Pew research center (1) est un organisme nord-américain qui fournit des données et des informations sur les comportements et les tendances des sociétés en Amérique et dans le monde. Le centre déclare ne pas prendre de positions politiques. Il vient de réaliser une enquête prospective (2) sur l’impact des intelligences artificielles sur l’emploi au XXIem siècle. A lire. Le constat pour les décennies à venir est que les intelligences artificielles, les robots vont être présents de manière croissante dans les domaines de la santé, des transports, des médias, de l’enseignement, de la domotique, des services, de la sécurité, de l’armement etc Quel impact cela aura-t-il sur l’emploi, l’économie, sur les hommes et les femmes concurrencés dans leurs métiers par des machines et internet ?
Le Prc a interrogé 1896 experts, ingénieurs travaillant à l’élaboration des nouvelles technologies et leurs applications, et analystes qui réfléchissent aux emplois du futur. La question posée: » Les nouvelles applications, comme la voiture intelligente, vont-elles faire disparaître plus d’emplois qu’elles n’en crééront d’ici 2025 ? »
Les réponses distinguent deux groupes à peu près égaux : 48% pensent que la robotisation va faire disparaïtre un nombre significatif d’emplois, tant intellectuels que manuels; 52% font le même constat mais ajoutent que des emplois nouveaux seront crées pour chaque emploi perdu. Ceux-là font confiance au génie humain pour créer de nouveaux modèles et de nouvelles activités. Tous sont d’accord pour dire que les décennies à venir vont bouleverser les modèles existants, quelques uns redoutent le creusement des écarts de revenus et l’instabilité sociale dont on observe déjà les effets dans les sociétés occidentales.
Les modes de vie, les structures sociales, les pratiques devraient changer en particulier dans le domaine de l’éducation. Les deux groupes sont d’accord pour dire que les systèmes éducatifs aux USA et ailleurs dans le monde, ne préparent pas les générations montantes à acquérir les compétences nécessaires au marché de l’emploi du futur. L’un des commentateurs va jusqu’à penser que les autodidactes, moins formatés par l’enseignement académique, auront plus de chance de trouver leur voie. L’enquête décrit un champ des relations sociales boulversé mais pas seulement. A côté des » mainstream » un » champ des possibles » reste ouvert avec un retour à des activités à petite échelle, artisanales, du temps consacré à » l’épanouissement personnel » et » aux personnes aimées ».
Deux arguments dominent chez les optimistes et les pessimistes. Pour les premiers les intelligences artificielles libérent l’homme des tâches rébarbatives, lui permettent de définir sa relation au travail de manière plus positive et de mieux agir sur son destin; pour les seconds le clivage entre les travailleurs qualifiés et les autres va se creuser. Ils estiment que les plus qualifiés vont évoluer facilement dans ce nouvel environnement, tandis que les autres, plus nombreux vont être déplacés vers des emplois mal payés ou le chômage.
L’enquête est complétées de commentaires d’experts, puisés dans la masse des réponses.
Les points de vues optimistes et pessimistes se répondent – nous en avons retenus quelques uns -, dont celui de Jason Pontin, rédacteur en chef de la revue du Massachusset institute of technologye ( MIT) : » Il n’y a aucune loi économique disant que les emplois supprimés par les nouvelles technologies seront remplacés par de nouveaux emplois. En revanche, tout cela est gérable par les Etats et le système économique. Cela exigera des luttes et des choix idéologiques, comme par exemple la création d’un revenu minimum garanti et un élargissement de notre perception du travail et de sa valeur. »
Les intelligences artificielles seront ce qu’en feront les hommes, leurs gouvernements, leurs dirigeants, mais est-ce rassurant ?
