Des chercheurs en musicologies, souvent venus de loin, ont écrit des théses très savantes sur le gwoka, ici et là on trouve quelques paragraphes sur le sujet, mais rien d’à la fois approfondi et accessible au public. Puis en quelques semaines, fin 2011 et début 2012, deux livres sont publiés.
Le premier est celui de Marie-Héléne Laumuno (1) : » Gwoka et politique en Guadeloupe ». L’angle choisi, celui de la politique, n’est pas le plus facile. L’auteur est d’une telle honneté intellectuelle, d’une telle rigueur dans son travail qu’elle surmonte avec une apparente facilité les difficultés d’un sujet qui aurait pu paraître difficile. Elle a écrit un ouvrage, simple, dans le bon sens du terme, clair, précis et passionnant avec ce qui aurait pu être épineux voire polémique.
Comment entre 1960 et 2003, le Gwoka a accompagné la construction d’une identité guadeloupéenne soit en empruntant des voies clairement politique soit en exprimant par le chant et la musique les sentiments d’une population ?
Avant d’entrer dans le vif de son sujet, Marie-Héléne Laumuno, brosse dans une introduction générale d’une trentaine de pages le contexte politique, social, culturel de la Guadeloupe, minimum nécessaire pour comprendre la suite. Ce minimum est une synthése compléte et allant le plus loin possible dans l’objectivité du réel guadeloupéen. Très utile pour qui veut essayer de comprendre ce pays. Du cheminement politique d’Hégésippe Légitimus initiateur du socialisme en Guadeloupe au début du 20e siècle qui finit par faire alliance avec le » capital », illustration de l’expression créole » manjé kochon »; à la naissance du « gwoka moden » créé par Gérard Lockel dans les années 1970 puis du groupe Akiyo dans les années 1980, l’auteur éclaire cette histoire politico-musicale de la Guadeloupe de quelques balises essentielles.
Des noms de chanteurs et musiciens sont les autres balises: comme Robert Loyson, Chaben, Guy Conquette et quelques autres.
» Robert Loyson » nous dit l’auteur, » est le premier à enregistrer en 1966 un titre à caractère politique, c’est « Canne à la richesse » que tous les Guadeloupéens connaissent. Loyson est originaire de la commune du Moule une région sucrière o๠trois usines fonctionnent encore à cette époque là : Gardel, Blanchet et Ste Marthe. Deux ont disparu depuis. La chanson évoque le paiement de la canne non plus au poids mais à la richesse en sucre, ce qui pénalise les petits planteurs: » L’engrais n’a pas de richesse, le bulldozer n’a pas de richesse, la boue n’a pas de richesse, c’est le jus de notre canne qui a la richesse » reprend l’un des couplets, tandis que le chanteur exhorte les Guadeloupéens à porter un coup d’oeil sur la récolte, sinon la » Guadeloupe sera en faillite ».
» Loyson est un homme de la terre, exerçant divers métiers liés à la mise en valeur de celle-ci » écrit Marie-Héléna Laumuno désignant la source d’inspiration du chanteur, ainsi que le contexte politique. Le maire du Moule dans ces années est Rosan Girard, membre fondateur de la section guadeloupéenne du parti communiste: » Robert Loyson a pu être influencé non pas forcément par les idées, mais par le franc-parler de cet homme politique. »
Cela étant l’inspiration du chanteur n’est pas que politique, textes engagés et chansons ludiques se croisent sur ce premier disque de 1966. Ban matla an mwen ( Rends moi mon matelas) raconte la dispute d’un couple. La femme demande à l’homme de lui rendre son matelas, son sommier, son réchaud pour qu’elle retourne chez sa mère. Un classique.
Un intérêt et pas le moindre de cet ouvrage pour qui veut découvrir et comprendre le tambour et le chant guadeloupéens, est de trouver de nombreuses chansons, écrites en créole et traduites en français. A lire donc.
– Gwoka et politique en Guadeloupe, de Marie-Héléna Laumuno, 212 pages, publié chez L’Harmattan, 21 euros.
Tout à fait autre chose. La seule source est l’auteur lui-même et sa quête d’explication et de compréhension du Gwo-Ka Modèn, musique atonale qui n’est pas fondé sur les douze notes de ce que Lockel appelle la » musique occidentale ». Quête d’identité, de reconnaissance pour une musique » qui a traversé tous ces siècles de misères et a toujours survécu. »
On a compris que le « gwo-ka doudou » pour plaire aux touristes avides d’exotisme met en rage Gérard Lockel : » Le gwo-ka a pris naissance dans l’esclavage, écrit-il, il a toujours été du côté de la lutte et après l’esclavage s’est réfugié auprès des paysans. Lui faire jouer ce rôle misérable, à mon avis, c’est une aberration. »
L’intransigeance de l’auteur peut ressembler parfois à de l’intolérance lorsqu’il écrit: » des Guadeloupéens sortant des conservatoires qui font un genre de gwo-ka tonal tout à fait contraire à la science du gwo-ka; cela donne ce qu’ils appellent le » gwo-ka-jazz », une forme de musique, mais pas du gwo-ka. Il faut qu’ils se mettent cela dans le crâne. »
C’est du Gérard Lockel. Comme pour l’ouvrage précédent on peut aimer ou pas, mais on ne peut pas mettre en cause la sincérité de l’auteur. Voici ce qu’il écrit en introduction de son ouvrage: » Ce n’est pas un livre parce que je ne suis pas écrivain. ce n’est pas un roman, je ne suis pas romancier. Ce n’est pas un essai, je ne suis pas un intellectuel. Finalement c’est quoi ? Ce serait plutôt une façon de raconter à mon peuple ce que j’ai vécu, mais ne pensez surtout pas à un livre » normal » ».
Sur les maladresses et le style, Gérard Lockel anticipe dès les premières lignes: » J’assume toutes les faiblesses de mes petits mots, mais ce sont les miens et je les aime. »
Avec ses petits mots il parle de poésie, du sentiment guadeloupéen, des différentes manières de marquer, de sa théorie des trois cultures ( française, coloniale, guadeloupéenne), du swing, des grands tanbouyé, de la danse etc
Toujours dans cette quête d’explication et de fondation il dit s’adresser aux jeunes guadeloupéens pour qu’ils n’oublient pas leurs origines. Tout autre lecteur, moins jeune et pas forcément Guadeloupéen, y trouvera des éléments pour tenter de comprendre ce qu’est le tambour guadeloupéen, ses origines, sa signification et les différents courants qui l’agitent
Ces deux ouvrages lèvent le voile sur une Guadeloupe riche, mal connue et sur les relations complexes que le pays a toujours entretenu avec la France hexagonale
– Gwo-ka Modèn, de Gérard Lockel, édité par ADGKM, 380 pages, 20 euros.
(1) Marie-Héléna Laumuno est professeur d’histoire-géographie au lycée Faustin-Fleret de Morne-à -l’eau en Guadeloupe. Elle pratique le chant gwoka en artiste amateur. Son livre a servi de base à un travail de recherche dans le cadre d’un master en sciences humaines et sociales de l’université de Franche-Comté, Besançon.