Dernière chronique avant les grandes vacances. Cinq ans après les faits ( janvier 2009) des jeunes de Petit-Canal passaient devant le tribunal pour avoir dressé des barrages sur la route.
Tribunal correctionnel de Pointe-à -Pitre, 20 mai 2014
» Il y aura un jour une rue du 23 janvier 2009 !
» C’est un cri de révolte. « Nous sommes face à des héros, pas des délinquants « . L’avocat de la défense s’en prend avec force à la justice française. Pendant qu’il fait appel à la mémoire des luttes sur l’archipel (la grève de 1925 à Petit-Canal, les révoltes de 1952, 1967, etc.), une des deux juges assesseures s’endort. Comme un symbole. Il faut dire que l’affaire jugée n’est pas banale : le parquet a décidé de poursuivre douze jeunes de Petit-Canal pour avoir érigé des barricades et détruit des épaves pour des faits remontant à la nuit du 23 au 24 janvier 2009, à l’époque de la mobilisation populaire du LKP. L’avocat ne se prive pas de pointer la décision inique de les juger plus de cinq ans après les faits, de convoquer ceux-là , les plus faibles, plutôt que d’autres qui ont les moyens et ce qu’il faut d’influence pour échapper à la justice.
» Juger c’est comprendre, mais les prévenus doivent comprendre aussi pourquoi ils sont au tribunal. Quel sens donner à cette audience alors que l’histoire récente nous montre que les gros bananiers peuvent bloquer un aéroport sans être poursuivis ? »
La juge égrène les faits et a l’honnêteté de souligner que les jeunes se sentaient mis de côté, sans travail et qu’une partie d’entre eux avaient une conscience politique.
» J’ai entendu l’appel du LKP, il fallait se mobiliser » dit l’un. » On se sentait invisible. On n’était pas préparé pour un mouvement comme ça. On a été débordé »Â» ajoute un autre qui déclare courageusement » si on devait le refaire, on le referait mais pas de la même façon « . Une position partagée par la quasi-totalité des jeunes présents. Poubelles, jardinières et feux de branchage sur la voie publique, voitures renversées, gendarmes atteints par des pierres mais aucun blessé, si l’on excepte une légère blessure à la main d’un représentant des forces de l’ordre. Et aucune partie civile, la mairie de Petit-Canal ayant retiré sa plainte quelques semaines auparavant. Ces événements auraient pu être l’occasion de faire le procès des médias guadeloupéens : » On voulait qu’on parle de nous. Si on défile avec une banderole, la télé n’en parle pas « .
La juge, qui s’était faite remarquer dès le début de l’audience en demandant d’un ton hautain à un jeune de ne pas mâcher de chewing-gum alors que l’une de ses deux assesseures était en train d’en mastiquer un de façon ostensible, fait preuve d’une certaine compréhension : » on ne maîtrise pas forcément ce qui se passe dans ce genre de situation, surtout à cet âge » et même n’hésite pas à reprendre le substitut du procureur qui s’en prend aux jeunes en citant des faits (incendie d’un centre culturel) dont ils ont été disculpés. Le parquet réclame une peine de prison avec sursis : » le problème n’est pas le sens de votre combat, mais les moyens utilisés qui sont illégaux au regard de la loi « . Pourtant, à l’exception de l’un d’entre eux, actuellement en détention pour une autre affaire, tous les jeunes ont un casier judiciaire vide.
» Petit-Canal était la ville de Jacques Bino, les jeunes le connaissaient bien. Ce n’est pas un dossier de droit commun que vous jugez, c’est un dossier historique : la lutte des jeunes contre le capitalisme, la richesse pour quelques-uns et la raréfaction du travail pour les autres » plaide maître Patrice Tacita, l’un des trois avocats de la défense. Dans le droit fil des déclarations des jeunes se plaignant de l’absence de travail. Rien n’a changé d’ailleurs, cinq après, la plupart sont au chômage ou au RSA. La plaidoirie de son père, Pierre Tacita est, elle aussi, pleine d’à -propos : » il n’est pas étonnant que des jeunes aient manifesté pour se faire entendre. La plupart des grands progrès obtenus dans l’Histoire l’ont été grâce à des émeutes plus ou moins organisées. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler l’importance de mai 1968 pour le peuple français. La société a besoin d’apaisement, il ne vous appartient pas de décider d’une loi d’amnistie pour les faits de 2009 mais pour réconcilier quelque peu mon pays avec la justice, je vous demande de les dispenser de peine. »
Lorsque la juge revient, la tension est palpable. Trois mois de prison pour le prévenu en détention et la relaxe ou une dispense de peine pour tous les autres. Le soulagement se lit sur les visages. Les avocats, les jeunes et leurs proches peuvent sortir la tête haute du tribunal : le 23 janvier 2009 restera ancré dans leur mémoire et dans celle de Petit-Canal.