Le fonctionnement des départements français d’outre-mer oblige à poser cette question. L’éloignement, la taille des marchés, l’histoire coloniale, la spécificité des territoires ont créé des monopoles parfois administrés, parfois de fait, qui sont remis en question aujourd’hui. Le temps de la transparence serait-il venu ? On peut rêver ou espérer.
En septembre 2011, Victorin Lurel, alors président PS du conseil régional de Guadeloupe demandait au gouvernement Sarkozy, de geler pour six mois, par décret, le prix des carburants dans les stations services de l’archipel. Bonne idée. Un an plus tard, ministre d’un nouveau gouvernement socialiste, il n’a pas lui-même gelé ces prix, avec l’aval du gouvernement auquel il appartient. Pourquoi ?
Une réponse claire compréhensible par tous, la société civile, l’opinion publique, le citoyen lambda établirait enfin la nécessaire de transparence à la fixation des prix dans ces îles. Mais est-ce possible ?
La visite du ministre en Guadeloupe au début du mois de septembre a apporté quelques éclairages, mais M Lurel n’a pas répondu clairement. En l’écoutant et en lisant entre les lignes, nous avons bien compris qu’il était lié par un décret de novembre 2010, dont il ne porte pas la responsabilité. Mais un autre décret n’était-il pas envisageable ? Nous avons compris qu’il était urgent d’attendre, qu’il ne voulait pas passer en force, et qu’il misait sur des négociations qui vont avoir lieu grâce aux outils contenus dans la nouvelle loi qui va être mise en oeuvre.
Un ministre au pouvoir doit bien comprendre qu’une population, des électeurs, des consommateurs ne peuvent pas passer leur temps à attendre et garder confiance. Il faut des preuves et jouer carte sur table, alors que dans cette affaire le consommateur a la désagréable impression d’être pris en otage par ceux qui ont les cartes en main: les producteurs et les distributeurs de carburants, maîtres du jeu, l’Etat qui ne fait pas la transparence et peut-être les syndicats, qui ne disent pas tout. Comme si une « omerta » régnait sur cette question.
Dans ces conditions le LKP a beau jeu de revenir à la charge en parlant de « magies et de mensonges » lorsque la baisse de 6 centimes du carburant dans l’hexagone se traduit en Guadeloupe par une hausse de 2 centimes. Comment ne pas être tenté de le croire ? Expliquer que les baisses d’exportation en Irak et en Norvège sont la cause de ces hausses fait à peine sourire l’automobiliste qui retourne de plus en plus fréquemment prendre ses » trente » euros de carburants et voit son pouvoir d’achat diminuer.
Le seul geste qui peut à la fois apaiser et éclairer la situation est la publication des chiffres, les vrais. Quel est le résultat annuel de la Sara, le raffineur ? D’o๠vient le pétrole qu’il raffine ou qu’il revend, à quel prix ? Quel est le chiffre d’affaire des stations, quelles marges sont réalisées ? Sont-elles excessives ou pas ?
On observe que dans l’hexagone o๠la concurrence joue, les prix sont plus bas qu’en Guadeloupe. La concurrence serait donc plus avantageuse pour le consommateur que le monopole administré. Vive le système libéral alors, mais qu’en pense le LKP ? Et qu’en pensent les patrons guadeloupéens qui semblent tenir à ce monopole administré ? C’est le monde à l’envers dans cette île : des patrons qui réclament le contrôle de l’Etat et des syndicats qui veulent voir jouer la concurrence. Comment s’y retrouver ?
Il faut savoir une fois pour toute dans cet archipel, et le ministre peut le dire, si l’éternel prétexte de l’insularité, du marché réduit, qui impose en effet certaines contraintes est ou n’est pas l’argument qui cache des rentes de situation et des abus dont le consommateur fait les frais. Et ce qui est vrai pour le carburant l’est pour les autres produits.
