Brésil, foot-ball, « plages de rêve », samba. Vous avez compris, sur ce site le carnaval de la Fifa et du foot-business sans âme, n’est pas notre tasse de thé. Le Brésil a construit des stades alors que son peuple a du mal à se loger, il a aussi construit un pont sur l’Oyapoque pour 50 millions d’euros. Un pont sans issue entre l’Europe et le pays du foot. Kafka en Amazonie.
Depuis 2011, un élégant pont à haubans de 378 mètres de long, permettant le passage de véhicules sur deux voies de 3,5 mètres de large et d’un tirant d’air sous tablier de 15 mètres, enjambe l’Oiapoque entre le Brésil et la Guyane française. Tous les fantasmes sont permis autour de ce pont imaginé sous les présidences Chirac et Cardoso et que Sarkozy a rêvé d’inaugurer: lien nouveau entre le Brésil et l’Europe, entre l’Union européenne et le Mercosur, maillon d’une transaméricaine Atlantique qui pourrait relier le Vénézuéla à Bueno Aires, désenclavement de la Guyane, développement de l’Etat d’Amapa, l’un des plus pauvres du Brésil … Oui mais.
Achevé depuis trois ans pour la modique somme de 50 millions d’euros, le pont est sans issue et à ce jour sans utilité. Fermé, gardé; il est interdit à la circulation. Sous son tablier, comme c’est le cas depuis des siècles, une centaine de pirogues continuent à assurer le lien entre les deux rives, transportent les personnes et les marchandises, sans visa ni contrôles.
Le paradoxe de ce pont est qu’en voulant effacer une frontière, il en a crée une. Depuis toujours par le fleuve les échanges entre les deux territoires se font de manière informelle mais bien réelle. Ces échanges sont modestes à l’image des deux territoires » du bout du monde » que sépare le fleuve.
D’un côté Saint-Georges, petite commune guyannaise de 3500 habitants à 200 kilomètres de Cayenne; de l’autre Oiapoque 25 000 habitants à 600 kilomètres de Macada capitale de l’Etat. La route qui relie Oiapoque à Macada est fréquemment impraticable. Au mois de juin dernier ( pendant la coupe du monde de foot-ball) des habitants d’Oiapoque ont manifesté pour réclamer des travaux. Leur ville est mal reliée à la capitale et au reste du pays, mal approvisionnée, les prix montent, la vie est difficile. Serait-il plus facile ou rentable de construire des stades que des routes?
Ce pont sur l’Oiapoque, rêve de présidents déconnectés du réel est caractéristique d’un projet politique qui n’a pas de fondement socio-économique dans le territoire et auprès des populations locales. Peut-on parler de projet » néocolonial »? Un pont élégant certes mais qui relie quoi à quoi ? D’un côté, 200 kilomètres de route vers Cayenne et puis plus rien; de l’autre 600 kilomètres vers Macada si une route praticable finit par y arriver. Et après Macada, le fleuve Amazone s’impose et il n’y a plus de route. Pour se rendre à Belem l’avion ou le bateau sont les seuls choix possibles.
L’idée de pont est née en 1997 lors d’une rencontre entre Jacques Chirac, le président français et Fernando Cardoso le président brésilien. L’accord a été signé plus tard lors d’une visite à Paris du président Lula. En février 2008 Nicolas Sarkozy et Lula se sont rencontrés à la frontière Guyano-Bresilienne, les appels d’offre n’étaient pas encore lancés mais le projet avait encore le vent en poupe, le chantier allait commencer et Sarkozy se voyaient bien lors d’un second mandat inaugurer ce pont symbolique. Raté. Il a perdu les élections, le pont est achevé, mais il embarasse.
Il y a deux raisons à cela: du point de vue des populations locales le pont est surdimensionné et à l’échelle internationale, était-il vraiment indispensable ? Ce pont crée une frontière formelle avec des contrôles et une réglementation accrus là o๠la fluidité de l’informel permettait d’exister dans un relatif équilibre. Il ne s’agit pas de dénigrer aveuglément ce qu’on pourrait appeler » le progrès », mais au final ce pont est un cas d’école de progrès mal pensé. Le Brésil n’est pas si pressé de l’ouvrir et du côté guyanais des socio professionnels s’inquiétent des risques de concurrence avec un pays aussi grand que le Brésil si les fluxs de population et de marchandises s’accéléraient.
La crainte d’une immigration brésilienne massive existe. Plus de 20 000 brésiliens, avec ou sans papiers, vivent en Guyane française et ne sont pas seulement chercheurs d’or. Ils travaillent dans le bâtiment et dans les services. L’un des paradoxes est que les Brésiliens peuvent se rendre en France sans visa, en revanche la loi prévoit qu’il leur en faut pour franchir l’Oiapoque et passer en Guyane. Il n’y a évidemment aucun contrôle sur les pirogues qui font la navette sur le fleuve. Mais quand le pont sera ouvert est-ce que les contrôles ne vont pas se multiplier ? A la préfecture de Cayenne on parle d’une carte d’identité spéciale pour les transfrontaliers qui pourraient circuler d’une rive à l’autre sans entrave. Mais du côté brésilien rien de concret se dessine.
A la veille de la coupe du Monde des déclarations officielle ont laissé entendre que le pont pourrait ouvrir d’ici la fin de l’année. Plus de trois ans après la fin du chantier. En février le secretaire d’Etat au transport de l’Etat de l’Amapa a assuré que le pont serait inauguré avant la fin 2014; en mars 2014 les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés, sans faire de déclarations décisives ils ont laissé entrevoir une possibilité d’ouverture. A suivre .
Si le pont ouvre les chercheurs de l’OHM entreront en action. L’Observatoire Homme-Milieu est une structure du CNRS qui observe les déséquilibres créés dans les régions à la suite d’un événement majeur d’origine anthropique. Ce pont sur l’Oiapoque, c’est la main de l’homme qui vient boulverser les équilibres ancestraux, c’est une décision politique prise loin du terrain sans mesurer les conséquences ni l’impact sur la vie des gens. Un vrai cas d’école : lorsque la politique seule oriente les décisions les mauvais choix et les erreurs sont à craindre.