Le film « Case départ » qui obtient un succés commercial en Guadeloupe et dans l’hexagone suscite ces dernières semaines bon nombre de réactions. Peut-on rire de ce qui fut un crime contre l’humanité ? Sans doute, mais tout dépend la manière ainsi que de la qualité du film et de l’humour qui en découle. Nous publions un article de Kam déjà paru il y a quelques jours sur le site Fwiyapin que nous vous conseillons par ailleurs de visiter. Vous l’aurez compris au titre, le chroniqueur le plus récurrent du Fwiyapin n’a pas été follement enthousiasmé par le film. Mais la voie qu’il ouvre et les débats qu’ils suscitent ne sont pas sans intérêt.
Le scénario est plus mince qu’un mannequin anorexique, mais ce sont parfois ces types de scenarii qui sont la base des meilleures comédies. Voilà donc un premier film, pas forcément raté mais pas réussi non plus.
Eboué prétend faire un film sur l’identité. Alors résumons, pour parler de l’identité en 2011 en France, il faut se placer en Martinique en 1780 ? Pourquoi pas, mais le sujet ne peut pas être traité avec autant de complaisance. Deux mecs racistes, un lèche-cul aliéné et un pauvre type qui cache lâcheté et nullité sous un vernis de rébellion, se verront offrir une rédemption en retournant dans le passé.
Deux frères se retrouvent en Martinique au chevet de leur père mourant qu’ils n’ont jamais connu. Antagonistes dans leurs excès, Joà«l attribue tous ses malheurs aux Blancs tandis que Régis voudrait voir disparaître pour toujours le phénotype que lui a donné son géniteur. Constatant que l’héritage paternel consiste en la transmission de l’acte d’affranchissement d’un aïeul, ils le déchirent avec mépris et s’assoient allègrement sur un quelconque devoir de mémoire. Pour les punir, leur tante les envoie deux siècles en arrière. Avec des quiproquos et des scènes décalées, qui avouons-le font rire ou sourire.
Le problème du film n’est pas de faire rire d’un crime contre l’humanité. Ce sont ses maladresses. Il est vrai que l’humour d’Eboué est réputé être trash, pourtant il règne sur le film comme une volonté de ne blesser ou de ne choquer personne. Malgré tout, cet objectif est raté.
Le traitement des Nègres marrons est tout bonnement affligeant. Ils sont représentés comme des êtres assoiffés de sang. Le film renvoie leur violence et le système esclavagiste dos à dos. Les frères fuient les rebelles quand Régis refuse de répondre à l’injonction de tuer tous les Blancs lors d’une cérémonie. Les bons Nègres seraient donc ceux qui ne remettent pas en cause l’ordre établi ?
D’ailleurs l’esclavage présenté, hormis les punitions infligées aux protagonistes (fouet, fleur de lys tatouée sur le postérieur), n’a pas l’air si terrible. C’est un des principaux défauts du film. Les spectateurs n’ayant pas la connaissance historique des atrocités pratiquées à l’époque sont-ils capables de se représenter cette période de l’histoire comme l’un des pires moments de l’humanité ?
Régis démystifie avec brio le prêtre en démontrant que les prêches légitimant l’esclavage sont les fruits de l’imagination de l’ecclésiastique; mais la malédiction de Cham, caution religieuse de la traite négrière tirée d’une interprétation biblique n’est pas expliquée. Il ne fallait pas se fâcher avec les spectateurs catholiques ?
L’allusion à Victor Schoelcher est elle aussi regrettable et ridicule. Le seul blanc qui ne soit pas grossièrement raciste, méchant jusqu’aux os et sadique jusqu’à la moelle est un gamin d’environ quatre ans. Il porte le prénom de l’abolitionniste et est décrit comme l’avenir par un des deux héros. Dans ce monde qui n’est pas manichéen, n’oublions pas que le politicien (né à Paris et non en Martinique) ne fut pas tout de suite pour une abolition immédiate et compta parmi les plus ardents défenseurs de la colonisation.
Avoir réalisé une comédie se situant dans un tel contexte n’est pas un exploit à saluer. Mais il faut bien reconnaître que Case Départ ouvre la voie à d’autres productions, qui seront peut-être plus réussies.
Des Antillais auraient-ils osé faire une comédie se déroulant au temps de l’esclavage ? Si, mais il aurait été alors très difficile de ne pas s’encombrer de considérations historiques. Ce qu’a réussi la bande à Eboué. Mais les scénariste et réalisateur sont » décomplexés » jusqu’à l’excès, ce qui donne ce résultat mitigé. Entre rires et malaise, on rit jaune comme un adolescent avec appareil dentaire dans un mayémen.
Des films historiques existent (1802 l’épopée guadeloupéenne, Sucre amer) mais jamais personne avant n’avait pris le contre-pied de rire de cette page douloureuse de notre histoire. Pourquoi ? Parce que c’est certainement un des exercices les plus difficiles. N’gijol et Eboué ont échoué, cela ne veut pas dire que personne n’y arrivera. Le succès économique incontestable du film contribuera peut-être indirectement à l’émergence de long-métrages sur l’esclavage et la traite. On connaît la frilosité des producteurs sur ces thèmes, et la prétendue absence de stars noires banquables. Surmonter ces obstacles passe par la multiplication de produits industriels et médiocres. Alors soyons patients car la petite perle ne sera pas pour demain avec des réalisateurs comme Lucien Jean-Baptiste ou Jean-Claude Flamand Barny.
Nous n’appelons pas les lecteurs de ce site à s’abstenir de voir le long métrage de Lionel Steketee et de Fabrice Eboué. Vous vous ferez votre propre idée, mais demandez vous quand même comment serait reçu le film par quelqu’un qui ne connait strictement rien sur le sujet.
L’histoire d’un prétendu boycott n’a fait que gonfler le buzz en faveur du film. Il a été tourné à Cuba, non pas en raison d’un lobbying contre le tournage du film en Martinique mais par le droit de regard demandé par les propriétaires des champs de cannes à sucre en 2011.
Une dernière chose : Eric Zemmour, chroniqueur aussi raciste qu’un président de la république française, qui mouille son slip dès qu’il entend le nom de Napoléon, a aimé le film. Vous voilà prévenus !