Départementalisée/assimilée en 1946, la Guadeloupe a toujours résisté au projet d’évolution statutaire, dans une sorte » d’éternel acte manqué » dit Claude Edmond. La réforme territoriale va mettre fin au statu quo. L’archipel guadeloupéen va cesser d’être un département puisqu’il n’y aura plus de département en France. Regard sur un dossier complexe.
» IL SE PEUT QUE LA VERITE SOIT TRISTE »
Ernest RENAN
A l’inverse de la Guyane et de la Martinique, les multiples travaux des élus réunis en congrès, n’ont jamais pu aboutir à un consensus autour d’un projet guadeloupéen. A cet éternel acte manqué, c’est le droit commun qui continue à s’appliquer au même titre que la métropole. Avec la suppression du département, notre choix viscéral et constant de l’assimilation nous imposera malgré nous une collectivité unique. A ce jour, cette perspective est vécue comme la première marche vers l’escalier de la séparation avec la « mère patrie ».
Le paradoxe de l’histoire, cette simple réforme administrative octroyée par Paris, semble être la seule voie possible pour contourner le statut quo institutionnel dans lequel s’est installée la Guadeloupe. Au fil du temps, elle a pris go ût jusqu’à s’enivrer.
En outre, le veto populaire issue de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 semble écarté : « aucun changement ne peut intervenir sans que le consentement des électeurs ait été préalablement recueilli « . La Guadeloupe pourra-t-elle se remettre de cette amputation institutionnelle ! Les plus récalcitrants pourraient être tentés de paraphraser
la formule de François Mauriac : « j’aime tant la Guadeloupe, que je préfère qu’il y en ait deux collectivités »
En réalité, notre archipel redeviendra unijambiste comme jadis. Simplement, la région issue des lois de décentralisation de 1982 se substituera au département né de la loi dite d’assimilation de 1946. Finie donc la cohabitation sinon la synergie apparente de deux assemblées devenues concurrentes. Qui sait d’ici 2021 la Guadeloupe trouvera sa propre voie : un statut négocé plutôt qu’imposé d’en haut. Après tout, là il y a une volonté, il y a un chemin.
Dans sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014, le premier ministre Manuel VALLS a formulé quatre propositions en matière de réforme territoriale : réduire de moitié le nombre de régions en 2017. Dessiner une nouvelle carte intercommunale avant 2018. Supprimer la clause générale de compétence des régions et départements. Abroger le département d’ici 2021.
Dans un contexte économique contraint, la recherche d’une meilleure articulation et rationalisation des politiques locales est devenue une nécessité absolue. Le mille-feuille territorial est décrié pour son manque d’efficacité réelle de l’action publique et dénoncé comme source de dérives budgétaires.
Cette confusion des rôles de l’Etat et des collectivités territoriales affaiblit la légitimité des décideurs locaux au regard des citoyens et entreprises. Pour y remédier,à l’image de la Grande-Bretagne et de l’Italie, le 1er ministre a franchi une nouvelle étape en faisant le choix de la suppression d’un échelon local.
Les effets conjoncturels de la crise des finances publiques poussent l’Etat à évoluer pour s’adapter aux besoins d’une société en mouvement. Un Etat qui reporte ses charges sur les collectivités locales tout en réduisant ses dotations. En outre, la réforme de la fiscalité locale a conduit à la réduction du pouvoir fiscal des élus,à l’exception du bloc communal.
En s’inspirant du rapport d’information du sénat du 8 octobre 2013 sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, le 1er ministre propose de réduire de moitié le nombre de régions. A priori, devenues plus fortes, les régions seront mieux armées pour conduire des politiques d’investissement et préparer les territoires aux enjeux stratégiques de demain.
Toutefois, la puissance économique d’une région n’est pas liée uniquement à sa démographie ou à sa superficie. Son attractivité repose sur les compétences exercées et les moyens dont elle dispose. Une clarification de ses prérogatives s’impose. La région doit être le niveau local o๠s’exerce les attributions stratégiques : formation professionnelle, développement économique, politique de l’emploi. D’autant plus, que la région est amenée à devenir à terme, l’espace économique de l’intelligence ajoutée des territoires.
Le 1er ministre propose de dessiner une nouvelle carte intercommunale fondée sur les bassins de vie à compter du 1er janvier 2018. A ce jour, la carte intercommunale est pratiquement parachevée. On dénombre 2 145 regroupements à fiscalité propre dont 1 903 communautés de communes et 222 communautés d’agglomération. Ce résultat est le fruit de plus de 400 opérations de redécoupage au cours des années 2012 et 2013 (créations, fusions ou extensions).
