Après la catastrophe de Fukushima en 2011, c’est ce que disait Galia Ackerman, auteur d’un livre sur Tchernobyl : » La catastrophe nucléaire de 1986 ne nous à rien appris ». Kam nous livre la lecture de son ouvrage. Galia Ackerman a été en 2006, commissaire de l’exposition que Barcelone a consacré à la catastrophe dans l’ex empire soviétique. 25 ans avant Fukushima, se produisit en URSS la première catastrophe mondiale du nucléaire civile. Certes, la cause n’était pas d’origine naturelle. Il est pourtant probable qu’un nouveau drame d’une telle ampleur se reproduise, par hasard dans le pays le plus nucléarisé au monde, si rien n’est fait pour en finir avec l’industrie de l’atome .
Galia Ackerman, journaliste à RFI, traductrice franco-russe, retrace avec concision (160 pages) mais néanmoins exhaustivité les terribles évènements causés par l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale soviétique dans un ouvrage paru en 2007 Tchernobyl retour sur un désastre. (1)
Au mitan de la deuxième guerre mondiale, Staline apprend que Britanniques, Allemands et Etasuniens cherchèrent à se procurer la bombe atomique. En 1949, se déroulèrent les premiers essais de la bombe A soviétique.
Les réacteurs nécessaires à la production du plutonium furent les ancêtres du RBMK, type de réacteurs qui équipaient Tchernobyl. Ce choix avait été fait essentiellement selon des critères économiques. En période de guerre froide, il aurait été trop co ûteux et son alternative (les réacteurs de type VVER) n’auraient pas pu être développés à temps pour répondre aux exigences du pouvoir.
Le développement de l’énergie nucléaire fut opaque et anti-démocratique (pléonasme en URSS).
Ainsi, l’auteur recense une centaine d’incendies et onze incidents dans des installations nucléaires avant la catastrophe de Tchernobyl. En 1975, non loin de Saint-Petersbourg (Leningrad) un réacteur de type RMBK avait réussi à être « maîtrisé » au prix d’une émission énorme de radioactivité. De tout cela, évidemment, la population n’entendit jamais parler..
La construction de la centrale de Tchernobyl débuta en 1970. Une ville nouvelle fut crée, du nom de la proche rivière, le Pripiat, affluent du Dniepr. Les habitants bénéficiaient d’un niveau de vie au-dessus de la moyenne. C’était une « ville privilégiée » avec des crèches, cliniques, complexes sportifs, bibliothèques, restaurants, cinémas. Douze réacteurs étaient initialement prévus sur le site, il y en avait 4 opérationnels en 1986.
Le 25 avril, fut programmé l’arrêt du réacteur pour maintenance. Une expérience devait être menée dans le but de récupérer l’électricité résiduelle des pales de la turbine en cas de panne électrique générale. A une heure du matin, le réacteur s’emballa et furent projetées dans l’atmosphère « près de 50 tonnes de combustible nucléaire ». Ainsi naquit le nuage de Tchernobyl. Sa première victime fut la « forêt rousse », une pinède br ûlée par la radiation. La météorologie fut plutôt clémente pour Pripiat, le nuage évita la ville .
Au début, les dirigeants de la centrale nièrent les faits, persuadés qu’ils étaient, obnubilés par le dogme nucléaire, qu’un réacteur ne pouvait exploser. Même quand des témoins qui périrent ultérieurement d’une exposition à des doses mortelles vinrent l’attester, le déni continua. Des employés de la centrale, travaillant sur un chantier, continuèrent même à vaquer à leurs occupations.
Malgré cet aveuglement, les premiers héros de la catastrophe parvinrent à préserver les trois autres réacteurs du feu. Les employés présents furent atteints d’un des symptômes de la radiation, l’excitation du système nerveux. « L’euphorie nucléaire » aidant, des vies furent sacrifiées à vouloir arrêter un réacteur déjà détruit. La lucidité diminuée également par les systèmes de mesure.
Les dispositifs étaient bloqués à 3,6 rà¶ntgen/heure alors que les débris émettaient jusqu’à 15 000 rà¶ntgen/heure !
La réalité ne fut admise que vers 13h lors du survol du réacteur éventré par hélicoptère. Les clichés pris par le photographe Igor Kostine furent tous « mangés » par la radioactivité.
Le soir, les premiers dégâts se constatèrent sur le personnel le plus exposé. 4000 employés de la centrale avaient déjà pris la fuite, davantage conscients du danger que le reste de la population.
L’ordre d’évacuation ne fut donné que 36 heures après l’explosion. Dans l’idée du pouvoir, il ne fallait pas que la foule cède à la panique, plus dangereuse encore que la radioactivité .
Les autorités décidèrent alors de lancer à l’intérieur du réacteur du plomb et du sable. Des pilotes d’hélicoptère réquisitionnés affluèrent de tous le pays et d’Afghanistan. La température dans les habitacles était de 60°C, les pilotes vomissaient entre chaque rotation. Ils se confectionnèrent des tenues de protection avec du plomb au fil des jours. Des problèmes de logistique se posèrent rapidement : on manqua de sacs, le sable prélevé à proximité se révéla être trop radioactif … Ces opérations furent colossales. Le 27 avril on balança 150 tonnes au dessus du réacteur, le 28 le double, puis au fur et à mesure la quantité quotidienne croissant, on atteignit 1900 tonnes le premier mai !
