Au-delà de l’indignation, des tentatives de réponses à la question : que peut-on faire, comment agir dans ce monde en crise, existent. Le philosophe irlandais, Philip Pettit (1), apporte la sienne. C’est à lire en ces temps de doute quand les politiques instrumentalisent le vote en ne s’adressant plus à des électeurs mais à des clients. Philipp Pettit est irlandais, philosophe et théoricien politique. C’est un insulaire qui a été conseiller du premier ministre espagnol Zapatero. Au lendemain de la crise espagnole il a fait son mea culpa dans un long article (2) publié et traduit en français par le site laviedesidées.fr.
Il écrit : » Lorsque je réfléchissais à l’avenir de l’Espagne sous le gouvernement Zapatero, en réalité sous n’importe quel gouvernement, j’ai commis deux graves erreurs : j’ai fait preuve de naïveté en croyant qu’on pouvait faire confiance au système financier international pour fournir l’infrastructure permettant au gouvernement d’un pays comme l’Espagne d’assurer le bien-être économique de son peuple. Et je n’ai pas compris à quel point l’appartenance à la zone euro limitait la marge de manoeuvre du pays en cas de retournement de la conjoncture économique. »
Faute avouée est à moitié pardonnée, peut-on rétorquer à ce conseiller repenti qui aurait pu lire depuis 2008 des dizaines d’articles et de commentaires d’économistes, éloignés des thèses néolibérales, mettant en garde contre ce qui est finalement arrivé: on ne peut pas faire confiance au système financier international. C’est pourtant simple.
Le gouvernement espagnol et son conseiller irlandais ont pensé pouvoir » chevaucher le tigre financier » et c’est finalement le tigre financier qui les a vaincus ou tout au moins terrassés.
Aujourd’hui Philipp Pettit ne dit plus qu’il faut » chevaucher le tigre » et laisser la finance agir à sa guise. Il dit même le contraire : » Cette vision des choses, représentée par le mouvement du Tea Party aux Etats-Unis, revient à capituler à l’avance face au mouvement risqué du crédit et du capital, guidés par la recherche de profit. Elle revient à confier au gouvernement la mission de faire respecter l’ordre et la loi, à demander à l’Etat de renoncer à un rôle quelconque dans la production, le commerce et l’emploi. »
Ainsi, la concentration des richesses dans quelques mains sans limitation est l’unique objectif. On pourra objecter encore que faire respecter » l’ordre et la loi » par l’Etat, quand tous les autres secteurs de la société ( économie, éducation, santé, emploi, formation, culture etc) sont dérégulés est de l’ordre de l’impossible, sinon à installer des régimes policiers. La Grande-Bretagne en a fait l’expérience en ao ût 2011.
Le philosophe irlandais dit aussi qu’il n’est pas souhaitable de tuer le tigre, voire même impossible. Pas plus qu’au libéralisme dérégulé, il ne croit pas à un système économique et financier appuyé sur une planification ou coordination centralisée issues de décisions plus ou moins démocratiques. » Le pouvoir corrompt, écrit-il, ceux à qui nous accordons le pouvoir devraient toujours être tenu pour responsables de leurs actes. L’erreur populiste consiste à ignorer les contraintes de ce type et à imaginer que nous pouvons créer une grande société sans tenir compte de la résistance du matériau humain, en oubliant que nous construisons avec le bois tordu de l’humanité (3). »
Si on ne tue pas le tigre, le philosophe propose de le maîtriser.
« Nous devons mettre l’économie et le système financier au service d’objectifs démocratiques, en fixant des limites. Le défi qui est lancé consiste à concevoir un régime de régulation dans lequel le système financier puisse continuer à fournir les ressources du crédit sans autoriser ceux qui travaillent dans la finance à avoir des activités mettant en péril le bien commun. »
Là , les propos de Philpp Pettit deviennent intéressant et originaux. Pour que cette société civile régulatrice existe il en appelle à deux éléments : un » parlement responsable » ce qui n’est pas toujours le cas à l’heure actuelle et des » citoyens contestataires « .
Pour exercer le contrôle qu’exige la démocratie, il affirme que : » Le républicanisme s’inspirant de la tradition de la Renaissance italienne et de la révolution américaine considère que les citoyens doivent se répartir le travail civil de contestation. Différents groupes doivent se spécialiser dans différents secteurs de l’activité gouvernementale ; car ici, comme dans d’autres domaines le pouvoir doit être disséminé. La société contemporaine est trop complexe pour permettre au citoyen vertueux ou même au corps des citoyens vertueux, de réfléchir à l’exercice du gouvernement dans tous les domaines. »
Il ajoute : » Pour que ceux qui sont au pouvoir soient bien surveillés, il est essentiel que diverses associations de citoyens contrôlent les décisions des autorités dans différents domaines politiques et puissent disposer des meilleures compétences pour évaluer les décisions et faire rendre des comptes. » Ainsi le philosophe irlandais qui se méfie on le voit des pouvoirs trop centralisés et concentrés, réinvente la démocratie, bien mise à mal ces derniers temps. Le pouvoir même dans une République peut être confisqué par les écrans de fumée, l’opacité, le contrôle de l’information et de la justice.
Pas de démocratie, ni de justice sans contre pouvoir nous dit Philippe Pettit qui renvoie à ce fondamental » travail civil de contestation « . à l’opposé de la pensée unique – un seul modèle économique, une seule pensée – qui nous submerge, mais qui a de plus en plus de mal à conserver sa crédibilté.
(1) Philipp Pettit est un philosophe irlandais, dont l’ouvrage le plus connu est » Républicanisme, une théorie de la liberté et du gouvernement » paru en 1997, traduit en français en 2004. Dans cet ouvrage il cherche à trouver une troisième voie entre le libéralisme pur et dur et le communautarisme/collectivisme qui ne laisse pas de place à la liberté individuelle. Sa théorie consiste à dire que l’individualisme, respect de la personne comme être moral et indépendant peut et doit se conjuguer avec les nécessaires valeurs sociales qui lient les hommes entre eux.
A propos de la liberté, il fait la distinction entre la liberté républicaine et la liberté libérale. La première est celle de la » non-domination « , la seconde celle de la » non-interférence « . La » non-domination » doit être attesté par des institutions et le droit ; tandis que la « non-interférence » libérale est celle du » laissez-faire « , quand le puissant peut exercer toute sa force sur le plus faible.
(2) Lire l’intégralité de l’article de Philipp Pettit dont le titre est : » Réflexion d’un républicain sur le 15 M » sur le site http://www. laviedesidées.fr.
15M est une référence au mouvement des indignés espagnols qui a débuté le 15 mai 2011.
(3) L’homme a été taillé dans un bois si tordu qu’il est douteux qu’on puisse jamais en tirer quelque chose de tout à fait droit
( Emmanuel Kant)