La demande de produits « bio », assurés sans pesticides existe, l’offre est insuffisante. A l’exception de quelques pionniers, l’impression générale est que la culture bio n’ intéresse personne en Guadeloupe et au premier chef, les décideurs, ceux qui auraient d û insuffler sur ce territoire fragile, des stratégies et des politiques moins dommageables à la terre et à l’environnement La France, parmi les pays européens est connue pour son intérêt tardif à la culture bio, pour son soutien à une agriculture dite conventionnelle et pour l’utilisation massive de pesticides et de produits chimiques. 3,5% des terres agricoles sont consacrés en France à la culture bio, contre 8,6% en Italie, 17,2% en l’Autriche et 6% en Allemagne. Plus de 8 millions d’hectares bio sont cultivés en Amérique du sud et ce chiffre tend à augmenter.
Les gouvernements changent, mais le constat demeure que les lobbies d’une agriculture productiviste, associée à la chimie de synthése, sont actifs et écoutés . 5kg de pesticides par hectares cultivés sont utilisés en France.
Un marché de près de deux milliards d’euros pour ceux qui les produisent. Une affaire qui tourne.
Dans ce contexte, la Guadeloupe apparait comme très bon élève de l’agriculture conventionnelle et mauvais élève de l’agriculture bio. En 2011, le bio couvrait 0,2% de la surface agricole utile (SAU), un peu comme si le plan agriculture bio développé dans le cadre du Grenelle de l’environnement de 2007, n’avait pas traversé l’Atlantique jusqu’à ce lointain département français d’Outre-mer. Allez savoir pourquoi ?
Au mois de septembre 2013,un document de la direction de l’agriculture et de la forêt avance des hypothéses qui expliqueraient un pareil déficit:
– En premier lieu, le faible niveau de rémunération des mesures bio accordées par la puissance publique et les difficultés pour les obtenir. Le surco ût de main d’oeuvre lié à l’agriculture biologique est sous-évalué par ces mesures. Les financements publics qui vont en masse à l’agriculture conventionnelle échappent ainsi au bio.
– Le climat chaud et humide propice aux maladies et aux parasites ne facilite pas une agriculture sans chimie de synthése.
– Les surfaces agricoles diminuent, » les meilleurs terrains sont prisés par l’agriculture conventionnelle… Les terrains disponibles pour la bio sont localisés dans des zones difficilement mécanisables, ce qui augmente les co ûts de production. »
– Un agriculteur bio doit s’installer sur une terre » propre ». » Il est difficile de produire bio si tous les voisins sont en conventionnel. Puis il y a le chlordécone, beaucoup d’agriculteurs bio sont sur la Grande Terre, notamment à Morne-à -l’eau. »
L’ombre du chlordécone reste présente en la Guadeloupe. La commune de Morne-à -l’eau l’une des plus épargnée, réfléchit à son développement, et entend consacrer une partie de son territoire à l’agriculture biologique. Affaire à suivre. Ce n’est par hasard que son maire, M Lombion, a été le seul de la Guadeloupe à prendre position sans ambiguïté contre l’épandage aérien de pesticides.
Autre pièce au dossier, l’enquête realisée en avril et mai 2013, par l’association Gwadagri, composée d’étudiants de l’école d’ingénierie agronome de Rennes . Pour réaliser ce mémoire de fin d’études les futurs ingénieurs ont rencontré la plupart des acteurs du secteur, leur travail constitue au final une bonne synthése de la situation. Leur état des lieux n’est pas complaisant : ils critiquent le manque de volontarisme et d’engagement des pouvoirs publics, mais pointent aussi la faiblesse d’organisation de la filière bio. Bref, l’essentiel reste à faire. Le » bio est possible en Guadeloupe » affirment-ils.
