Epandage aérien: planteurs et citoyens argumentent dans l’espace public

On va reparler d’épandage aérien en Guadeloupe et en Martinique. Pour nourrir le débat nous publions la réaction des planteurs après la décision de suspension prise par le tribunal administratif de Fort-de-France en Martinique, suivie de la réponse du collectif Vigilance-citoyenne en Guadeloupe qui est opposé à  l’épandage de pesticides dans l’air Comment dépassionner le débat ? Echapper aux points de vue partisans, aux accusations de racisme et aux postures insidieusement méprisantes qui laisseraient entendre que de « doux écologistes », qualifiés « d’intellectuels » de surcroît – seraient illégitimes, voire incompétents à  donner leur point de vue dans un espace public enfin ouvert.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ouvrir l’espace public et ne plus laisser les décisions qui nous concernent tous se prendre en petit comité, dans les couloirs du pouvoir ou les cabinets ministériels. Bref, ne pas laisser agir que les lobbies.

Si les mots transparence et démocratie ont un sens, c’est par là  qu’il faut commencer. Si nous en somme là  aujourd’hui, c’est parce les pratiques et le financement de l’industrie bananière en Martinique et en Guadeloupe ont manqué de transparence, notamment lors de l’affaire du chlordécone. L’épandage aérien, la santé publique, les choix de l’Etat de subventionner telle ou telle activité agricole, nous concernent tous. A chacun d’entre nous de se faire une opinion, l’enjeu est, dans un camp, la sauvegarde d’un marché, celui de la banane d’exportation, artificiellement soutenu, par l’argent public; et dans l’autre, la santé publique, la qualité des sols et de l’eau déjà  bien fragilisés par des pollutions antérieures. Les pêcheurs de Martinique ne diront pas le contraire. D.L

Voici deux textes: d’une part l’argumentation des planteurs au lendemain de la décision de justice de suspendre l’épandage aérien en Martinique; d’autre part un commentaire-réponse de l’association collectif vigilance-citoyenne, crée en janvier 2013 en Guadeloupe.

Répercussions financières et fragilisation de la banane sur le marché français



Le texte publié le 29 ao ût par Nicolas Marraud des Grottes, président de Banamart Francis Lignières, président des producteurs de Guadeloupe et Eric de Lucy, président de UGPBan

« Apres la décision du Tribunal administratif de Basse-Terre du 5 Juillet 2013, le Tribunal Administratif de Fort-de France a prononcé le mercredi 28 ao ût 2013 la suspension de l’épandage aérien des fongicides indispensable à  la lutte contre les Cercosporioses noire et jaune du bananier.

Ces deux décisions, identiques dans leur sens mais très différentes dans leur motivation, auront des conséquences à  la fois immédiates et à  plus long terme sur nos exploitations et sur l’avenir de la filière banane dans nos régions de Guadeloupe et Martinique.

Les conséquences négatives au plan économique et social sont encore difficiles à  évaluer; surtout au regard des conditions climatiques qui sont actuellement favorables à  la propagation des champignons.

En effet, le risque de dégradation de la qualité des bananes exportées, d û à  l’arrêt d’une technique de traitement permettant une gestion intégrée et centralisée de la lutte contre ces pathologies, est de nature à  fragiliser considérablement notre place sur les marchés français et européens avec des répercussions financières pour les producteurs.

Par cette décision très peu explicite quant aux motifs retenus, les producteurs de Guadeloupe et de Martinique se voient privés de la technique la plus efficace, harmonisée et contrôlée pour le traitement de la Cercosporiose noire, maladie classée par les experts de la FAO comme l’un des 10 fléaux pouvant menacer la sécurité alimentaire mondiale et la santé publique.

Nous rappelons qu’aucune autre technique terrestre n’est à  ce jour suffisante en elle-même pour endiguer la propagation fulgurante de cette maladie et qu’à  cet égard, le traitement par la voie aérienne reste à  ce jour le seul outil efficace et permettant la mise en Å“uvre d’un strict contrôle des autorités étatiques sur les conditions de déroulement des opérations d’épandage.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est utilisée partout dans le monde. Même les pays producteurs de banane bio font régulièrement appel à  cette technique de lutte qui met en Å“uvre des moyens technologiques perfectionnés, permettant un dosage très précis des produits utilisés, de limiter leur dérive et de réduire le nombre de traitement des parcelles infectées.

