu’ils ont signé, avec des réserves certes, en 1992. La décision de Barack Obama a remis cette question sur le devant de la scène et elle n’est pas complétement passé inaperçue malgré le nombre et le poids des crises, des tensions qui agitent le monde en 2011. Question: peut-on demander aux autres de respecter le droit, sans le respecter soi-même ? Cette contradiction n’est-elle pas une machine à fabriquer du terrorisme.