Troisième chronique qui restitue des drames de la vie quotidienne en Guadeloupe dans le cercle privée de la famille et dans la rue, le quartier o๠des jeunes gens « à l’âge du possible » br ûlent des vies « sans illusions ».
Tribunal correctionnel de Pointe-à -Pitre, 25 mars 2014
Sabine (1) est en larmes dans le prétoire. Nous sommes en huis-clos partiel ( le public est exclu de la salle d’audiences) afin de juger son ex-compagnon pour violences sexuelles et violences volontaires. L’affaire remonte à 2009, après dix-huit ans de vie commune et trois enfants. Pris de jalousie depuis que sa femme travaille, Patrick, sous l’effet de l’alcool, l’agresse et la contraint à des rapports sexuels. Les enfants sont témoins de cris et voient même leur père menacer de tout casser dans la maison, une masse à la main.
» Pas très romantique la masse ! » commente la juge pour souligner l’absence de consentement.
En toute logique, Patrick, » qui brille par son absence » note l’avocate de la défense, devrait être jugé pour viol conjugal, passible des assises mais Sabine a préféré la requalification des faits afin d’éviter une lourde peine à son ancien compagnon. On sait que le viol fait l’objet d’un déni tenace, que les victimes sont seulement 8% à porter plainte (2). Mais c’est encore bien pire pour les viols conjugaux : seules 2% des victimes parviennent à franchir le pas. Et ce n’est que très récemment que le viol conjugal a été reconnu et pénalisé par le droit français : en 2010, le législateur supprime du Code pénal la mention de la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel, remettant ainsi en cause l’obligation de devoir conjugal entre époux en vigueur depuis 1810.
La juge cite l’expertise médicale et psychologique de la victime qui fait état d’un stress post-traumatique. Sabine était vulnérable, sous l’emprise de son mari, en état de soumission par peur d’être violentée et pour protéger ses enfants. Plus de quatre ans après les faits,
« Elle a toujours honte de ce qui s’est passé. Aujourd’hui, c’est le huis-clos de la honte pour ma cliente » souligne l’avocate qui réclame 25 000 euros de dommages et intérêts. La substitute du procureur entame ensuite un réquisitoire sans appel contre le mari et demande que l’on reconnaisse le statut de victime de Sabine pour qu’elle puisse se reconstruire. » Dans une société en proie à la violence, on ne peut pas transiger. Je réclame donc une peine de deux ans ». Pour l’exemple. Verdict : trois ans dont deux avec sursis, 5 000 euros de dommages et intérêts et une expertise médicale. Reste à se reconstruire…
Dans Le Livre noir des violences sexuelles (3), Muriel Salmona, psychiatre-psychothérapeute dénonce l’absence de prise en charge globale, médicale, sociale et judiciaire des victimes : » Actuellement les victimes n’ont pas accès à des soins adaptés. Il faudrait qu’il y ait dans chaque département un centre de soins gratuits dédié aux victimes et des réseaux de prise en charge avec des professionnels formés et compétents, cela ne représente pas énormément d’argent en plus « .
Un peu plus tard dans l’après-midi, deux jeunes de 20 ans – en détention provisoire – étaient jugés pour des faits de violence avec arme (fusils à pompe) commis aux Abymes à l’encontre d’un gamin du même âge. A l’annonce du verdict (trois et quatre ans ferme), leurs visages étaient éteints. Sans illusion. Ils retournaient derrière les barreaux, dans la machine à déshumaniser, surpeuplée, crasseuse, ultraviolente. Là aussi, un peu d’argent en plus ne serait pas superflu pour les aider à préparer leur sortie de prison. Aidons les victimes. Toutes les victimes. Ces deux êtres broyés par la société à » l’âge du possible » mériteraient qu’on les aide aussi.
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Selon le Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance.
(3) Editions Dunod, 2013.