Fichues Racines: des mères courages aux mères honnies

D’une nouvelle de Gisèle Pineau,  » Fichues racines », Marie-Claude Pernelle a fait un film. Un court métrage de 30 minutes qui scelle la naissance d’une cinéaste antillaise. La réalisatrice a réussi son film en s’appuyant sur une réécriture de la nouvelle, une qualité d’images, un montage et un jeu d’acteurs maitrisés. Le cinéma antillais qui se cherche, n’échappe pas toujours à  l’approximation et à  un certain amateurisme consécutif, en partie, à  la difficulté de produire. C’est en faisant des films qu’on progresse et la production cinématographique reste un parcours difficile en Guadeloupe.

A l’écouter présenter son film, on comprend que Marie-Claude Pernelle connait et aime trop le cinéma pour s’être laisser aller à  l’approximation et baisser le niveau d’exigence dans le seul but de  » faire un film ». Il fallait que ce film ait un sens et soit réussi. Elle est sur le bon chemin.

« Fichues Racines » raconte l’histoire d’une jeune femme guadeloupéenne, Vivianne, qui vit seule dans un petit appartement de la banlieue parisienne. Sa mère souffre d’une maladie cardiaque et vit en Guadeloupe. Viviane la fait venir auprès d’elle pour un meilleur suivi médical. Entre réel et imaginaire, exil et recherche d’identité, le film décrit la relation difficile des deux femmes dans cet appartement triste, d’un quartier triste auxquels manquent la luxuriance des paysages et des jardins guadeloupéens. La mère veut rentrer, critique les courts-bouillons sans go ût que lui prépare sa fille alors que celle-ci veut pourtant lui faire plaisir, la mère perd la tête; la fille entre vérité et folie ne se remet pas des blessures de l’enfance, accuse son passé, son éducation, les reproches s’accumulent.

On retrouve l »univers de Gisèle Pineau qui joue dans ses romans avec le réel et l’irréel. La frontière entre les deux est symbolisée par la porte d’une chambre qui sépare la vraie vie, d’un monde halluciné dans lequel finalement Viviane s’enferme et enferme sa mère. La luxuriance, le vert des forêts montent dans ce quartier triste, en même temps que s’éloigne la réalité, sans doute devenue insupportable.

Fichues Racines, n’est pas un film facile, il parle de la vie et de la mort, des relations mères/filles, de la vieillesse, de l’enfermement et de la solitude, de l’exil. Ce sont des thèmes universels auxquels s’ajoute si l’on peut dire, la  » touche guadeloupéenne » : ces femmes blessées, cette fille déracinée qui a grandi dans une île qu’elle rejette, auraient-elles pu mener des vies sans encombre ? Il n’y a pas d’hommes dans le film, ceux qui apparaissaient dans la nouvelle ont été écartés à  la réécriture. Leur présence en creux n’en a pas moins de signification.

De la case à  l’HLM
Sur ce site le principe est de placer les sujets en perspectives, « Fichues Racines » est une pièce nouvelle dans la jeune histoire du cinéma de fiction antillais, alors posons une question: Que s’est-il passé entre « Rue Cases-Négres », le film d’Euzhan Palcy tiré d’un roman de Joseph Zobel qui met en scène des mères et grands-mères courage qui se battent et se privent pour que leur enfant réussisse à  l’école, parte étudier en France, s’intègre, devienne médecin, professeur ou avocat ; et « Fichues Racines » un film beau, mais dénué d’espoir, aux confins de la folie.

M’man Tine de Rue Cases-Nègres meurt dans sa case, tristement et pauvrement, mais entouré de ses voisins, dans son quartier, riche de l’amour d’un petit-fils. Un demi siècle plus tard, l’histoire de Viviane et de sa mère se joue dans un minuscule appartement à  l’étage d’une HLM de banlieue avec en toile de fond l’effondrement de la vie rêvée qu’avaient certainement échafaudé l’une et l’autre. Dans l’un les racines, sont vénérées, magnifiées; dans l’autre les racines pèsent, étouffent. Exil et identité, reconnaissance d’une spécificité et inévitable assimilation, relation filles/mères mais aussi femmes/hommes, mal être existentiel sont la source des déchirements que restitue Marie-Claude Pernelle. La mère de Viviane ne symbolise-t-elle pas au fond une Guadeloupe contrainte, qui voudrait vivre, mais passe à  côté de son destin et indéfiniment se cherche. Le film est dur, comme la Guadeloupe n’est pas une île facile.

NDLR
Le film est produit par Palaviré Productions, il est porté par quatre actrices de qualité : Lucile Kancel, Esther Myrtil, Stana Roumillac et Maïté Vauclin

Le film a reçu le prix spécial du jury en Martinique au festival Prix de court et Lucielle Kancel, le prix de la meilleure actrice.

Le film a bénéficié du soutien du CNC, de la Région Guadeloupe et du conseil général du Val de Marne

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour