Le chikungugna est-il l’occasion manquée d’améliorer l’état sanitaire de la Guadeloupe ?

Nous publions deux textes sur le « chik » qui, en Guadeloupe, a occupé, ces dernières semaines, les esprits et les conversations. JM Abillon a calculé qu’avec le co ût de l’épidémie on pourrait créer plus de 2000 emplois au smic pour nettoyer la Guadeloupe. Et Alain Plaisir observe que la mauvaise gestion des déchets a accéléré la propagation du virus.

 
EPIDEMIE DE CHIKUNGUGNA : CHERCHEZ L’ERREUR !

par Jean-Marie Abillon, vice président de l’association, collectif vigilance citoyenne

Il est avéré que l’épidémie de chikungugna à  la Réunion (2005/2006) n’a pu être stoppée que par l’implication des élus locaux (il faut dire qu’ils étaient en campagne électorale !) qui ont pris enfin la peine d’engager des « brigades » de jeunes pour effectuer un nettoyage complet de l’île (enlèvement hebdomadaire des encombrants, élimination des décharges sauvages (pneus, véhicules hors d’usage, machines à  laver, etc …) et des encombrants métalliques, drainage des ravines d’eau stagnantes, etc…

Ce qui n’est pas le cas en Guadeloupe oà¹, de plus, l’habitat est plus dense (et o๠les moustiques prolifèrent le plus …).

Fin juillet, le nombre de cas recensés par l’ARS s’élève à  environ 75 000 (63 000 au 15 juillet, chiffre auquel il faut rajouter les quelques 11 500 cas des semaines 25 et 26). D’après certains médecins, ce chiffre devrait être augmenté de 25%, de nombreux malades ne voyant pas la nécessité de consulter. Ce qui conduirait à  un total de 100 000 cas depuis le début de l’épidémie !

Le co ût de l’épidémie de chikungugnia à  la Réunion a été estimé, par le CHU de cette île, à  43,9 M d’euros pour 266 000 malades (consultations médicales, médicaments, tests biologiques, hospitalisations, pertes de productivité), soit en moyenne : 43 900 000 euros / 266 000 = 165 euros par cas avéré.

En tenant compte de l’inflation monétaire de 14% entre janvier 2006 et ao ût 2014, et si on extrapole au cas de la Guadeloupe, on obtient un co ût total, depuis le début de l’épidémie, de : 75 000 x 165 x 1,14 = 14,1 millions d’euros !

Comme le souligne l’ARS, le pire est à  venir avec l’arrivée de la saison des pluies, si évidemment on se contente de ronronner, d’organiser des opérations « coup de poing » bonne pour la com (comme l’arrivée, à  grands renforts de publicité, de quelques pompiers ultra-marins pour quelques jours), et/ou d’ignorer le problème comme le font actuellement bon nombre de nos élus.

Il n’est pas trop tard pour réagir !

Les conséquences sur la santé des guadeloupéens sont vraisemblablement plus graves que ne le prétendent les administrations. Celles sur l’économie le sont tout autant. D’autant plus que des sites internet commencent à  déconseiller les destinations Guadeloupe et Martinique (la fréquentation touristique de la Réunion a chuté de 30 % en 2006 et 2007), et les professionnels du tourisme s’en inquiètent à  juste titre.

Si la participation citoyenne est plus que jamais nécessaire, les administrations ont ici un rôle fondamental à  assumer.

La seule solution étant donc l’assainissement de toutes les niches à  moustiques (voir plus haut, en rajoutant à  la liste les habitats abandonnés, pourrissant sur place), un petit calcul, que je soumets à  la perspicacité de chacun, en dit long sur la possibilité de recrutement de « brigades d’intervention » :

Nombre d’équivalent Heures SMIC brut : 14 100 000 d’euros / 9,53 euros (taux horaire brut au 1er janv. 2014) = 1 479 500 heures !

Ou encore : 1 479 500 h /( 24 semaines (6 mois) de 25 h) = 2 466 jeunes embauchés !

Cherchez l’erreur !

LA GUADELOUPE EN VOIE DE TIERS-MONDISATION

par Alain Plaisir, président du Cippa

Après les épidémies de la dengue, les ravages de la leptospirose, une nouvelle épidémie : le chikungunya a déjà  provoqué la mort de plusieurs personnes en Guadeloupe. Le climat tropical de la Guadeloupe n’explique pas, à  lui seul, la prolifération du moustique porteur du virus. Les déchets et immondices de toutes sortes : vieux pneus abandonnés, morceaux de tôles, bidons, cannettes et autres détritus aux abords de maisons et de certaines cités sont la cause principale de la prolifération des moustiques et des rats. Bref, cette épidémie n’aurait pas pris autant d’ampleur si l’état de salubrité du pays n’était pas aussi déplorable. A qui la faute ? Il est facile, comme toujours de rejeter, la responsabilité sur les seuls habitants, qui ne feraient pas preuve d’hygiène et d’esprit civique.

Que dire alors de tous ceux qui sont en charge du pays depuis des dizaines d’années (ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir !) et qui n’ont toujours pas pu ou su régler le traitement des déchets ménagers et autres. Dans la plupart des communes, le tri sélectif n’existe toujours pas et les services chargés d’enlever les encombrants fonctionnent encore d’une manière aléatoire. Quant à  l’eau, si utile pour l’hygiène et la vie, tout simplement, elle ne coule pas régulièrement dans tous les foyers de la Guadeloupe. Est-il normal qu’au XXIème siècle dans un pays qu’on appelle l’île aux belles eaux, cette eau, dont la Guadeloupe est si abondamment pourvue devienne une denrée rare, pour la plupart des habitants, alors même qu’ils s’acquittent de leurs factures et qu’à  ce titre, ils sont en droit d’exiger un service public de qualité.

Un état sanitaire déplorable

En réalité, cette épidémie et d’autres qui nous menacent… proviennent de l’état sanitaire déplorable de la Guadeloupe. Malgré les apparences, la Guadeloupe a toutes les caractéristiques d’un pays du tiers-monde, alors qu’elle est- juridiquement- un des départements de la 5ème puissance économique du monde.

Comme pour le problème de l’eau, les responsables et… coupables, sont ceux et celles qui dirigent la Guadeloupe depuis plus de 30 ans. En effet, loin d’aller dans le sens de l’amélioration, les choses empirent chaque année.

Les Guadeloupéens souffrent et supportent, dans un mélange de résignation, et de fatalité, cette nouvelle catastrophe qui s’abat sur eux. Nous ne pouvons pas continuer à  subir cette situation comme si nous étions impuissants. Il faut agir, et vite, pour éviter que cette épidémie ne prenne plus d’ampleur. Tout en se félicitant de certaines initiatives de la société civile, le CIPPA demande :

1- Que ceux qui sont responsables de cette situation : Etat – Région, Conseil Général, communes prennent en charge l’achat de répulsifs et d’insecticides et les distribuent gratuitement à  la population, en commençant par ceux qui vivent avec les minimas sociaux.

2- Qu’une vaste campagne d’assainissement (nettoyage conséquent aux abords des villes et dans les campagnes, éradication à  grande échelle des gites larvaires etc …) de la Guadeloupe, soit mise en Å“uvre avec d’importants moyens humains et matériels

3- Que le problème de l’eau et du traitement des ordures ménagères, qui sont une véritable honte pour notre pays, constituent une des priorités des pouvoirs publics.

ndlr: Cet article est paru sur le site : www cippa.gp

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour