La géologie et la géographie ont fait de la Guadeloupe et Antigua des îles voisines sur le globe terrestre et sur les cartes. Puis l’Histoire les a séparées. Entre les deux îles s’est creusé un fossé plus large que les 80 kilomètres de mer qui les séparent. Peut-il être comblé ?
Avec cette préoccupation qui l’habite depuis sa création, il y a dix ans, de susciter une conscience caraïbe, Yo té pou nou sé (1) a organisé à la médiathéque de Port-Louis en Guadeloupe, un séminaire sur Antigua (2).
Réginald Murphy, directeur du patrimoine et de l’environnement au parc national d’Antigua est venu durant quelques heures parler de son île et répondre aux questions des Guadeloupéens en quête de cette conscience caraïbe écartelée par l’histoire, les langues, les modes de vie et de développement, les perspectives d’avenir.
On sait peu de choses sur ceux qui ont peuplés ces îles dans les périodes les plus anciennes, de l’ordre de 3000 avant JC, mais on sait qu’au cours de la seconde vague de peuplement, les Arawaks venus des forêts tropicales d’Amérique du Sud ont beaucoup voyagé et échangé d’îles en îles. On peut les imaginer dans leurs longues pirogues, pagayant pour dépasser la pointe d’Antigue, au nord de ce qui est aujourd’hui Port-Louis et mettre le cap sur l’île voisine qui se dessine à l’horizon. Ils s’y rendaient pour échanger, pour nouer des alliances, pour découvrir d’autres terres, pour se battre aussi lors des conflits qui survenaient.
L’arrivée des premiers Européens a bouleversé cet ordre ancien. Christophe Colomb a donné son nom à l’île d’Antigue en 1493, la même année qu’il a nommé la Guadeloupe.
Pour les deux îles, l’histoire officielle dit peu de chose sur les deux siècles qui suivirent et la première phase de la présence européenne. Ce furent les premiers colons, les premiers contacts avec les peuples autochtones, les premieres occupations de terres, la survie économique des îles, les conflits et les guerres qui confrontent les amérindiens, les européens, les corsaires, les pirates. Ainsi que les puissances européennes Espagnols, Anglais, Français dont les marines de guerres rivalisaient pour contrôler l’Atlantique. Durant ces deux siècles, le déclin des civilisations de la caraïbe survint au profit du nouvel ordre occidental.
Au 17em siècle le sucre et la culture de la canne furent introduits dans les ïles caraïbes. En 1670 par le traité de Breda, Antigua revint aux Britanniques. Comme la Guadeloupe, l’île connut un modèle de développement fondés sur la société esclavagiste. Des Africains furent déplacés de force, vendus, contraints d’exploiter les champs de canne au bénéfice des planteurs.
» Les îles et la canne rapportèrent une incroyable richesse aux Britanniques, souligne Réginald Murphy, Antigua était prospère, en ces temps, la Jamaïque rapportait aux Anglais plus que les treize colonies de ce qui allait devenir les Etats-Unis d’Amérique. »
Riche sur le plan commercial, Antigua est aussi un port stratégique important pour les Anglais, avec des baies abritées et une position centrale dans l’arc caraïbe. L’île d’Antigue est alors désignée par les Britanniques comme la » Porte des Caraïbes », verrou maritime pour le contrôle des routes de navigation.
De souffrances en révoltes, d’injustices en cris pour la liberté, l’esclavage perdura à Antigua jusqu’en 1834. Il fut aboli quartorze ans avant la deuxième abolition française de1848.
Faut-il fixer à cette date, 1834, les évolutions différentes des deux îles voisines. L’une anglaise, l’autre française ?
A Antigua après l’abolition de 1834, sur un territoire si petit, les esclaves sont libres, mais n’ont nulle part o๠aller. Concrétement les changements, pourtant accompagnés de nouvelles lois sur le travail, sont » ténus ».
L’apparition de la culture de la betterave à sucre en Europe au 19em siècle fut déterminante pour l’avenir d’Antigua et des îles voisines. La valeur du sucre commença à baisser et cette tendance ne cessa plus .