Nous rappelons que l’ensemble des produits utilisés font l’objet d’une homologation et qu’ils sont parfaitement autorisés par les autorités françaises et européenne compétentes pour leur utilisation tant par voie terrestre que par voie aérienne, et que leur utilisation est réalisée en parfaite conformité avec la législation.

La filière de Guadeloupe et Martinique déploie de nombreux moyens dans le domaine de la traçabilité de chaque opération de traitement et dans la recherche active de techniques de traitement terrestre alternatives et viables, en coopération avec les organismes de recherches nationaux ( CIRAD, IRSTEA ..) et internationaux ( Embrapa au Brésil, INISAV à  Cuba …) , qui mènent des recherches depuis plusieurs années, et dont les études sont actuellement toujours en cours.

Ainsi, le Plan Banane Durable mis en application depuis 2008 par notre filière a fait de notre production la plus propre du monde, un tel effort n’est donc pas reconnu à  sa juste valeur.

Notre filière est également à  l’initiative d’une collaboration exemplaire dans le cadre du plan INTEREG Banane durable caraïbe visant à  la mise en place d’une stratégie régionale pour le contrôle de la maladie. Certaines îles de la Caraïbe comme Sainte-Lucie voient leur production menacée de disparition après l’apparition en 2009 de la Cercoporiose noire, avec toutes les conséquences socio-économiques induites.

D’autre part, le processus judiciaire est loin d’être terminé. Les Tribunaux Administratifs de Fort de France et de Basse Terre n’ont pas encore rendu leurs décisions sur la légalité des arrêtés préfectoraux rendus, ayant seulement suspendu leurs effets jusqu’à  ce que cette décision sur le fond intervienne.

La décision du Tribunal administratif de Basse Terre du 5 juillet 2013 a déjà  fait l’objet d’un recours en cassation par le Ministre de l’Agriculture.

Les producteurs de Guadeloupe et de Martinique se réuniront dans les tous prochains jours afin de prendre les décisions quant aux suites procédurales à  donner à  cette situation unique et particulièrement contraignante à  laquelle la Guadeloupe et la Martinique sont les seuls au monde à  être confrontés. »

Respect de la loi, des hommes et de la santé publique

réponse de Didier Jeanne, pour le collectif vigilance-citoyenne :

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« Je me vois contraint de rappeler à  ces producteurs que l’épandage aérien est interdit par arrêté européen car il est considéré comme dangereux et toxique. Il a été identifié comme toxique pour les populations qui vivent aux abords des zones épandues, autrement dit l’on a constaté que les agriculteurs et les habitants de ces zones étaient intoxiqués par les biocides utilisés.

Il faudra bien que les producteurs de banane accèdent à  la compréhension que deux iles de même pas un million d’habitants, ne pourront pas fournir de façon soutenable des bananes à  600 millions de personnes.

Dans cette histoire l’état porte sa part de responsabilité dans la mesure ou il a laissé les bananes de Guadeloupe et Martinique être subventionnées de façon extravagante (Un niveau d’aide hors normes ( page 450 du rapport de la CDC). 15.000 euros d’aide à  l’hectare là  ou la moyenne nationale est de … 500 euros l’aide à  l’hectare !

Aussi au vu de ces chiffres (cour des comptes 2011), comment imaginer que les réelles motivations des planteurs puissent être autres que simplement financières.

La Guadeloupe et la Martinique sont déjà  passablement imbibées de Chlordécone pour les mêmes raisons que veulent faire prévaloir les producteurs de bananes.

Je voudrais éviter de devoir citer le rapport INSERM de Juin 2013 sur les pesticides en France et notamment dans nos chères Guadeloupe et Martinique, je ne voudrais pas faire état de l’enquête en France et dans les DOM sur les pollutions des cours d’eau et rivières et qui là  encore cible particulièrement la Martinique, j’aurais voulu ne pas parler des consultations et autres problématiques d ûes au produits chimiques utilisés dans l’agiculture et qui sont des perturbateurs endocriniens …

Aussi messieurs les producteurs, ne croyez pas que les juges des tribunaux administratifs de Basse-Terre ni de Fort de France, se font abuser par de sordides écologistes manipulateurs … ces juges font prévaloir le principe de précaution et tout simplement la santé publique (dont le co ût des préjudices que vous causez revient beaucoup plus cher à  l’Etat que la seule disparition de la filière banane qui de toute façon sera remplacée par d’autres productions plus saines…)

Ces juges font purement et simplement preuve de bon sens et de respect de la loi et des hommes ! »

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour