» Les 300 000 pièces que le musée du Quai-Branly abrite à Paris, constituent un véritable trésor de guerre en raison du mode d’acquisition de certaines d’entre elles , » écrivait en 2006 au président Chirac, Aminata Traoré, essayiste et ancienne ministre de la culture du Mali. Restituer les « prises de guerre » à leurs propriétaires quand la guerre est finie semble aller de soi. Et pourtant … Daniel Matias, nous explique pourquoi la France à parfois » mal à la tête » et pose la question si sensible du » deux poids, deux mesures. »
L’Etat français vient de restituer trois tableaux en dépôt dans des musées français depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale aux ayants droit de leur propriétaire. Près de 2 000 objets spoliés à des juifs pendant l’Occupation sont toujours entreposés dans les musées – les MNR. Une décision que l’on ne peut que saluer et qui rappelle – si nécessaire – l’ignominie du régime de Vichy.
Cette initiative de la France ne peut faire oublier la scandaleuse attitude dont elle fait preuve à l’égard d’autres peuples dont le patrimoine a été pillé. Les musées nationaux – et en premier lieu le Quai Branly – sont remplis d’oeuvres d’art envoyés dans l’hexagone du temps des conquêtes et des colonies au mépris de leur importance historique, religieuse, politique ou culturelle pour les peuples concernés.
En la matière, la France ne respecte pas une vingtaine de résolutions de l’ONU votées entre 1973 et 2006. Ainsi la résolution 3187 votée en 1973 précise que la restitution des Å“uvres d’art » constitue une juste réparation du préjudice commis par ces transferts massifs et presque gratuits (…) du fait de la présence coloniale » (art. 1).
La résolution assigne au patrimoine culturel le même rapport au temps : » l’héritage culturel conditionne dans le présent et l’avenir l’épanouissement artistique d’un peuple et son développement intégral « . Le même principe est réaffirmé dans la Charte culturelle de l’Afrique adoptée en 1976 par l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Mais il y a plus grave : la France détient toujours la tête du grand chef kanak Ataï qui, en 1878, prit la tête d’une rébellion pour protester contre les spoliations foncières de l’administration coloniale.
Aux pieds du gouverneur Léopold de Prizbuer, l’histoire raconte qu’il avait déversé deux sacs, l’un rempli de bonne terre et l’autre de cailloux : » voilà ce que nous avions, voici ce que tu nous laisses « , avait-il lancé. La rébellion fut sauvagement réprimée (plus d’un millier de Kanaks furent tués), Ataï fut assassiné puis décapité, sa tête placée dans un bocal d’alcool avant d’être expédiée au Musée d’Ethnographie du Trocadéro, à Paris.
Durant les années 2000, alors que les Kanaks continuent de revendiquer son retour au pays, elle est officiellement perdue (1). Puis retrouvé en juillet 2011, dans les réserves du Jardin des plantes, à Neuilly-sur-Seine.
L’été dernier, Jean-Marc Ayrault s’est engagé à l’occasion d’une visite en Kanaky à restituer la tête. Nous sommes en mars 2014, les Kanaks attendent toujours. Conscient de sa responsabilité, le gouvernement fait tout son possible pour retrouver les ayants droit des biens juifs spoliés pendant l’Occupation notamment à travers la mise en place d’un groupe de travail créé à cet effet. On aimerait que l’Etat français fasse preuve de la même célérité à l’égard d’un peuple victime de la barbarie coloniale.
Le mot de la fin à Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme :
» Eh quoi ? Les indiens massacrés, le monde musulman vidé de lui-même, le monde chinois pendant un bon siècle, souillé et dénaturé, le monde nègre disqualifié, d’immenses voix à jamais éteintes, des foyers dispersés au vent, tout ce bousillage, tout ce gaspillage, l’Humanité réduite au monologue, et vous croyez que tout cela ne se paie pas ? »
(1) A noter l’excellent roman de Didier Daeninckx sur le sujet : Le Retour d’Ataï (2002).