L’épandage aérien de produits insecticides est interdit depuis 2009, sauf quand, par dérogation, l’Etat l’autorise. Faut-il parler d’hypocrisie administrative, d’entorse à la législation européenne ou simplement de manque de résistance au puissant lobby économico-agricole ? Dans un rapport du conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Martinique adressé à Serge Letchimy voici ce qu’on a pu lire: « Le Tilt et le Sico, les produits répandus par les airs pour traiter la banane, ont une toxicité aigue non nulle et une toxicité suspecte qui les ontéfait inscrire en classe 3 sur le répertoire des produits cancérigènes. Le Banole utilisé comme huile de dilution est un hydrocraquage de pétrole et à ce titre présente à la fois une toxicité pulmonaire et neurologique potentiellement mortelle et une toxicité chronique connue de longue date par le corps médical. Ainsi le mode d’utilisation de ces produits par épandage aérien n’enlève rien à leur dangerosité pour la population en général. En effet, les petites particules de ces fongicides du fait de leur finesse risquent bien de se retrouver à la faveur des vents dominants dans les poumons des riverains et de toute façon dans la nappe phréatiques à terme lors du lessivage des feuilles par les pluies. »
L’épandage de ces produits phytosanitaires potentiellement dangereux pour la santé va-t-il enfin être interdit ? Un bras de fer se joue entre les arguments du lobby agricole et ceux de santé publique. Et pas seulement en Guadeloupe.
L’épandage aérien est en théorie interdit par une directive européenne de 2009, renforcé par un arrêté de 2011 qui découle de la loi grenelle 2. La Guadeloupe région « ultrapériphérique » de l’Europe est concernée. Mais le texte européen laisse la possibilité a chaque Etat de l’union d’établir des dérogations. Faut-il parler d’hypocrisie administrative: c’est interdit sauf quand l’Etat l’autorise. Sur le territoire français 18 dérogations annuelles d’épandage dans 18 régions ont été à ce jour accordées, ainsi que 39 dérogations ponctuelles (pour une seule application). Ces dérogations seraient, d’après les milieux agricoles de plus en plus difficiles à obtenir. Mais doivent-elles être accordées ?
Aucun produit ne peut être pulvérisés par voies aérienne sans avoir fait l’objet d’une évaluation spécifique par l’Anses ( agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Est-ce suffisant pour nous rassurer ? Médiator et autre chlordécone sont passés dans les mailles des agences de contrôles et les objections du corps médical en Martinique laissent planer un doute sur les évalutations.
En Guadeloupe l’épandage concerne uniquement la banane, sur le territoire de l’hexagone des dérogations sont accordées pour le riz, la vigne et le maïs. Dans le Gard et l’Hérault, les producteurs de riz de la Camargue (1) affirment que l’épandage aérien est indispensable pour maintenir de bonnes récoltes et qu’il n’impacte pas plus l’environnement que l’épandage terrestre. Des arguments comparables à ceux des producteurs de bananes en Martinique et Guadeloupe.
Dans chaque département, les préfets reçoivent les dossiers et accordent ou refusent les dérogations. Les riziculteurs de Camargue qui exploitent 20 000 hectares sur deux départements, les Bouches-du-Rhône et le Gard ont eu la surprise de voir leur dérogation accordée dans l’un et pas dans l’autre de ces territoires. Ils ont obtenu un feu vert dans les Bouches-du-Rhône tandis que dans le Gard, les services de l’Etat ont émis des réserves: » les riziculteurs ne remplissent pas toutes les conditions ». En période préélectorale, il était peut-être urgent d’attendre.
En Guadeloupe la question de l’épandage fait actuellement l’objet d’une enquête publique à propos de laquelle Harry Durimel, le candidat aux législatives de Caraibe-europe-écologie-les Verts émet des réserves: » Une fois encore c’est en catimini que cette prétendue enquête se déroule et quel que soit le nombre de voix qui se prononceraient contre, ce sont encore les intérêts mercantiles qui risquent de prévaloir et de déterminer la décision de l’Etat. »
A noter que le LKP qui a bien du mal à faire entendre sa voix a été l’un des premiers en Guadeloupe à alerter sur l’épandage aérien et ses risques. Mais son appel n’a eu qu’un impact relatif.
Quelle va être la position du nouveau gouvernement, une fois les législatives passées face à cette question de santé publique qui rappelle beaucoup en Guadeloupe celle du Chlordécone.
Cette question de l’épandage et de la capacité de résistance d’un Etat au lobby agricole sera un test pour mesurer le changement de politique, une fois les élections passées, par rapport au gouvernement précédent. Priorité sera-t-elle donnée au réalisme économico-agricole ou à la santé publique ?
Dans les semaines qui ont précédé les élections présidentielles, le Sénat a majorité socialiste et l’assemblée nationale se sont inquiétés de la diffusion de pesticides par voie aérienne. Le 12 avril 2012, le Sénat a organisé une table ronde sur ce sujet dont la tendance générale a été de voir diminuer ou carrément disparaître les traitements aériens.
Quelques jours plus tôt, le 4 avril, le député socialiste Gérard Bapt, président du groupe en charge de la santé environnementale à l’Assemblée nationale, a adressé un courrier au premier ministre de l’époque, François Fillon, dans lequel il demande la suppression des dérogations à l’épandage de pesticides. Depuis M Fillon est dans l’opposition, les amis de Gérard Bapt sont au pouvoir et ce courrier du 4 avril adressé à Matignon n’a pas pu disparaître en moins de deux mois. A suivre.
(1) Le monde de l’épandage est petit et sans doute rentable. Une société d’hélicoptères basée dans le Gard, Général air service est spécialisée dans la pulvérisation d’insecticides sur des terres agricoles : la banane aux Antilles, les rizières en Camargue et les forêt de pins dans le sud de la France pour les protéger contre les nuisibles