Les 30 novembre et 1er décembre derniers, s’est tenu à Fort-de-France en Martinique, le 18e colloque organisé par le CEREAP (Centre d’Etudes et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques) dont Dominique Berthet, professeur des Universités, est à la fois le fondateur et le responsable « L’Art consiste à résister par la forme au cours du monde »
ADORNO
Les colloques du CEREAP, qui se situent chaque année depuis 1995 à la même période -1er week-end de décembre-, se déroulent alternativement une année en Martinique, l’année suivante en Guadeloupe. Ils approfondissent annuellement un thème qui fait également l’objet d’un numéro de la revue Recherche en Esthétique. Dans la continuité des deux derniers colloques qui portèrent sur » Le trouble » et sur » Transgression(s) « , ce 18e colloque invitait à un approfondissement de la réflexion, à partir du thème » Art et engagement « .
La vocation de ces colloques, qui font appel à des sommités en matière de recherche universitaire, est d’être en premier lieu un instrument de réflexion théorique sur l’Art. Une réflexion théorique qui a vocation à être collective, chaque intervention étant suivie d’un débat dans lequel le public intervient.
Ainsi Marc Jimenez, en ouvrant le colloque, rappelle que l’Art est une arme. La création, parce qu’elle se veut résistance à une culture dominante, manifeste toujours un engagement.
Dominique Chateau, qui lui succède, place le débat au niveau de la réception de l’Å“uvre. Se référant à la théorie de Jean-Louis Baudry à propos des » dispositifs » mis en place pour rendre le sujet captif, il s’intéresse à l’engagement de certains artistes qui, tel Bransky, à travers une pratique qui relève du street art, » despécifient » les dispositifs artistiques.
Pour Bruno Pequinot, les performances d’un artiste comme Christian Bertin sont autant de prises de position esthétiques et politiques, dans le contexte social de la Martinique. Tandis que, de son côté, une artiste comme Luz Sévérino fait la distinction entre art engagé et art politique.
Comment l’artiste peut-il penser l’engagement dans son environnement contemporain ?
Valérie Arrault se penche sur l’exhibition de l’intime depuis les années 60, avec Larry Clark. Se découvrir resterait la seule aventure possible permettant de combler le vide laissé par la fin des idéologies.
De son côté Dominique Berthet s’interroge sur les interventions « en commando » de collectifs » activistes » qui remettent en cause, à travers l’anonymat, le statut de l’artiste tout autant que la survalorisation de l’Art et sa marchandisation.
Parallèlement à cette opportunité donnée aux chercheurs de venir enrichir la réflexion d’enseignants-chercheurs, les colloques du CEREAP offrent aussi aux artistes de Martinique et de Guadeloupe la possibilité de présenter leur démarche et de s’interroger sur leurs propres pratiques artistiques. Les invitant à se positionner par rapport à d’autres pratiques.
Deux artistes vivant en Martinique vont décliner, pour clore la première journée, la notion d’engagement en se référant à leur pratique. Sentier déclare faire de la figure de l’Ange, en référence à Durer, l’allégorie d’une posture de rupture, tout en revendiquant sa singularité. Quant à Bruno Pedurand, à l’opposé, dans une communication intitulée » Dissidence et droit de retrait », rappelle la place de l’Autre dans la production de l’oeuvre, véritable chaîne de coopération.
La journée du dimanche va être consacrée à la présentation de quelques artistes engagés originaires de pays emblématiquement proches de la Martinique.
C’est d’abord le cas de Breyten Breytenback, en Afrique du sud, dont l’ouvrage All One Horse, recueil de textes et d’aquarelles publié en 1987 après sa sortie de prison, est présenté par Laurette Celestine.
Puis, c’est au tour de Sophie Ravion-D’Ingianni de nous emmener à Cuba, pour nous présenter la démarche de l’artiste Tania Bruguera pour qui l’Art – travers ses performances, installations et vidéos – constitue une arme pour la liberté d’expression.
La brésilienne Anarkia Boladona, adepte du mouvement » Pixaçao » est présentée par Hugues Henri. Graffeuse féministe, cette artiste appelle à lutter contre les violences faites aux femmes, tout en revendiquant pour elles la liberté sexuelle.
Le rapport entre » iléité » et création artistique est envisagé à travers deux exemples. L’un, présenté par Richard Conte, concerne Tahiti avec Jean-Paul Foresy. Cet artiste, qui procède à des opérations de suture de failles naturelles dans des roches plus ou moins inaccessibles, occupe une posture que l’on pourrait qualifier de » dégagement créatif « . L’autre concerne La Réunion o๠de nombreux artistes, présentés par Isabelle Poussier, se positionnent dans leurs créations comme des gardiens de mémoire, tout en affirmant leur identité créole et en cherchant à entrer en dialogue avec le monde.
En clôture : hommage à Michel Rovelas, un homme totalement engagé dans son art.
C’est à Patricia Donatien qu’il revenait de clôturer ce colloque en évoquant la dernière exposition de Michel Rovelas, en juin dernier à L’ARTCHIPEL de Basse-Terre, dans une communication au titre emblématique : » Quand parlent les bambous « . Faisant référence aux propos de Diderot déclarant » Le pire de l’esclavage c’est l’assoupissement », Michel Rovelas n’avait-il pas intitulé son exposition qui regroupait des sculptures en bambou, des peintures et des encres de Chine représentant des femmes violées par des Minotaures » Mythologies créoles : les anciens toujours existants et bien vivants ? »
Cette évocation fut l’occasion, pour Dominique Berthet, de rappeler l’engagement politique de celui qui peut être considéré comme le Père qui ouvrit aux Guadeloupéens les portes d’une peinture faite par eux et pour eux. Dans une démarche visant à changer la société. Manifestant un engagement qui, s’il a échoué à atteindre son but, reste grand par idéal poursuivi.
» Il faut imaginer l’artiste heureux … »