Au nord du Mali qu’ils contrôlent, les salafistes musulmans veulent abolir le passé et par la force imposer aux Maliens leur vision d’un « islam pur », débarassé de ses saints. Pendant des siècles des temples, des églises, des mosqués, des statues, des palais, des bibliothéques ont été ainsi détruits par les vainqueurs de tous bords.
Il est difficile de rester indifférent à ce qui se passe à Tombouctou depuis quelques semaines. Ville fondée au XIIem siècle, Tombouctou témoigne de l’Afrique médiévale, riche de bibliothéques, de médersas et de mausolées. La ville aux 333 saints, est le symbole d’une Afrique qui n’a pas attendu l’époque coloniale pour « entrer dans l’histoire ». Mais pour ces nouveaux fous de dieu qui rêvent d’une religion pure, destructrice et intolérante, les saints sont incompatibles avec le dieu unique.
La communauté internationale s’indigne, mais pas seulement. A Tombouctou des groupes de musulmans maliens s’organisent pour protéger les mausolées auprès desquels depuis dix siècles leurs ancêtres prient. Les salafistes n’inventent rien. Détruire pour impressionner les perdants ou établir un nouvel ordre, d’autres l’ont fait avant eux. Petit voyage dans le temps.
En 2009, l’Etat Chinois a protesté lors de la vente aux enchères à Paris de statuettes provenant du pillage en 1860, par des troupes anglaises et françaises, du palais d’été de l’Empereur de Chine. L’ordre du monde il y a un siècle et demi n’était pas exactement celui du XXIe siècle. La Grande-Bretagne, puissance coloniale régnait sur les Indes et voulait accéder à l’immense marché chinois.
Pour forcer l’empereur de Chine à ouvrir ses frontières, la Grande Bretagne envoie en 1860, 12 000 soldats à la conquête de Pékin. Sur leur route se trouve le palais d’été de l’empereur, une immense demeure riche de trésors de l’art chinois. Les soldats l’investissent détruisent et pillent ce qu’il y a à piller : des meubles, des bijoux, des oeuvres d’art parmi lesquelles les deux statuettes vendues aux enchères à Paris, d’autres sont dans des musées et des bibliothéques à Londres et aux Etats-Unis. Napoléon III s’était associé à cette aventure chinoise en envoyant 8000 soldats français qui ont participé au saccage.
L’épisode du palais d’été est célèbre en Chine, beaucoup moins en France et en Angleterre. Un texte celèbre de Victor Hugo fait allusion à la peu glorieuse expédition . Voici ce qu’il en dit : « il y avait dans un coin du monde, une merveille du monde cette merveille s’appelait le palais d’été. (…) Un jour deux bandits sont entrés dans ce palais, l’un a pillé, l’autre a incendié. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’orient. ( …) Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Je proteste, les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés. Les gouvernements sont quelques fois des bandits, les peuples jamais. »
Au regard de l’histoire, la Chine ne peut pourtant pas s’en tirer à si bon compte.
Un siècle plus tard ce pays, victime en 1860, devient barbare. Pendant la révolution culturelle d’abord quand les gardes rouges tentent d’effacer les vestiges du passé. Que serait-il advenu, entre leurs mains, des statuettes du palais d’été ? Et puis surtout lors de l’occupation du Tibet. L’invasion chinoise au Tibet, les déplacements de populations, la colonisation de peuplement, s’est accompagné de la destruction et de la disparition de centaines de monastères, de statues et de monuments historiques tibetains. Avant l’occupation chinois, le pays comptait plus de 6000 monastères, en 1979 il en restait une quinzaine.
A Athénes le Parthénon a été détruit par les Perses, puis reconstruit et à nouveau détruit en 1687 par les Vénitiens. Plus près de nous en 1993 lors des guerres successives dans les Balkans les forces croates se sont acharnés sur le pont de Mostar jusqu’à sa destruction. Ce pont construit en 1566 symbolisait le passé ottoman de la région et le lien unissant les communautés croates et bosniaques vivant de part et d’autres des rives de la Neretva. Les Croates ont voulu détruire ce symbole qui avait résisté aux bombardements de la seconde guerre mondiale et au passage des tanks nazis.
En France, les révolutionnaires de 1789 ont descellés quelques statues. Celle de Louis XIV abattue en 1792, elle se trouvait au centre de ce qui est aujourd’hui la place Vendôme à Paris; celle d’Henri IV au Pont-Neuf détruite la même année. Les révolutionnaires effaçaient du paysage les symboles de l’ancien régime. Quelques décennies plus tôt dans ce siècle, le même Louis XIV, alors monarque absolu et très catholique, faisait détruite les Temples protestants dans les Cévennes tentant pour venir à bout de » l’hérésie » huguenote. Ces destructions ont été inutiles: on apprend toujours Louis XIV dans l’histoire de France et les protestants sont restés bien implantés dans les Cévennes.
Pendant la deuxième guerre mondiale les Allemands dans la France occupée ne se sont pas privé de faire disparaître des centaines de statues, mais pour des raisons moins idéologiques et plus pragmatiques: ils avaient besoin de métal et de fonte pour leur industrie d’armement.
Avant les salafistes à Tombouctou d’autres musulmans intégristes se sont signalés par leur intolérance réligieuse. En 2001 en Afghanistan, les Talibans ont détruit les gigantesque Bouddhas de Bamyan, vestiges du 3e et 7e siècles, témoignages d’une culture et d’une civilisation antérieure à l’arrivée de l’Islam sur ces terres afghanes.
En Somalie dans les années 2010/2011 les islamistes Shebabs ont détruit des mausolées de mystiques soufis considérés comme des idolâtres hérétiques par les intégristes. Comme au Mali, ces fous d’islam ne tolèrent pas la version populaire et modéré de l’ islam tel qu’il est pratiqué en Afrique. Des « saints » y intercédent entre dieu et les hommes, c’est inacceptable dans une vision totalitaire de l’islam qui se réfère à un dieu unique et tout puissant.
Au nord du Mali, les salafistes ont déclaré qu’ils détruiraient les mausolées même s’ils se trouvaient à l’intérieur des mosquées. Ils ne reconnaissent pas la notion de « patrimoine mondial de l’humanité » et considèrent » que les infidèles n’ont pas à s’occuper de leurs affaires ». Cette fois, ce sont eux les barbares.
En 2012 l’histoire de l’humanité n’a pas encore suffisamment évolué pour empêcher le geste archaïque qui consiste à massacrer des foules ou à détruire un édifice religieux à coups de pioche. Encore un effort ! Du temps, des guerres, des indignation, des morts, des souffrances sont encore nécessaires pour y parvenir.