Les propos qui auraient été tenus dans un restaurant de Rivière-sens, en Guadeloupe, par un membre de la famille Chaulet contre un artisan guadeloupéen suscitent de nombreuses réactions. La Guadeloupe petite société pluriculturelle et métissée n’en a pas fini avec ses vieux démons.
La violence verbale, les insultes qui auraient été exprimées en public, dans un restaurant de Rivière-Sens, en Basse-Terre, par Nicolas Chaulet, membre d’une famille de blancs-pays, contre un Guadeloupéen noir ravive les vieilles plaies. Derrière cet acte individuel, qu’une enquête et la justice vont devoir éclaircir certains voient l’occasion de renvoyer chacun à ses origines, à sa couleur, au passé.
Ils n’ont pas lu, pas voulu lire ou pas compris le véritable révolutionnaire que fut Frantz Fanon quand il écrit : » je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères … »
Depuis une dizaine de jours beaucoup de commentaires et de textes circulent sur le net, certains dans la retenue, d’autres dans l’outrance. Les plus prompts ont été les défenseurs de ce Guadeloupéen insulté, puis après quelques jours de silence, Nicolas Chaulet s’est exprimé sur le site Bondamanjak, sa version est différente. La victime, ce serait lui…
Un noir insulte un noir, pas de problème, un blanc insulte un blanc pas de problème. Mais lorsqu’un blanc et un noir ont une altercation, il ne s’agirait plus de deux individualités qui s’affrontent, mais du réveil du passé, dans lequel à l’inverse de Fanon, une partie du pays est restée engluée. Une violence silencieuse qui pèse sur la société guadeloupéenne.
Nous mettons en ligne un texte de l’association » collectif vigilance citoyenne » qui tente de faire la part des choses sur un sujet à fleur de peau. Il a été écrit à deux mains par Didier Jeanne, président de l’association et Jacky Dahomey, vice-président
« Nous avons appris avec stupeur les actes racistes dont a été victime un Guadeloupéen, Frédéric Augustin, perpétré par un autre Guadeloupéen Nicolas Chaulet, ce dernier proférant à l’égard du premier des paroles d’une grande violence, le traitant de sale nègre, de fils de pute, de descendants d’esclaves et d’autres mots du même acabit.
Nous dénonçons fermement de tels comportements, sans doute héritage du passé colonial et esclavagiste, mais s ûrement fruit de la pensée confuse et raciste d’un individu s’exprimant en son nom propre. Même s’il aurait déclaré que les Chaulet auraient toujours pensé comme cela. Notre société, quoique pluriraciale, est travaillée encore par des stéréotypes, des traits culturels racistes et aliénants bref des travers de toutes sortes qui pourraient résulter de ce qu’un Pierre Bourdieu nomme unhabitus, ce qui n’est pas la même chose qu’une nature. En ce sens M. Chaulet est tout à fait responsable de ses actes et nous ne croyons pas comme l’affirment certains, que même s’il était avéré que M. Chaulet appartiendrait à un groupe ethnique dont de tels propos racistes seraient un habitus, que cela atténuerait sa responsabilité. Rien n’indique d’ailleurs que toute la famille Chaulet cautionne de tels actes. Comme nous sommes des humains, l’histoire n’est pas notre code génétique nous enfermant dans on ne sait quelle nature indépassable. Chacun peut donc échapper à des stéréotypes propres à son groupe d’origine. Etre citoyen, c’est s’arracher à des pensées toutes faites, à des préjugés de toutes sortes et penser par soi-même dans le sens de la défense de l’intérêt collectif.
Il est tout à fait compréhensible que cet acte raciste ait pu légitimement soulever l’indignation des Guadeloupéens en ravivant dans leur esprit la mémoire de l’esclavage. Néanmoins, il est pour nous un devoir moral de mettre en garde contre toute forme de dérive ethniciste dans le traitement médiatique de cette question. L’ethnicisme est le cousin germain du racisme car lui aussi enferme l’individu dans une détermination historique qui le marquera à jamais sans possibilité de dépassement. Les Nègres seront les éternelles victimes de l’esclavage et les békés des éternels esclavagistes. L’effacement de l’individu derrière le groupe est dangereux et mortifère, c’est la négation même de la liberté (donc de la responsabilité individuelle), sans le respect de laquelle la citoyenneté n’a pas de sens. C’est aussi la négation de la pensée par soi-même, produisant des êtres abêtis capables des pires crimes inhumains comme nous le montre le film Timbuktu. Les Nègres ne sont pas tous des anges et les békés tous des démons.
C’est donc en fonction d’une éthique et non en fonction d’une ethnie que nous devons juger les individus si nous voulons » vivre ensemble » dans ce pays. C’est par la pratique collective, dans l’action mais aussi dans des débats concertés, visant le bien commun, que nous pourrons, dans nos différences, dépasser les tares du passé. Mais c’est aussi par l’application des principes de justice. En ce sens, nous espérons que justice soit rendue à M. Frédéric Augustin et que M. Chaulet, dans le cadre du droit, soit sévèrement jugé et condamné. »