La réforme électorale en Guadeloupe: les raisons de vêtir son habit de citoyen

« On n’élit pas un représentant du peuple, comme on écoute un disque » dit en conclusion de son article, Claude Edmond, qui veut inciter les Guadeloupéens à  revêtir leur costume de citoyens.La loi de mai 2013 modifie en profondeur l’élection des conseillers départementaux, municipaux, communautaires et le calendrier électoral. Pour espérer agir sur les événements, il faut les comprendre.

 Le calendrier électoral est modifié au même titre que le mode de scrutin. Ainsi, l’élection des membres du conseil départemental (et non plus général) est reportée d’une année. A l’instar de l’élection des membres du conseil régional ou de l’érection des collectivités territoriales de Guyane et de Martinique (article 47), elle se tiendra en mars 2015 avec un renouvellement intégral tous les 6 ans (et non plus de moitié tous les 3 ans).

Par ailleurs, les conseillers départementaux (et non plus généraux) seront désormais élus selon un mode de scrutin binominal (et non plus uninominal). Ainsi, le fait d’élire en même temps deux candidats dans un même canton, réduit de moitié le nombre de cantons. De surcroît, la règle de parité stricte entre homme et femme tient à  s’appliquer (articles 3 et 4).

Département: redécoupage des cantons en 2015, des déséquilibres et des « erreurs » démographiques à  corriger

Le découpage cantonal a été présenté comme une volonté du gouvernement de corriger les déséquilibres démographiques parfois importants entre cantons. Les disparités de population peuvent être flagrantes.

A titre d’illustration, Pointe-à -Pitre dispose de 3 cantons pour 16 550 habitants. Marie-Galante 3 cantons (1 pour chacune des 3 communes) pour 11 926 habitants. Basse-Terre 2 cantons pour 12 145 habitants. Les Saintes (2 communes) un canton pour 2 981 habitants. La Désirade un canton pour 1 646 habitants. Dans le même temps, Baie-Mahault ne bénéficie que d’un seul et unique canton pour 30 775 habitants. Désormais, le redécoupage électoral se fera essentiellement sur le critère de la démographie (article 46 III a).

Au 1er janvier 2013, la population totale de la Guadeloupe était de 409 905 et le nombre de cantons de l’ordre de 40. En application de la réforme, le nombre est divisé par deux et passe donc à  20 à  compter des élections cantonales de mars 2015. Soit une moyenne de 20 495 habitants par canton.

Toutefois, afin de se conformer à  une jurisprudence constante du conseil constitutionnel, la population de chaque nouveau canton du département pourra varier de ou – 20% pour tenir compte des zones rurales moins peuplées.

Yves COLMOU, préfet et conseiller du ministre de l’Intérieur, a été nommé par Manuel Valls pour superviser la nouvelle carte électorale. La procédure de consultation se dessine de la manière suivante.

D’abord, les préfets recueillent l’avis des présidents des conseils généraux et des principaux élus de chaque département. Ensuite, le bureau des élections du ministère de l’Intérieur fait une proposition. Après, la proposition est soumise à  l’avis consultatif des assemblées délibérantes départementales. Enfin, la proposition est soumise à  l’avis du Conseil d’Etat. Au final, un décret est pris pour chaque département avant les élections municipales de mars 2014.

Intercommunalité: le 30 aout 2013 la composition des conseils communautaires doit être achevée

L’article L.5211-6-1 VII du code général des collectivités territoriales (CGCT) organise le nombre et la répartition des conseillers communautaires entre les différentes communes membres de la communauté de communes ou d’agglomération. Initialement, la composition du conseil communautaire devait avoir lieu avant le 30 juin 2013. L’article 38 de ladite loi du 17 mai 2013 reporte cette échéance de deux mois. Soit au 31 ao ût 2013.

Cette composition anticipée s’explique par le fait que les conseillers communautaires seront en mars 2014 élus concomitamment aux conseillers municipaux, au suffrage universel direct. L’adoption du dispositif de fléchage introduit une distinction des listes communale et intercommunale sur le même bulletin de vote.