Ce fut la fin d’une histoire et de l’extraordinaire richesse produite par les îles à sucre. » Pour les Britanniques, les colonies ont un intérêt si elles rapportent suffisamment, sinon, ils n’hésitent pas à s’en détacher. » expliquent Réginald Murphy. Les Anglais ne peuvent pas concevoir que la survie économique de leurs colonies puissent devenir un fardeau pour la Grande-Bretagne.
A la fin du 19eme siècle et dans la première moitié du 20 eme, avec la baisse de rentabilité du sucre, l’île d’Antigua connait de profondes mutations : des tentatives sont faites pour réduire les co ûts de production, les planteurs développent la mécanisation, font venir des travailleurs sous contrats, Indiens, Chinois, Libanais. Mais pour la plupart ceux ci ne restent pas et ne font pas souche comme en Guadeloupe. Antigua est petite, manque de ressource et d’espace.
Un autre phénomène se produit: beaucoup de Blancs propriétaires, voyant leurs revenus décliner, vendent leurs terres et leurs plantations et retournent en Grande-Bretagne. Ils vendent à des Portuguais, dont la présence va changer progressivement la structure sociale de l’île et ce qui reste de la production de sucre.
Au 20em siècle, cette production va se concentrer et sera centralisée dans un groupement sucrier unique qui favorise l’émergence d’idées nouvelles et d’une structure syndicale puissante. Le parti travailliste d’Antigua (ALP) qui obtient les suffrages de la population et commence à contester la politique britannique est né de cette émergence syndicale.
La stratégie de l’ALP dans une logique toute anglo-saxonne, n’est pas de s’accrocher à la production sucrière déclinante, mais de se projeter dans un futur à la fois incertain et inévitable. Le parti travailliste obtient un prêt important de la banque du Canada pour acheter les terres du groupement qu’il met à la disposition de la population. Il construit des écoles, des routes et un grand aéroport international contre l’avis des Britanniques, dans l’objectif de développer le tourisme pour créer de nouveaux emplois dans le secteur non-agricole. Et d’une certaine manière ça marche. L’indépendance en association est obtenu en 1967 avec un gouvernement britannique qui veut se « débarrasser » de son passé colonial, puis l’indépendance compléte en 1981.
L’île peuplée de 86 000 habitants et d’une surface quatre fois inférieure à celle de la Guadeloupe ( 442km2) vit des taxes de l’import-export et du tourisme.
» C’est une situation fragile, déclare Réginald Murphy, chaque jour, quatre immenses navires de croisières font escale à St John’s. Il suffit d’un incident, d’un trouble quelconque pour que le tourisme, du jour au lendemain se détourne de l’île. Nous dépendons de l’extérieur. Un poulet importé est vendu à un prix inférieur à un poulet produit sur place, malgré les taxes. Car pour produire un poulet, il faut le nourrir et pour le nourrir, il faut acheter des produits importés. Le gouvernement incite la population à être créative, à trouver d’autres sources de revenus, c’est difficile en temps de crise. » Les protections sociales, retraites etc, existent mais sont peu élevées. » Il est difficile de vivre sans travailler à Antigua » insiste Réginald Murphy.
Antigua vit ainsi avec quelques contraintes et particularités. La langue officielle est l’anglais, les habitants de l’île utilisent couramment un créole à base anglaise différent du créole guadeloupéen et uniquement oral, le créole d’Antigue ne s’écrit pas. Sur le plan judiciaire, la cour de cassation d’Antigua dépend toujours de Londres. » Une curiosité, sourit Réginal Murohy, on nous dit souvent: mais comment pouvez-vous être indépendant, avec cette cour de cassation à Londres ? Je pense que c’est utile. Dans un pays si petit, insulaire, o๠tout le monde se connait, chacun a de multiples liens familiaux, politiques, financiers, une juridiction extérieure permet de prendre le recul et la distance qui sont parfois nécessaires. On a vu la juridiction de Londres prendre des décisions qui allaient à l’inverse de celles prises dans l’île et être appliquées. Notamment en matière de monopole de certains médias. »
Antigua a sur son territoire une base aérienne stratégique américaine, dans ses ports les yachts de quelques célébrités mondialement connues et sur son territoire les villas de quelques stars de la politique ou du showbizz. On ne va pas tomber dans le « people », cherchez un peu vous trouverez des noms sur internet. Tiens une devinette. Un vieux monsieur italien, ancien chef de gouvernement très riche, qui paie cher des jeunes filles pourqu’elles l’appellent » super papi » et le dorlotent, a une maison et dit-on un bateau à Antigua. Un guitariste, rockstar né en 1945 près de Londres a sa demeure à Antigua etc. Une île donc dont la population vit en grande partie du tourisme, du luxe et des croisières. La canne à sucre n’est plus cultivée, ni la banane qui ne l’a jamais été sauf de manière domestique pour une production personnelle, car Antigua n’a pas de rivière, donc peu d’eau douce.
