Dans quatre ans on remet ça en Russie et dans huit ans – peut-être – au Qatar. Pendant ce temps les guerres continuent, les avions tombent, les hommes se déchirent. Mais le dieu foot est indiscutable, vénéré aussi par ceux qui portent un regard critique sur la marche du monde. Et si la planète foot était une métaphore du néolibéralisme universel et conquérant.
Aprés la victoire allemande au Brésil, les analyses stratégiques et tactiques sont allées bon train, de tous côtés: les savantes, les professionnelles, les laborieuses, celles d’aprés apéro au bord du comptoir, celles des spécialistes de sous-préfecture. Le réalisme allemand l’a emporté: l’esprit d’équipe, le don de soi face au manque de confiance et à la fragilité. Pas un pli.
Peu de commentateurs ont fait le lien entre la déroute brésilienne et le climat pourri qui a régné dans le pays dans les mois qui ont précédé la coupe. La faute serait ailleurs: erreur tactique, mauvais choix de l’entraineur – « je vous l’avais dit, dès le début » – absence de vrai leader etc. Tout cela n’est pas faux, mais peut-on écarter si facilement les événements qui se sont produits au Brésil en 2013 et 2014 ? Peut-on être s ûr que ces événements n’ont pas eu un impact sur le moral des joueurs brésiliens, leur engagement voire leur détermination.
Malgré tout ce qui a été dit et écrit, les joueurs brésiliens n’avaient pas » tout un pays » derrière eux. Il a suffit pour s’en rendre compte de regarder les images des stades et des tribunes. Le petit peuple brésilien n’étaient pas là , celui des quartiers modestes et des favelas, l’entrée au stade était bien trop chère et sélective pour lui. Le Maracana durant cette coupe n’a pas été un lieu de brassage culturel, social ni ethnique. Le grand stade de Rio, temple du foot-ball, a été un espace réservé.
Peu l’on dit. L’un des rares fut Eric Cantona, dans le documentaire » Looking for Rio » qu’il a consacré à la coupe 2014. » Pourtant, tous les grands joueurs brésiliens viennent de la rue, c’est même là qu’ils acquièrent leur combativité » dit Canto dans son commentaire. Mais la rue n’était pas au Maracana et n’a pas poussé la » seleçao ».
En juin 2014 Amnesty international a publié un rapport et des témoignages faisant état de centaines de manifestants brésiliens arrêtés en 2013 sans raisons réelles, sinon l’expression
d’une opinion autre que celle du pouvoir. Des manifestants ont fait l’objet d’enquêtes au titre de la loi sur la sécurité nationale et le crime organisé. Loi qui remonte à l’époque o๠le Brésil était gouverné par des militaires. Questions: ces manifestants mettaient-ils en danger la sécurité du pays en protestant contre le co ût exorbitant de la coupe alors que le pays manque de logements et de lits d’hà¶pital?
Amnesty précise dans son rapport que le Brésil, membre du conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, a voté une résolution en faveur des droits humains pendant les manifestations pacifiques. Ces droits qui assurent la liberté d’expression, de réunion et d’association.
sont écrits mais pas respecté: des manifestants et des journalistes ont été blessés et maltraités durant les manifestations qui ont précédé la coupe.
Les questions sociales, les critiques, les revendications ne doivent pas déranger le dieu-foot-ball. C’est clair. Le sport et les affaires passent avant tout. La planéte foot apparait comme la métaphore parfaite d’un néolibéralisme triomphant. Pas d’état d’âme, des résultats – de préférence les meilleurs – quel que soit le contexte.
En avril 2013, Jérôme Vacke, secrétaire général de la Fifa, déclarait : » Un moindre niveau démocratique est parfois préférable pour organiser une coupe du monde, un homme fort à la tête d’un Etat peut décider … ». Qualifiés de » maladroits » ces propos sont au final sincères. Un régime autoritaire peut tout imposer à son peuple, même l’arbitraire, c’est plus compliqué dans une démocratie dans laquelle tout se discute et dans certains cas – quelle contrainte ! – se vote. Parions qu’en 2018 la Fifa n’aura pas de souci avec Poutine, quant au Qatar …
Les dirigeants du foot-ball, ni les joueurs ne sont là pour » faire du social ». Mettre le ballon au fond des filets, assurer du spectacle, vendre des droits télés, de la publicité et faire des entrées
à tous prix sont les objectifs. Le foot-ball n’a plus d’âme. » Les mouvements sociaux peuvent bien attendre le coup de sifflet final » ‘a demandé aux Brésiliens, Michel Platini, président de l’UEFA, quelques jours avant le début de la coupe. « Mouvement sociaux » étant sans doute trop difficile à prononcer il a édulcoré en » mouvement un peu sociaux ». Significatif.
Soumis à la loi de l’argent, de la victoire à tous prix le foot-ball et les siens ont perdu leur âme. Platini le sait, son chemin est passé par le Heysel en 1985: 39 morts, 600 blessés autour du terrain n’ont pas entravé la rencontre Liverpool/Turin ni la « victoire » de Turin. Quelle victoire ? Et nous n’en étions qu’au début du foot-business.
Revenons à Cantona, joueur atypique, homme atypique. C’est une des rares voix à tenir un autre discours dans le milieu du foot dominé par les petites affaires entre amis et l’omerta. Dans son court métrage sur la coupe 2014 il parle des grandes joies et de l’amertume que lui procure le foot-ball, il parle de son amour du foot et de sa colère; il parle du Qatar, des conditions de travail proche de l’esclavage des immigrés qui font la main d’oeuvre du pays. » Si ça se fait là -bas, iIs vont payer des gens pour aller au stade … »
Quoiqu’il arrive le spectacle doit continuer et les dollars entrer dans les caisses. Le Brésil a dispensé d’impots la Fifa pour les profits réalisés sur son territoire et l’a autorisé a faire de la publicité pour l’alcool dans les stades, ce qui est normalement interdit dans le pays. La Fifa et son président imposent leurs règles.
Et nous que faisons-nous ? Millions de spectateurs dociles, dans ce « monde parfait » qui se dessine autour de la planète foot: pouvoir et argent concentrés entre quelques mains sous le regard fasciné des foules qui en redemandent. Stade ultime de la dépendance et paradigme idéal d’une mondialisation triomphante qui fait le spectacle et confisque la parole.
Reste le boycott. L’arme fatale. Quelques uns l’ont fait mais peu nombreux.