– Fred Baker, pionnier de l’internet, longtemps leader chez IETF ( Internet Enginneering Task Force) :
» Je pense que l’automatisation change les emplois, mais ne les réduit pas. N’importe quel système automatisé peut agir sur les événements pour lesquels il est conçu … mais pas sur les autres. Une automobile pourra se guider seule dans les rues balisées pour, mais pas dans les autres. Je ne crois pas que le genre humain partira en masse à la retraite en 2025. »
Pamela Rutledge, directrice du centre de recherche psychologie et média:
» Il y a beaucoup de chose que les intelligences artificielles ne peuvent pas faire. Une application peut me rappeler le jour anniversaire de maman, composer son numéro de téléphone et lui envoyer des fleurs à la bonne date. Mais aucune application ne peut partager des émotions et des sentiments avec elle … »
Ben Shneiderman, professeur d’informatique à l’université du Maryland :
» Les robots et les intelligences artificielles font de bonnes histoires pour les journalistes, mais leur vision des changements économiques à venir, n’est pas bonne. Des journalistes perdent leur travail car la façon de faire de la publicité a changé; l’enseignement en ligne menace les enseignants; la vente en ligne menace le magasin du coin de la rue etc… Mais dans le même temps des gens construisent de nouveaux sites web, gèrent des médias sociaux en entreprise avec de nouveaux produits. Les idées nouvelles vont créer des emplois. »
Mark Nall, directeur de programme à la Nasa :
» Quand les machines agricoles ont remplacé les ouvriers agricoles, des emplois ont été créés dans les usines. Cette fois, c’est différent en raison de la polyvalence et des capacités croissantes des intelligences artificielles. Tous les emplois, tous les secteurs de l’économies seront touchés avec un seul objectif : l’efficacité économique. La conséquence sociale est que les emplois bien rémunérés seront de plus en plus rares. »
John Markoff, rédacteur en chef de la rubrique science au New-York-Time:
» Il y aura un déplacement énorme du travail dans les décennies à venir. Mais si nous retournons quinze ans en arrière qui aurait pu penser que l’optimisation du référencement, les moteurs de recherche seraient en 2014 un outil de travail significatif. »
Tom Standage, journaliste numérique à l’Economiste:
» La nouvelle révolution technologique aura plus d’impact que les précédentes. Auparavant, les gens ont eu le temps de se recycler d’un travail à un autre. Les intelligences artificielles menacent des emplois qualifiés désuets, notamment les emplois de bureaux. Cette situation nouvelle déplacera des gens vers les emplois de services et creusera les écarts de revenus. C’est un gage d’instabilité pour l’avenir de nos sociétés ».
Howard Rheingold, consultant et enseignant :
» Les emplois que la robotique laissera aux humains réclameront de la réflexion et des connaissances. Autrement dit les humains les mieux formés resteront compétitifs. Malheureusement notre système éducatif aux USA comme ailleurs dans le monde prépare mal les jeunes à cet avenir. Assis en colonne et en rang dans les salles de cours on continue à préparer les jeunes à travailler dans les entreprises du XXe siècle. »
Jean Hendher, enseignant et analyste du Word Wide Web :
» La notion de travail comme nécessité de la vie ne résistera pas si la plupart de ce qui est fabriqué l’est par des machines. Les humains s’adapteront en trouvant des modèles de paiement comme ils l’ont fait pendant la révolution industrielle … mais cela après beaucoup de boulversements. »
Mike Roberts, pionnier de l’internet :
» Des avatars d’humains avec des capacités de travail réelles sont déjà là , à quelques années de nous, pas à des décennies. La situation est agravée par l’échec du monde économique à aborder la question du développement durable, de la consommation et de cette notion issue du XXem siècle: » le travail d’un jour mérite le salaire d’un jour. » Nous allons au-devant de grandes souffrances, la question est : » quand cela va-t-il vraiment commencer ? »
Nilofer Merchant, auteur :
» Un homme qui perdait son emploi à l’usine pouvait devenir chauffeur de taxi, mais que fera ce chauffeur quand une voiture » intelligente » pourra me conduire seule à l’aéroport ? Les écarts entre les nantis et les démunis vont se creuser. Je me rappelle ce que disait Henri Ford : » si les ouvriers qui travaillent dans mes usines ne peuvent pas s’acheter une voiture c’est mauvais pour eux, c’est mauvais pour moi et c’est mauvais pour l’usine. »
Marjory Blumenthal, analyste scientifique :
» Dans un contexte donné, les robots peuvent déplacer des emplois plus qu’ils n’en créent, mais ils suscitent aussi de nouvelles catégories de travail, de nouvelles collaborations.
Il est difficile de mesurer les effets plus large car nous maîtrisons pas tout. Un événement comme celui qui s’est passé au milieu du XXem siècle quand le prix du pétrole a augmenté de façon spectaculaire, peut éclipser les nouvelles technologies. »
NDLR
(1) Pew research center est une organisation non gouvernementale fondée dans la deuxième moitié du XXem siècle par Joseph N Pew, un industriel américain, proche des républicains. Son credo est que la maîtrise du savoir et de la connaissance permet de solutionner les problèmes auxquels les hommes sont confrontés. Une vision très américaine, confiante dans le « génie humain et en particulier le » génie américain ».
L’ONG fournit sur son site des informations – www.pewresearch.org – des données qu’il faut dans certains cas relativiser, voire critiquer, mais qui aide à comprendre le monde dans lequel nous sommes et vers lequel nous allons.
(2) Pour lire l’intégralité de l’enquête en anglais : www.pewresearch.org