Au plan national, les communautés d’agglomération regroupent en moyenne 22 communes et 122 000 habitants tandis que les communautés de communes rassemblent 16 communes et 14 400 habitants. Cette situation trouve son explication dans l’inégale répartition de la population sur le territoire de métropole. En effet, 80% des 36 000 communes de l’hexagone ont moins de 2 000 habitants et 57% des communes ont moins de 500 habitants.
La problématique se pose avec moins d’acuité sur notre territoire. D’o๠la légitime interrogation sur le bien fondé de la transposition mécanique de cet étage intercommunal supplémentaire dans une architecture administrative déjà suffisamment embouteillée, obsolète et inefficace.
En Guadeloupe, les 404 635 habitants sont répartis dans 32 communes (toutes ont plus de 1 000 habitants) et regroupés au sein de 2 communautés de communes (Sud-Est Grande-Terre 4 communes pour 67 592 habitants et Pays Marie-Galante 3 communes pour 11 404 habitants) et 4 communautés d’agglomération (Cap Excellence 3 communes pour 105 575 habitants, Sud Basse-Terre 11 communes pour 83 213 habitants, Nord Basse-Terre 6 communes pour 75 931 habitants et Nord Grande-Terre 5 communes pour 57 773 habitants).
Pour une population et un nombre de communes quasiment égaux à ceux de la Guadeloupe, la Martinique (392 291 habitants et 34 communes) dispose seulement de 3 communautés d’agglomération composées de 4, 12 et 18 communes.
La Guyane compte pour 237 549 habitants, 22 communes, 3 communautés de communes et 1 communauté d’agglomération. On dénombre 5 communautés d’agglomération à la Réunion pour 828 581 habitants et 24 communes. La Corse pour 314 486 habitants et 360 communes compte 27 communautés de communes et 2 communautés
d’agglomération.
La clause de compétence générale autorise chaque collectivité territorialeà agir dans tout domaine d’intérêt local, dès lors que la prérogative n’a pas été exclusivement attribuée à une autre collectivité. Autrement dit, elle permet d’agir même en l’absence d’un texte prévoyant leur intervention. De ce fait, elle est considérée comme un facteur de complexité de l’action publique locale.
Elle est à l’origine de la confusion des compétences et de l’enchevêtrement de politiques concurrentes exercées par les différents échelons locaux sur un même territoire.
De surcroît, elle est jugée dispendieuse, car génératrice de surco ût pour les finances publiques. En outre, elle accroît les financements croisés pour la mise en oeuvre d’un projet, dilue la responsabilité des décideurs locaux et ne
facilite pas la compréhension des citoyens et des entreprises sur le « qui fait quoi « . Au final, les interventions des collectivités territoriales deviennent redondantes, souvent mal coordonnées et source de dépenses inutiles.
Fort de toutes ces réserves, l’article 73 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé la clause de compétence générale aux régions et aux départements. Elle a ainsi introduit le principe du caractère exclusif des compétences. Néanmoins, les départements et les régions gardaient leur capacité d’initiative dans les cas non prévus par la
loi, c’est-à -dire ceux non attribués à un niveau de collectivité. Par ailleurs, les prérogatives en matière de tourisme, du sport et de la culture ont été reconnues comme étant des attributions partagées entre les 3 échelons. En outre, la loi du 16 décembre 2010 a encadré le dispositif des délégations de compétences entre les départements et les régions. Et afin de clarifier les
interventions publiques sur le territoire régional, la loi de 2010 a prévu un schéma d’organisation des compétences et de mutualisations des services.
L’article 1er de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale rétablit la clause de compétence générale aux départements et régions. En définitive, le 1er ministre prend à contre-pied une mesure du gouvernement précédent auquel il appartenait. Décision qui devait rentrer en applicationà compter du 1er janvier 2015.
Le département est souvent décliné comme le niveau local de trop dans le cadre d’une rationalisation des structures locales. Le conseiller territorial institué par l’article 1er de la loi du 16 décembre 2010 est apparu comme la première phase de la suppression future du département. Ce dispositif mort-né a été abrogé par l’article 48 de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires et modifiant le calendrier électoral.
La commission pour la libération de la croissance en France présidée par Jacques Attali, dans un rapport publéen janvier 2008 (décision 260) propose de « faire disparaître » en 10 ans l’échelon départemental. Le comité pour la réforme des collectivités territoriales de mars 2009, sous la présidence d’Edouard Balladur, envisage de » favoriser les regroupements volontaires de
départements » Ironie de l’histoire. Les conseils départementaux auxquels la loi Valls du 17 mai 2013 (scrutin binominal paritaire, réduction de moité du nombre de cantons, renouvellement intégral des conseillers départementaux) était censée apporter
une nouvelle modernité à partir des élections de mars 2015, sont sacrifiés sur l’hôtel de la rationalisation de la carte administrative locale.