Une question de la salle à M Murphy: » Pourquoi les jeunes d’Antigua ne viennent pas en Guadeloupe ? » Réponse ironique: » Parce qu’ils ne savent pas que votre île existe. Vu d’Antigua la Guadeloupe est perçue comme une île refermée sur elle-même et tournée vers l’Europe. Quand j’étais jeune, on disait aussi qu’il y avait de bons dentistes en Guadeloupe. Ceux qui le pouvaient venaient se faire soigner chez vous. »
Comment retisser des liens ? Car vue de la Guadeloupe, Antigua est aussi perçue comme une île refermée sur elle-même, chère, réservée aux personnes à haut revenu et difficile d’accés. Comment voyager et séjourner à Antigua à un prix raisonnable ?
Et voilà que revient l’image des Arawaks qui, voici quatre ou cinq siècles, dans leur longue pirogue quittant une Guadeloupe que Colomb n’avait pas encore » baptisée » doublaient la pointe d’Antigue vers le nord. Ils n’avaient pas ces soucis.
Jean Barfleur dit » Baba » qui s’exprime avec passion sur la nécessité de faire vivre ou revivre une identité caraïbe rappelle que si les institutions, les peuples, les grands courants et les anomalies de l’histoire ont écartés ces îles l’une de l’autre, si l’histoire a dominé la géographie, des aventures individuelles, donc humaines, ont en permanence rapprochées Antigua et la Guadeloupe.
» Il y a toujours eu des liens entre des habitants du Nord-Grande Terre et Antigua, dit-il. Au moment de l’abolition en 1834, des esclaves guadeloupéens se sont enfuis vers Antigua. C’est une histoire peu connue, Yo té pou nou sé fait des recherches sur ce sujet. Bien plus tard, des habitants d’Antigua sont venus travailler à Beauport, l’usine sucrière du Nord Grande terre guadeloupéen. L’histoire a séparé les peuples, mais des individus n’ont cessé d’entretenir les liens, c’est ce que nous faisons encore aujourd’hui. » Une de ces expérience humaine est le projet Kanawa, une embarcation arawak reconstituée dont les rameurs en 2012 projettent de relier, comme le faisaient les Amérindiens, les îles de la Caraïbe.
Ce fut une belle journée à Port-Louis. Dans l’esprit de Yo té pou nou sé c’est une étape, un moment à prolonger.
On a compris qu’ Antigua petite île voisine de la Guadeloupe, indépendante et maître de son destin, continue à dépendre des grands courants qui agitent le monde. L’aventure continue. De même qu’en Guadeloupe, cet autre grain de sable quatre fois plus grand qu’Antigue sur la carte du monde. Quand un grain de sable, rencontre un autre grain de sable on peut rêver à de belles histoires d’hommes, de femmes, de vent, de mer à franchir et d’idées à faire vivre.
(1) Yo té pou nou sé, est une université populaire qui s’est fixée pour objectif de faire mieux connaître l’histoire de la Caraïbe pour » contribuer modestement à l’éveil d’une conscience caribéenne. » Comprendre la complexité du passé comme du présent pour faire émerger une pensée libre et indépendante.
– information : 0690 69 67 08
– courriel : contact@yotepounouse.com
(2) Antigua compte 86 000 habitants sur un territoire de 442 km2 ( La Guadeloupe 1682 km2)
Son PIB par habitant est de 14 260 dollars US. L’île vit essentiellement du tourisme avec près de 1 million de visiteurs par an.
Le pays est indépendants depuis 1981. Il est régit par un système politique fondé sur un Parlement du Commonweathl basé sur le droit britannique comme dans la plupart des excolonies anglaises, avec un premier ministre et un gouverneur. Le parlement est composé de 17 membres élus et d’un Sénat composé de membres nommés.