L’occasion est là d’instaurer la transparence ou d’embrouiller encore une fois les cartes. » Ce ne sera pas facile ». Le pouvoir politique est confronté à des décennies, des siècles, » d’exclusivité », d’habitude et de pratiques, de positions économiques dominantes que tous les pouvoirs ont cautionnées, et sur lesquelles l’opinion publique doit enfin obtenir la part du vrai et du faux.
Victorin Lurel a trouvé » opulente » les marges réalisées sur les carburants en Guadeloupe par la Sara et les distributeurs ( de 8 à 15 %). Plus récemment pointant cette fois les stations services il a indiqué que les marges sont de 12 centimes par litre à la distribution alors que dans l’hexagone ces marges sont de 1 centimes, et parfois moins dans les grandes surfaces qui utilisent le carburant comme prix d’appel.
Les exploitants de station service n’ont pas tardé à réagir pour dire qu’il ne fallait pas toucher à leur marge, ni à l’arrêté de 2010. » Ce n’est pas chez nous qu’il faut chercher les abus » a dit leur représentant. Une station a baissé le rideau. Menace ?
Nous savons qu’en Guadeloupe o๠le service est assuré par des pompistes, sur chaque litre quelques centimes sont prélevés, pour leurs salaires et leurs charges. Ailleurs et en particulier dans l’hexagone, mais aussi partout en Europe depuis longtemps les stations sont automatisées. Moins de personnel, moins de charges font quelques centimes de moins à la pompe. La plupart des automobilistes en Guadeloupe sont d’accord pour payer quelques centimes de plus pour sauvegarder plus de 1000 emplois, mais est-ce la seule et la bonne explication aux hausses ? Que se passe-t-il au niveau du raffinage, du transport, de l’origine du pétrole brut et du carburant raffiné ? Des zones d’ombre existent vaguement soulevées lors du mouvement social de 2009, mais jamais vraiment clarifiées. C’est le moment.
Comment le gouvernement va négocier si la discussion commence par : » Si vous touchez à nos marges, on ne peut plus fonctionner. » Est-ce la réalité ou la menace de paralyser l’archipel si l’Etat cette fois décide d’aller jusqu’au bout ? Les pétroliers ont été assez puissants pour faire limoger un ministre qui leur demandait simplement des garanties de sécurité sur les forages en Guyane. L’Etat n’a même pas tenté de résister.
Yves Jego, un ministre qui a mal fini, mais qui n’a pas dit que des bêtises indiquait en 2009 que la Sara dégageait des marges allant de 15 à 50 millions d’euros. Confortable. Plus récemment il a dit qu’agir sur les prix des carburants en Guadeloupe reposait sur une volonté politique. Il sait de quoi il parle. Son gouvernement l’a limogé et n’a pas fait preuve d’une grande volonté politique, en cédant aux pressions locales. Quelle est la capacité du nouveau ministre à résister à ces pressions et à négocier un cadre réglementaire qui joue plus en faveur de la population que des monopoles. Réponse dans les mois qui viennent.
Pour terminer, un pouvoir politique responsable ne peut pas aborder la question du prix du carburant sans s’interroger sur les transports collectifs. Baisse des prix ou pas, une autre question se pose en Guadeloupe et en Martinique : celle de la circulation automobile.
Le parc automobile, les routes, la pollution ne peuvent pas augmenter indéfiniment sur un aussi petit territoire. Il va falloir mettre en oeuvre des alternatives crédibles, hors bricolages habituels, au tout automobile.
Il faut imaginer des transports en commun qui fonctionnent, pourquoi pas des trams en site propres, bref des solutions qui permettraient par exemple d’aller du Moule à Pointe-à -pitre et d’en revenir en échappant aux inévitables et interminables embouteillages des heures de pointe. Karukera, l’île aux belles eaux doit-elle avoir des embouteillages comme ceux de la banlieue parisienne ? Franchement non, cette idée même est insupportable et pourtant nous y allons tout droit si rien ne se passe.