L’épandage aérien, la question des pesticides, de l’empoisonnement des terres ne constituent que la partie visible d’une question plus large dont l’enjeu est le devenir économique et social de la Guadeloupe. Dans cette tribune, Alain Plaisir, donne son analyse de la question bananière et en appelle a de vraies alternatives.
Le ministre des outre-mers n’ayant pu supporter que plusieurs associations et partis politiques, dont le CIPPA, regroupés dans le collectif contre l’épandage aérien aient gagné une première manche au Tribunal Administratif, a cru bon voler au secours des planteurs de bananes. En attaquant sur le plan économique : «Quant aux donneurs de leçons lorsqu’ils vont se retrouver avec deux cent mille tonnes de bananes sur les bras, je voudrais bien voir leurs propositions? » il pense ainsi, dans un pays o๠le chômage sévit d’une manière dramatique, retourner une partie de l’opinion publique.
Si on comprend bien les propos du ministre (ex président de la Région Guadeloupe) la banane serait menacée à cause de l’irresponsabilité de quelques écologistes qui ne comprennent rien à l’économie.
Nous avons le regret de dire que le ministre se trompe une fois de plus. La mort de la banane d’exportation est programmée depuis longtemps et c’est ni la faute de la cercosporiose, ni celle du collectif. Rappelons que le quota de 150 000 tonnes de bananes attribué à la Guadeloupe dans le cadre de l’Organisation Commune du Marché de la banane n’a jamais été atteint. Actuellement la production est d’environ 60 000 tonnes.
En réalité la banane est condamnée à mort par le libre-échange, dont monsieur Lurel est un fervent partisan.
Pour comprendre les difficultés de la banane, il faut remonter à 1993. Jusqu’à cette date la banane Guadeloupéenne avait (comme à l’époque coloniale) un débouché naturel et protégé qui était le marché de la « métropole « .
Dès le 19 Février 1993, la Colombie, le Costa-Rica, le Venezuela, le Nicaragua ont sollicité des négociations avec la communauté européenne aux Accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). En français : Accord Général sur les Tarifs douaniers et le commerce) dans le but de libéraliser le marché de la banane à leurs exportations. Les discussions ayant achoppé, les Etats requérants ont intenté une action en Avril 1993, devant les instances du GATT. En janvier 1994 les experts du GATT ont estimé que certaines dispositions de l’OCM banane, n’étaient pas conformes avec les règles de l’Accord général sur les Tarifs douaniers et le Commerce.
Les nouvelles négociations entre la communauté européenne et les pays latino- américains ont permis d’aboutir en 1994, à la conclusion d’un accord cadre sur la banane. Suite à cet accord, les droits de douane sur l’importation des bananes (dollars) ont baissé de 25%. Les aménagements concédés par la Communauté à certains pays latino- américains n’étaient pas suffisants malgré tout aux yeux des multinationales américaines, notamment la Chiquita Brand International. C’est dans le cadre de la mondialisation qu’a été défini, le principe de la clause de la nation la plus favorisée, qui stipule que chaque pays membre doit traiter de manière identique les produits » similaires » Il est illégal de discriminer entre différents fournisseurs étrangers de produits similaires, tous devant être favorisés au même titre.
C’est à partir de ce principe, que les multinationales américaines qui produisent des bananes en Amérique centrale ont pu attaquer l’Union européenne en lui contestant le droit d’accorder un régime préférentiel aux bananes des pays ACP.
Le 1er janvier 2006, l’Union Européenne se met en conformité avec l’Organisation Mondiale du Commerce en appliquant un nouveau régime d’importation.
Le système du quota est remplacé par un tarif douanier unique de 176 euros par tonne pour les pays tiers, et des droits nuls pour les bananes Afrique Caraïbe Pacifique traditionnels. Il n’y a plus de limitation des importations pour les pays tiers à condition de payer les 176 euros. Ces droits de douane ont été abaissés à 150 euros en 2009, 141 en 2010, ils vont baisser progressivement, pour atteindre 114euros la tonne en 2017. D’autres accords de commerce multilatéraux ont été conclus dans la foulée entre l’Union Européenne et la Colombie, ainsi que le Pérou. Des négociations de libre-échange sont en cours avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay).
Le désarmement tarifaire demandé par l’Equateur à la fin de l’année 2007 auprès de l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC semble le scénario le plus probable à l’horizon 2013
Dès lors, le déclin de la banane des Antilles française s’accélère et va encore s’accélérer. On recensait 215 exploitations en 2010, soit moitié moins qu’en 2003. La Surface Agricole Utile s’est contractée de 40% sur la même période. Plusieurs milliers d’ouvriers agricoles se sont retrouvés au chômage
Certes les planteurs (surtout les gros) continuent à percevoir des subventions de l’Union Européenne, mais ces subventions vont également se tarir à terme, car elles proviennent des droits de douane perçus sur les importations, or ces droits de douanes vont disparaitre progressivement dans le cadre du libre-échange. Il est temps que les Guadeloupéens le sachent définitivement, l’Union européenne ne fait pas de philanthropie. Les subventions pour la banane ne sont qu’une partie des recettes douanières sur les importations des bananes des pays tiers qui ont bondi à 600 millions d’euros en 2006, à la suite de la suppression des quotas.
Les gros planteurs savent qu’il n’y a pas d’avenir pour la production de banane aux Antilles françaises. Ils ont commencé leur reconversion en commercialisant des bananes venant d’autres horizons. Avec l’aide financière de la Région Guadeloupe, ils ont acheté, il y a quelques années, une murisserie dans la région parisienne
Sans banane et avec une terre impropre à certaines cultures, ils ont déjà trouvé le prétexte pour livrer, dans quelques années, leurs terres à la spéculation immobilière. Ainsi, après avoir empoisonné les sols de la Guadeloupe, ils s’apprêtent à bétonner les dernières terres agricoles qui nous restent.
Le problème de la banane n’est pas un problème sectoriel, il permet de comprendre les menaces qui pèsent non seulement sur la santé des Guadeloupéens, mais sur le devenir économique et social des Guadeloupéens. C’est pour cette raison que le CIPPA milite pour une alternative politique.
(1) Comité d’Initiative Pour un Projet Politique Alternatif