Mais seule une infime partie de ce bombardement toucha sa cible, tandis que l’irradiation elle, n’épargna personne. En 2004, on recensait 600 pilotes décédés, pour une opération peu efficace voire contre-productive.
Un fait demeure peu connu à ce jour. Si le magma radioactif perçait le fond du réacteur (ce qui finit par arriver) et rentrait en contact avec l’eau du bassin en-dessous (baptisé « barboteur » ou « piscine »), les conséquences auraient pu être effroyables. Selon l’académicien biélorusse Vassili Nesterenko : Kiev aurait été rasée, la Biélorussie serait devenue inhabitable à tout jamais […] Je suppose que l’Europe serait devenue durablement impropre à l’habitation.
Là encore, un volontaire sacrifia sa vie en s’exposant à des doses mortelles, car une intervention humaine était nécessaire au pompage de l’eau. Le plongeur exécuta sa mission dans une eau à 1 curie / litre.
Mais une fois que la cuve céda, les craintes concernèrent alors la nappe phréatique. On construisit une immense galerie de 170 mètres. Ce ne furent pas des machines qui exécutèrent ces travaux .
Les autorités soviétiques bombardèrent mêmes des nuages (avec quelle efficacité?) pour éviter qu’ils ne déversent leur pluie dans le bassin versant du Pripiat ; ce qui aurait causé des ruissellements radioactifs.
Des vies auraient pu être épargnées si ce n’était l’aveuglement des premières heures de la catastrophe et une mauvaise prise en compte des risques. Les donneurs d’ordre savaient pertinemment qu’ils envoyaient des gens à la mort, telle opération couterait tant de vies, celle-là un peu plus.
On fit construire de gigantesques digues, murs, dont on sait aujourd’hui que les effets furent quasi nuls.
Le Politburo voulant utiliser le réacteur jumelé (3ème bloc), on procéda à de laborieux travaux pour séparer et isoler le quatrième bloc !
Les soldats et appelés remplacèrent les machines partout o๠ces dernières ne pouvaient fonctionner, soumises à une radioactivité trop forte, ou alors incapables de se frayer un chemin dans les débris…
On fit alors recours aux « robots biologiques ».
Les tenues de plomb confectionnées avec débrouillardise, repoussèrent une partie des rayons gamma mais ne suffirent pas à protéger correctement les soldats. Concernant le nombre des « liquidateurs », les estimations minimales sont aux alentours de 500 000. Selon le physicien Gueorgui Lépine, lui-même liquidateur, ils furent un million. 20 000 y laissèrent leur vie, et 200 000 seraient invalides.
Venus de toute l’Union, certains survivants vivent désormais dans des pays indépendants de la Russie. Ainsi, les Arméniens, Estoniens, Ouzbeks et Kirghizes ne bénéficient pas des petites aides octroyées aux Russes, Ukrainiens et Biélorusses. Est-il utile de le préciser, les problèmes de santé dus aux irradiations n’étaient majoritairement pas reconnus.
Le massacre ne concerna pas que les humains. Les animaux domestiques, que les habitants évacués étaient sommés d’abandonner, furent exterminés. Ceux qui avaient échappé au massacre périrent l’année suivante des radiations.
L’ennemi invisible fut enterré sur 800 sites de stockage de déchets, répartis dans toute la zone interdite. Quand aux populations évacuées, on les fit revenir dans des zones o๠elles s’exposèrent à des doses de 10 rems la première année, alors qu’un liquidateur ayant atteint 25 rems devait quitter la zone dangereuse .
La viande d’élevage contaminée, elle, ne fut pas détruite, mais dispersée dans tout le pays pour être mélangée dans une proportion d’un dixième à des produits de charcuterie, conserves, etc. Pour le lait, pratiquement rien ne fut mis en oeuvre hormis dans quelques établissements, exposant alors les enfants aux terribles effets méconnus du césium. Aucune mesure ne fut prise par les autorités pour éviter que la population ne consomme des denrées contaminées.
L’URSS refusa l’envoie de cancérologues ou d’équipes de décontamination. Par cause de paranoïa, on refusa même du matériel français jugé utile mais susceptible de contenir des micros.
Dans le rapport fourni à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique dépendant de l’ONU), la cause de l’accident fut attribué à une erreur humaine. Ce n’est pas impossible, mais Tchernobyl a contribué à relancer des recherches, notamment celles de Georges Lochak. Si sa théorie est prouvée, l’origine de cette catastrophe ne serait pas d û à la faute d’un opérateur et il ne serait pas impossible que cela se reproduise ailleurs .
Grotesquement, l’ONU reconnaît très peu de victimes. En 2005, les chiffres annoncés étaient de 56 morts et de 400 cancers mortels à venir. Le pacte nucléaire entre grande puissance a encore de beaux jours devant lui.
A propos de Georges Lochak, regardez cette vidéo à partir de la 42 ème minute:
http://www.youtube.com/watch?v=uIsgD-lqjn8 )
(1) « Tchernobyl, retour sur un désastre », par Galia Ackerman, essai paru chez Gallimard en 2007