400 à 500 persones ont manifesté le 1er juin dans les rues de Pointe-à -Pitre, en Guadeloupe, pour s’opposer à l’épandage aérien de pesticides sur les champs de bananiers. Une pratique interdite mais autorisée par une mesure dérogatoire. L’accumulation des pollutions dans l’archipel a poussé ces personnes dans la rue.
Une manifestation dans les rues de Pointe-à Pitre contre des pratiques industrielles et agricoles qui mettent en danger les grands équilibres de la vie, cela n’arrive pas tous les jours. Ce n’était même jamais arrivé de mémoire de manifestants.
Le pari n’était pas gagné d’avance, Le fait est acquis qu’une majorité de la population en Guadeloupe n’est pas prête à se mobiliser contre des pratiques mettant en danger la nature, l’environnement et en conséquence la santé publique. Population individualiste, consommatrice, sous influence … C’est dans un assourdissant silence que s’est déroulée l’affaire du chlordécone, toujours pas réglée, plus de dix ans après sa mise en lumière. Ce pesticides utilisé pendant des années a empoisonné pour plusieurs siècles la terre, la mer et les rivières en Guadeloupe.
Fallait-il avec la reprise de l’épandage aérien de pesticides rester une fois de plus spectateur d’une histoire qui se répète. Fallait-il accepter la menace d’un effet cocktail, mélange de plusieurs pesticides, sur lequel aucune étude n’existe ? Plusieurs associations et syndicats regroupés autour d’un collectif ont pensé que non. Suivis à deux reprises en 2012 par le tribunal administratif de Basse-Terre, qui a interdit l’épandage aérien, ces organisations n’ont trouvé que la rue pour se manifester à nouveau lorsque la préfecture a accordé une nouvelle dérogation aux planteurs et que le ministère de l’agriculture a fait appel des décisions du tribunal administratif. L’Etat, comme au temps du chlordécone a privilégié le soutien à un secteur économique subventionné, plutôt que la santé de la population et la protection de l’environnement.
Succés ou échec de cette manifestation ? 400 personnes dans la rue ne vont pas faire trembler les planteurs, ni la préfecture. Au-delà de 2000 ou 3000 personnes mobilisées un rapport de force aurait pu s’exercer, mais ce n’est pas le cas.
Cette manifestation est pourtant un succés. Ces quelques centaines de personnes étaient là , suffisamment visibles dans les rues de Pointe-à -Pitre pour interpeller les passants, les téléspectateurs si des images passent sur les écrans.Tiens cela arrive en Guadeloupe, mais qu’ont-ils à manifester ? Ces personnes minoritaires dans la population, sont porteuses d’un message qui concerne chaque habitant de cet archipel: Attention danger, si rien ne se passe, la Guadeloupe sera effectivement et irrémédiablement, dans quelques années, le » monstre chimique » décrit par le journal » Le Monde ».
Sur un tel sujet d’ailleurs, devrait-il encore être question de rapport de force ? La force de quoi de qui ? Car au fond les empoisonneurs sont aussi les empoisonnés.
Le ton général de la manifestation, les personnes présentes, le message porté devraient inciter à une approche différente. Il n’est pas question de statut ici, d’augmentation de salaires, de courbes des prix, de licenciement, d’importation ou d’exportation mais d’un bien commun à tous : la Terre, la santé de nos proches et de nous-mêmes. Ce sujet devrait être prioritaire sur les autres: le statut de la Guadeloupe ? Quelle importance si la terre et les rivières sont polluées ! Les vacanciers continueront-ils à venir ? Des résidents actuels, Guadeloupéens ou pas, ne préfèreront-ils pas quitter l’île ? Quel sera la prix de la terre ?
Les augmentations de salaires ? Quelles importances si le nombre des cancers se développent, si on ne peut plus pêcher dans les rivières ?
Un ministre de l’agriculture, le dernier à avoir accordé une dérogation pour le chlordécone dans les années 1990, a avoué publiquement bien des années plus tard que si c’était à refaire, » il privilégierait la santé publique plutôt qu’un secteur de l’économie. » C’était bien de le dire, mais le mal était fait.
Alors faisons un rêve. Si au lieu d’être un « monstre chimique », d’être le » laboratoire des pollutions durables » la Guadeloupe devenait un autre laboratoire : celui des solutions trouvées, des alternatives possibles, des « objectifs de reconquête » pour une mer et une terre propres. La taille de l’archipel se prête à ce projet : comment après avoir cédé à toutes les facilités chimico – économico- industrielles, un territoire se reprend et se réorganise. Ce serait un bel enjeu, exemplaire au-delà des côtes de la Guadeloupe. Mais pour le réaliser, il faudrait une vision, une ambition politique et environnementale, une population engagée, prête à le soutenir. Un rêve auquel pensaient quelques uns en défilant samedi matin dans les rues de Pointe-à -Pitre.