Leur constat: » La Guadeloupe reste un territoire très agricoles (31 400 hectares cultivés soit le tiers de la surface de l’île). Toutefois les surfaces agricoles diminuent ( 41 600 hectares en 2003). A ce rythme si l’immobilier, le tourisme et l’urbanisation se poursuivent, dans trente ans, il n’y aura plus de terres cultivées en Guadeloupe. »
» L’agriculture guadeloupéenne est encore orientée vers l’exportation des deux grandes monocultures canne et banane qui occupent l’essentiel des terres et captent la plus grande part des financements publics. »
Hormis la culture de la banane et de la canne, les exploitations sont de petites tailles et peu spécialisées ( maraîchage, melon, ananas, cultures florales, élevages)
– L’état des lieux souligne le manque de spécialisation : » plus d’un agriculteur sur deux à un deuxième métier »; ainsi que le vieillissement de la profession.
Il est fait état également du chlordécone, de la forte contamination des sols et du problème de santé publique posé.
Comme freins à l’agriculture bio, les étudiants notent le climat, l’instabilité de la production et un » fort scepticisme » ambiant vis à vis d’une agriculture sans intrants.
L’analyse tend à démontrer que le bio sera possible en Guadeloupe si les pouvoirs publics changent d’attitude et appuyent les producteurs bio jusqu’alors livrés à eux-mêmes, sans appui technique ni système de formation et de développement. De 2000 à 2002, le GDA-Bio a bénéficié du financement d’un technicien spécialisé, qui fut sans suite. On peut se demander pour quelle raison.
Le dossier des élèves ingénieurs agronomes décrit au fond une situation assez simple: en Guadeloupe l’agriculture conventionnelle, exportatrice, grande utilisatrice d’intrants et de pesticides a toujours dominé, parfois même jusqu’à l’aveuglement. Sinon, il n’y aurait jamais eu » l’affaire du chlordécone ». Le bio est resté entre les mains de militants convaincus, mais peu organisés, sans moyens et sans soutien des pouvoirs publics, entièrement accaparés par le productivisme ambiant, lucratifs et capteurs de subventions.
En 2013, le contexte a changé. La demande de produits bio existe, le niveau d’information et de connaissance des consommateurs est meilleur, le temps n’est plu o๠l’on pouvait faire avaler n’importe quoi à n’importe qui. Au propre comme au figuré. Le moment semble opportun pour donner à la fois de la visibilité et une structure à la filière bio.
Le défaut des producteurs bio de Guadeloupe est le manque d’organisation. Le GDA bio existe mais tous les producteurs de la Guadeloupe n’y adhèrent pas, la filière est « hétérogène et fragile » reprochent les partenaires institutionnels potentiels tels, la Région, la DAAF, la Chambre d’agriculture. Les producteurs de bananes pour ne citer qu’eux, sont structurés, organisés et parlent généralement d’une seule voix. C’est plus facile pour négocier des dossiers de subventions. Pour qu’une filière bio émerge en Guadeloupe il est indispensable que les producteurs se regroupent, mutualisent leurs ressources et leurs compétences, bref se structurent, de la production à la vente.
Le rapport stipule que le GIE Bio a perdu le marché des cantines de Gosier, sans raison apparente, sinon celle, supposée d’un manque de régularité dans les approvisionnements.
L’accés à l’information et à la formation pour les producteurs bio est nécessaire. Pourquoi aucun agriculteur bio ne perçoit les primes spécifiques outre-mer qui s’élève à 800 euros la tonne produite ? Manque d’informations, difficulté à monter les dossiers, problème de communication ? C’est à éclaircir.
La population et les consommateurs sont en attente d’une autre agriculture, en Guadeloupe et ailleurs. On constate chaque jour que le modèle productiviste conventionnel, qui a eu son heure de gloire, pour diverses raisons, est à son terme. Le moment est venu, non pas de revenir à … , mais de se souvenir d’une agriculture traditionnelle créole qui nourrissait les familles et faisait du bio sans le savoir. C’était avant le banol, le chlordécone et autre tilt 50.