Le décés de Jean-Claude Courbain a attristé tous ceux qui l’ont connu. Un homme juste, à l’indignation intacte et à l’ouverture d’esprit sans faille. Pour lui rendre hommage, nous publions un texte de Emile Ernatus, au nom de la revue Etudes Guadeloupéenne.
C’est avec une profonde tristesse que le Comité de Rédaction de la revue Etudes Guadeloupéennes a appris le décès brutal de Jean-Claude Courbain. Il tient à présenter à sa famille et à ses proches ses sincères condoléances.
Jean-Claude Courbain était un soutien fidèle de la Revue Etudes Guadeloupéennes depuis sa création en 1989. Il ne manquait jamais de nous faire part de ses conseils, de ses avis éclairés et de ses critiques. Il a contribué au n° spécial « Mé 67 » paru en mai 2008, en nous livrant un article « Lycéens et étudiants pointois en mai 67, en mémoire à Christian, Max et Victor ».
Lorsque nous l’avons sollicité pour la préparation du mémorial Cyril Serva en juillet 2011, c’est sans hésitation qu’il a répondu présent. Membre du Comité de pilotage du Mémorial, il en a été une des chevilles ouvrières par ses talents d’organisateur, la qualité de ses contacts et l’efficacité de son travail de médiatisation. Nous lui devons beaucoup pour le succès de cette manifestation en janvier 2012.
Nous avons demandé à Emile Ernatus qui l’a bien connu de lui rendre un hommage au nom du Comité de Rédaction des Etudes Guadeloupéennes.
» J’ai rencontré Jean-Claude pour la première fois en 1965. Cela peut paraître insolite : nous nous sommes connus au club interac, placé sous l’obédience du Rotary Club. Mais, bien vite, le type de débats et d’actions de ce club de jeunes ne correspond pas tout à fait à la philosophie des dirigeants rotariens de l’époque. Le club interac est rapidement mis en sommeil, mais pas les activités ni l’engagement de Jean-Claude autour de ce qui constituait le coeur des préoccupations de la jeunesse des années 60 : la recherche identitaire et la situation sociale et politique en Guadeloupe.
Comme beaucoup de jeunes de cette époque, Jean-Claude milite au CCEG (Cercle Culturel des à‰lèves et à‰tudiants Guadeloupéens). Il s’agit pour ces jeunes de valoriser un héritage culturel, en particulier littéraire, trop souvent ignoré ou dénigré. D’une façon générale, et sans esprit de chapelle, il participe à tous les groupes, mouvements ou cercles de réflexion, pourvu que soient mis en avant la désaliénation et l’émancipation du peuple guadeloupéen. C’est ainsi qu’il participe à la diffusion de la revue » Conscience Antillaise » et dans un domaine plus strictement politique, au groupe » La Vérité « .
Beaucoup d’entre nous se souviennent du cyclone Inès qui a dévasté la Guadeloupe en septembre 1966. Pointe-à -Pitre est particulièrement touché dans le quartier de Lauricisque. à€ cet endroit se trouvaient les cases qui avaient été déplacées lors de la première rénovation urbaine. Avec quelques copains, Jean-Claude se rend régulièrement à Lauricisque pour se mettre au service de ceux qui ont besoin d’une aide. Toujours à la recherche d’un engagement, il participe à la campagne législative de mars 1967 avec le candidat soutenu par le groupe » La Vérité »
Puis arrive mai 67. Les ouvriers du bâtiment ont entamé une grève avec leur syndicat » Fraternité ouvrière « . Après un échec des négociations, ponctué par la présence des forces de répression, il y a de violents affrontements entre manifestants et CRS. Les premières victimes tombent sous les balles de la CRS.
Dans l’après-midi du 26 mai, je ne sais pas encore ce qui s’est passé ; je croise Jean-Claude à la rue de Nozières, la démarche déterminée, poings et visage fermés, le regard rempli de colère. On se parle à peine ; il s’éloigne ; je ne le reverrai qu’un an plus tard, après son séjour en prison. Parce que ce vendredi 26 mai, la répression est terrible. Les » képis rouges » remplacent la CRS. Ils tirent sur tous ceux qui leur semblent suspects ; les Noirs ou les jeunes ; les jeunes et les Noirs. Ceux qui courent ; ceux qui marchent trop vite ; ceux qui regardent sans marcher ; ceux qui sont dans un corridor noir qui assistent à la veillée de ceux qui ont déjà été tués.
Au lendemain d’un tel massacre, Jean-Claude va à Baimbridge à la rencontre des lycéens. C’est courageux quand on connaît les risques que l’on prend et qu’on les prend malgré la peur. A cet égard, ces lycéens sont courageux. Ils savent que les gardes mobiles ont tué et peuvent encore le faire. Et ils ont à leur tête d’autres jeunes comme eux, déterminés et courageux.
C’est pour cela que Jean-Claude est arrêté. Mais en prison à Basse-Terre, il ne baisse ni les bras, ni la tête. Avec ses camarades d’infortune, avec le soutien d’autres Guadeloupéens courageux de l’extérieur, il organise la lutte contre la répression.
Au procès de Pointe-à -Pitre, un an plus tard, l’accusation s’effondre. Les accusés victimes sortent victorieux d’un procès alibi.
Quelques années plus tard on retrouve Jean-Claude avec des responsabilités professionnelles, il est statisticien, mais avec la même conviction forte : il faut agir pour le pays et pour sa population.
De retour en Guadeloupe, après un séjour en Guyane o๠il était directeur de l’INSEE, il cherche à se rendre utile. Il se rapproche de la revue « Etudes Guadeloupéennes » qui prépare le » Mémorial Cyril Serva « , afin de prolonger, en guise de commémoration, la philosophie et l’action de son fondateur. Il participe activement à la préparation et à la réalisation de ce mémorial de Janvier 2012, au cours duquel, en association avec Alex Lollia, il prononcera une remarquable communication. Comme pour tous les projets auxquels il adhère, il se donne à fond et ne compte pas son temps. Il prend des contacts, sait convaincre les hésitants, fait disparaître les réticences.
Dans le prolongement de ce mémorial, un voeu lui était cher : l’investissement des médias pour mieux faire avancer la réflexion sur le pays. C’est d’ailleurs en pleine action pour la collectivité guadeloupéenne et pour le Droit que la mort le surprend. Voilà donc quel homme, quel camarade de lutte, l’ami qui nous quitte.
Le sourire, la bonne humeur et la gentillesse de Jean-Claude vont manquer à tous.
Nous ne pourrons jamais oublier sa rigueur, sa capacité d’indignation contre les injustices, Son amour pour la Guadeloupe, mais également sa jovialité. «