Ainsi, les communes de 1 000 habitants et plus (l’intégralité des 32 communes de Guadeloupe) auront deux mois supplémentaires pour délibérer à  la majorité qualifiée (2/3 des conseillers municipaux représentant plus de la moitié de la population totale ou la moitié des conseils municipaux représentant les 2/3 de la population totale) sur la composition de l’organe délibérant de la structure intercommunale dont elles sont adhérentes.

Il est important que les conseils municipaux disposent d’un projet identique sur la future composition du conseil communautaire sur lequel ils devront délibérer dans des termes identiques.

EN MARS 2014, ON ELIRA DES CONSEILLERS MUNICIPAUX ET COMMUNAUTAIRES

Les conseillers municipaux et communautaires sont élus au scrutin de liste à  deux tours, avec dépôt de listes comportant autant de candidats que de sièges à  pourvoir. Toutefois, la liste des délégués intercommunaux est majorée d’un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à  cinq et de deux dans le cas inverse.

En mars 2014, les conseillers communautaires seront élus en même temps que les conseillers municipaux. Ils figureront donc sur la liste des candidats au conseil municipal. Ainsi, la loi consacre le lien organique entre les deux mandats puisque nul ne peut être conseiller communautaire s’il n’est pas conseiller municipal.

Autrement dit, sur le même bulletin de vote seront indiquées séparément une liste municipale paritaire (article L.2121-2 CGCT) et une liste intercommunale paritaire (article L.5211-6-1-III CGCT).

Par ailleurs, le premier quart des candidats aux sièges de conseillers communautaires doit être placé en tête de la liste des candidats au conseil municipal. En outre, la totalité des candidats au conseil communautaire doit être comprise dans les trois premiers cinquièmes des candidats au conseil municipal.

Enfin, lorsque le nombre de sièges de conseiller communautaire à  pourvoir (augmenté de 1 ou 2), excède les 3/5 des conseillers municipaux, les candidats aux sièges de conseiller communautaire figurent dans l’ordre de présentation dans lequel ils apparaissent sur la liste des candidats au conseil municipal.

LA REPARTITON DES SIEGES

Au même titre que le conseil municipal, les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection (article L.262 code électoral).

Au 1er tour de scrutin, il est attribué à  la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés (au 2è tour, attribué à  la liste qui a obtenu le plus de voix), un nombre de sièges égal à  la moitié du nombre de sièges à  pourvoir. C’est le principe de la prime majoritaire. Les autres sièges sont répartis entre les listes (qui ont obtenu au moins 5% des suffrages exprimés) à  la représentation proportionnelle à  la plus forte moyenne.

Pour chacune des listes (municipale et communautaire), les sièges sont attribués dans l’ordre de présentation des candidats. L’opposition sera dorénavant représentée au sein du conseil communautaire. Le déficit démocratique confine aujourd’hui l’assemblée délibérante dans le rôle de chambre d’enregistrement voire d’acclamation plutôt qu’une agora du débat contradictoire. A terme, l’élection des conseillers communautaires dans le cadre d’une circonscription intercommunale (et non communale) devrait asseoir définitivement leur légitimité politique.

Réveil de l’esprit civique contre charcutage électoral

Le risque d’un découpage cantonal transformé en charcutage électoral semble balisé au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Jadis, le redécoupage dit politique (Defferre ou Pasqua) permettait d’éliminer le candidat jugé indésirable à  qui il fallait beaucoup plus de voix que dans le canton voisin (en grâce de sainteté avec le pouvoir en place) pour se faire élire.

A l’évidence, c’est une victoire du droit sur l’arbitraire. Et pour être complet, ce succès doit se conjuguer avec le réveil de notre esprit civique. Pour ce faire, l’individu guadeloupéen doit se dévêtir de son haillon de tous les jours pour se revêtir de son costume ou son tailleur de citoyen ou citoyenne. Car après tout, il n’y a d’homme ou de femme que de citoyen ou citoyenne.

Ainsi, nous pourrons en toute légitimité nous inscrire en faux contre la diatribe de George Ritzer, professeur de sociologie au College Park de l’Université du Maryland :  » on élit un représentant comme on écoute un disque « .

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour