Cet article sur la jeunesse en Guadeloupe est paru dans la Lettre d’information outre-mer de la LDH. Le sociologue pose en premier lieu la question: » mais qui sont les jeunes ? » et relie les difficultés rencontrées par la jeunesse à celle des adultes, parents et entourage qui n’ont pas su ou pas pu être des modèle, ni transmettre des valeurs.
La jeunesse, dans sa réalité et dans son avenir, est une préoccupation majeure de la Ligue des droits de l’Homme. Qu’en est-il en Guadeloupe ?
Ce sujet nous invite à nous interroger sur les aspects suivants : de quelle jeunesse parlons-nous ? Qu’apporte et que peut apporter la société guadeloupéenne à cette jeunesse ? Nous nous inspirons d’une réflexion menée avec quelques amis en Guadeloupe et d’une conférence-débat que la Ligue des droits de l’Homme- section de Basse-Terre avait organisée en 2013 sur la situation de la jeunesse en Guadeloupe, pour aborder cette question.
La notion de » jeunesse » peut avoir plusieurs interprétations selon les visions des acteurs sociaux qui la définissent. Pour des organismes nationaux et internationaux comme l’Insee, l’OIT ou l’OCDE[1], elle est la tranche de la population ayant de 15 à 29 ans. Selon des approches sociologiques, la jeunesse serait » l’état transitoire antérieur au franchissement des trois seuils successifs définissant l’entrée dans l’âge adulte : emploi stable, résidence indépendante et mise en couple. » A partir de cette dernière définition, en comparant la jeunesse de 1950 à celle de 2014, nous observons que le jeune d’aujourd’hui est moins autonome que celui d’avant. En moyenne, le jeune actuel obtient son premier emploi stable à 28 ans, tandis que celui de 1950 l’avait eu déjà à 20 ans. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces faits, parmi lesquels la durée des études et la précarité de l’emploi. Ces deux facteurs expliquent pourquoi beaucoup de jeunes au-delà de 29 ans résident encore chez leurs parents et hésitent à fonder un foyer.
Selon les études de l’Insee, « au 1er janvier 2011, les jeunes guadeloupéens (âgés entre 15 et 29 ans) étaient au nombre de 72 689 habitants et représentaient 18 % de la population totale. 55 % de ces jeunes étaient en inactivité, c’est-à -dire qu’ils n’étaient ni en emploi et ni au chômage. Cinq jeunes inactifs sur six poursuivaient leur scolarité. Quelques 9113 de ces jeunes (12,5%) étaient en études supérieures. Donc, 45 % des jeunes guadeloupéens étaient en activité dont 21 % au chômage. Comme beaucoup de jeunes sont scolarisés et que relativement peu ont un emploi, leur taux de chômage est très élevé alors que la proportion de chômeurs dans la classe d’âge est beaucoup plus faible[2]. C’est à partir de l’âge de 20 ans que le statut d’actif se précise. Pour ceux qui sont au chômage, ils sont pour la plupart sortis du système scolaire ou universitaire avec un niveau de formation assez faible (60 % des actifs au chômage sont sans diplômes contre 14 % qui possèdent un bac 2 et 8 % un bac 4).
Ce constat nous invite à penser qu’il y a différentes catégories de jeunes en Guadeloupe, parmi lesquelles la population des jeunes en difficultés d’insertion sociale qui retient notre attention. Mais il serait réducteur de nous intéresser seulement à la réalité des jeunes en situation de galère. Les jeunes, dans leur ensemble, forment une population à part entière. Les réussites ou les échecs des uns motivent ou démotivent les autres. L’exemple donné par le grand frère qui a fait de longues études et qui se retrouve sans emploi, invite le plus jeune à se demander : » pourquoi faire des études ? De toute façon, je serai au chômage. » A cela s’ajoute la vie flamboyante et conquérante des dealers du coin qui s’enrichissent illicitement, avec le moindre effort.
