La question était: quand et comment les relations entre Cuba et les USA vont-elle se dénouer ? C’est fait :avec la bénédiction du Pape qui n’a jamais rompu avec le pays des Castro. Les pays de la Caraïbe attendaient cet événement, effet induit de la chute du cours du pétrole brut et des difficultés du Vénezuela.
Le 8 décembre dernier, les dirigeants des pays Caraïbes réunis à La Havane pour un sommet du Caricom demandaient aux USA de lever l’embargo sur Cuba. La réconciliation était dans l’air. Gaston Bowne, premier ministre d’Antigua et Barbuda déclarait à sa descente d’avion : » Nous continuons à soutenir Cuba et à appeler le président Obama à lever cet embargo absurde … »
Winston Dookeran, ministre des Affaires étrangères de Trinidad et Tobaggo affirmait de son côté que » l’intégration compléte de Cuba dans l’hémisphère occidental est une évidence … »
La réconciliation entre Cuba et les USA est désormais officielle mettant un terme à plus de 50 ans d’affrontement politique, d’invectives et de diabolisation mutuelle. Le castrisme s’est élaboré sur un anti-américanisme exacerbé et la révolution cubaine à 150 kilomètres des côtes de la Floride était décrite, jusqu’à la fin des années 1980 à Washington et dans la communauté cubaine exilée, comme « la menace communiste à nos portes ».
L’embargo » à trou » – certains produits passaient, d’autres pas; les Cubains exilés à Miami ont toujours envoyé des dollars à leurs familles restées dans l’île – va cesser et Obama restera dans l’histoire américaine comme le président qui a fait la paix avec Cuba. Ce n’est pas rien. Dans son bilan mitigé et ses tergiversations, cette réconciliation quelques jours avant Noà«l, arrive comme un cadeau, non pas du ciel, mais peut-être de Rome. Le diplomatie du Vatican, avec laquelle Fidel Castro n’a jamais rompu – ce fut une rareté dans la galaxie marxiste – a joué un rôle clé dans l’aboutissement de plusieurs mois de négociations.
Vestige « absurde » des années de guerres froides, cette réconciliation devait arriver. Pour Obama c’est une bonne opération en terme d’image, il apparait comme ce qu’il veut être, un président ouvert à la conciliation et à la réconciliation » Todos somos américanos », sonne un peu comme » Yes, we can ». Juste une formule qu’il faudra nourrir de réalité.
Barack Obama est né en 1961, l’année de l’affaire de la Baie des Cochons; le successeur présumé de Raul Castro à la tête du gouvernement cubain, Diaz-Canel, agé de 53 ans, n’était pas né lors de la révolution cubaine. Des » hommes nouveaux » donc qui ne portent pas, comme leurs prédécesseurs, le poids des idéologies antagonistes qui au siècle dernier, ont symbolisé leur pays respectif. On peut espérer qu’avec eux ( Raul Castro devrait passer la main en 2018) une ère nouvelle commence.
Si l’enjeu est clair pour Obama et les Etats-unis: faire la paix, ouvrir une ambassade à La Havane et engager des relations commerciales; il est moins évident pour les dirigeants cubains. Pourquoi maintenant ? Une question qui en entraîne une autre: avaient-ils le choix ?
La grande île livrée à elle-même après la chute de l’empire soviétique qui finançait ses approvisionnements a vécu durement les années 1990, avec la » période spéciale ». Tout manquait dans l’île, la population cubaine courageuse et inventive a traversé ces années dans la douleur. Le Vénézuela de Hugo Chavez est venu au secours de Cuba en l’approvisionnant en pétrole pendant les années fastes au cours desquelles le prix du baril a grimpé. Mais en cette fin 2014 le baril est tombé à 60 dollars et l’économie vénézuélienne construite en grande partie sur les revenus du pétrole, souffre. Dans ce contexte le risque pour Cuba était l’isolement, rien à attendre des anciens amis russes qui ont d’autres chats à fouetter – et pas des moindres – restait alors la diplomatie, Rome et le grand voisin américain.
D’autant que Raul Castro du haut de ses 83 ans ne peut pas rester longtemps à la tête d’un pouvoir à bout de souffle. En faisant la paix avec le voisin américain en relançant l’économie et en insufflant une nouvelle dynamique à la société cubaine, les dirigeants cubains avec une certaine sagesse, mettent en place les éléments d’une transition postcastriste capable de réussir. Ce scénario n’aurait pas été possible il y a 15 ou 20 ans quand Fidel était encore au pouvoir, mais en 2014, au regard de l’état du monde et des forces en présence, le réalisme a primé.
L’ouverture d’ambassades, l’ouverture des frontières aux personnes, au business et aux marchandises ne changeront pas la société cubaine en deux mois, ni même en trois. La population cubaine a un potentiel extraordinaire mais la société cubaine est bloquée dans ses initiatives, malgré les efforts entrepris ces trois dernières années. Le pouvoir cubain va devoir lâcher du lest. Des associations de cubains exilés en Floride ont reproché à Obama d’être allé trop vite car les droits de l’homme et la liberté individuelle ne sont pas respectés à Cuba. Les Cubains n’ont pas accés à internet, les médias étrangers sont introuvables dans l’île, bref, il reste du chemin à faire, mais la vitalité cubaine n’est pas qu’une image d’épinal. Tout permet d’espérer.
Deux écueils font face aux Cubains. » Je ne pense pas que la société cubaine change du jour au lendemain » a déclaré Obama dans son allocution. Il est même souhaitable qu’elle ne change pas du jour au lendemain. Le régime castriste est discuté et discutable, toutefois l’un des écueils serait de voir la société cubaine submergée de capitaux étrangers, atteinte d’ultra-libéralisme exacerbé et devenir ce qu’elle a été jadis: la cour de récréation de la mafia et des riches américains.
L’autre écueil serait que les fluxs de capitaux, les échanges commerciaux qui se profilent, ne profitent qu’à ceux qui détiennent le pouvoir à Cuba: les cercles du pouvoir castriste qui contrôlent l’industrie du tourisme, les outils de productions, la terre. Comme on l’a vu en Chine et dans l’ancienne Russie soviétique la nomenklatura communiste et ses proches se sont emparés des outils de productions à leurs comptes. C’est ce que dénonce déjà l’écrivain Zoe Valdes, exilée cubaine à Paris; tandis que d’autres sont plus optimistes.
Cuba, devenue postcastriste, saura-t-elle garder son caractère spécifique dans l’espace américano-caraïbe et ne pas aussi facilement glisser dans « l’hémisphère occidental » comme l’a souhaité le ministre trinidadien, ce sera à la société et au » génie cubain » de le dire. L’aventure continue, elle est déjà interessante à vivre.