La société guadeloupéenne, dans ses différentes composantes de politiques, d’entrepreneurs, d’universitaires, d’organisations culturelles et religieuses, a devant elle le défi de proposer une alternative de développement économique et socioculturel adéquat pour envisager un avenir plus enchanteur pour cette jeunesse qui tend à se démotiver par manque d’espoir d’un lendemain meilleur.
Certes, les acteurs de cette société, comme les militants de la Ligue des droits de l’Homme qui s’engagent pour le respect de la dignité humaine, ont l’obligation morale de porter un regard critique sur les faux-semblants de solutions mis en avant pour entretenir cette jeunesse dans des illusions. Dans la panoplie d’aides et de mesures à apporter à la jeunesse, il convient de rappeler aux jeunes qu’il n’y a pas de réussite sans efforts et l’emploi stable est aujourd’hui rarement obtenu dans l’immédiat. Mais ce n’est pas parce que l’emploi adéquat n’est pas trouvé tout de suite qu’il faut se décourager ; un effort constant est nécessaire pour l’obtenir.
Une autre conception à interroger, c’est notre façon de définir la réussite et le prestige professionnel qui constitue un des maux » français » qui paralysent les jeunes. Nous avons encore un discours obsolète concernant le diplôme qui n’est plus synonyme de la réussite et qu’il faudrait revoir en trouvant un juste milieu entre l’importance des diplômes et l’expérience professionnelle. L’école est le lieu privilégié de formation des citoyens dont la société a besoin. Dans les pratiques scolaires, il convient de valoriser davantage les métiers manuels selon les besoins de la société guadeloupéenne. Dans les conseils d’orientation scolaire, il serait nécessaire d’impliquer les gens de métier et des milieux socio-économiques pour adapter les orientations des jeunes aux attentes des secteurs d’avenir.
Il convient aussi d’interroger les pratiques d’un » mal développement » de la Guadeloupe. Ceci est souvent nourri par des incompétences masquées par le régionalisme ou par des pratiques de réseaux ethniques et communautaristes. Cela se traduit par des passe-droits et non par la compétence pour accéder à un emploi ou à un statut social. D’autre part, la fibre artistique des jeunes guadeloupéens et leurs talents culturels ne sont pas suffisamment pris en compte par une Education nationale peu motivée par l’enjeu du développement local. Beaucoup de moyens sont déployés sans prévisions et beaucoup de formations données sont inadaptées aux besoins de la réalité du pays. Il manque de pouvoir former des jeunes adaptés à l’environnement géographique et socioculturel de la Caraïbe.
En dernier lieu, nous considérons que les difficultés que rencontrent les jeunes sont intrinsèquement liées aux structures mises en place pour leur compte par les adultes. Les difficultés de la jeunesse sont intrinsèquement celles des adultes ; l’échec des jeunes traduit celui des adultes. Il y a une faillite de la transmission de l’essentiel, des priorités et du sens des valeurs ; cela traduit la faillite des modèles parentaux et celle d’une société de consommation immédiate.
En fin de compte, par-delà les difficultés énoncées, l’enjeu véritable de notre réflexion sur l’avenir de la jeunesse en Guadeloupe est celui de la construction du développement économique, social et humain du pays de Guadeloupe. Il ne suffit pas de constater les méfaits du » mal-développement » de la Guadeloupe sur la jeunesse ; il s’agit de prendre des moyens pour construire un modèle de développement qui correspond aux ressources et aux besoins du pays.
(1) L’Insee : l’Institut national de la statistique et des études économiques ; l’OIT : l’Organisation internationale du travail ; l’OCDE : l’Organisation de coopération et de développement économiques.
(2) Selon une conférence de presse de la préfète de la région Guadeloupe, le 21 février 2013, « La situation de l’emploi en Guadeloupe est préoccupante avec un taux d’activité de 63 % contre 70,5 % en métropole. Les moins de 30 ans sont les plus touchés avec un taux de chômage qui atteint près de 46 % ».