Ce mois de mai 2015 en Guadeloupe a été riche en évenements, débats et réflexions sur l’histoire et la mémoire. Le Mémorial acte a fait polémique. Le Cipn absent le jour de l’inauguration, était présent le 27 mai sur scéne au côté des représentants de l’Etat et de la région. « Y aurait-il un temps pour tout » comme l’a dit l’Ecclésiaste. Lire le point de vue de F-EO, professeur de lettres, citoyenne lucide et vigilante, considérant qu’une » réparation d’ordre matériel ou en terme de politiques publiques dédiées favoriserait le développement humain et global des peuples concernés. »
Le Comité International des Peuples Noirs (CIPN) instigateur de l’édification d’un monument officiel dédié à la mémoire de l’esclavage et de la traite négrière a choisi, ainsi que plusieurs autres organisations, de ne pas participer aux côtés du Président de la république française à la cérémonie d’inauguration du Mémorial Acte.
En agissant ainsi, le CIPN manifestait son intransigeance sur la question globale des réparations et son désaccord avec la position de réparations strictement mémorielles adoptée depuis 2013 par François Hollande.
Par ce choix, les initiateurs de la commémoration ont perdu une formidable opportunité de faire de la pédagogie autour des différentes formes de réparations et de s’inscrire dans le cadre plus vaste d’un combat universel pour la dignité humaine. La présence massive et exceptionnelle des médias internationaux tout comme la retransmission en direct assurée par Guadeloupe Première imposait d’aller au-delà de la simple journée de commémoration officielle.
Pourquoi faut-il toujours que nous n’existions qu’à travers le dictat, le discours, le regard du colonisateur ou de ses descendants ? En vertu de quelle logique opaque la réponse potentiellement négative de François Hollande devait-elle générer un attentisme discret de la part des partisans d’une réparation multiforme ? O๠était ce jour- là le peuple spolié ?
J’ai le sentiment que nous avons d’abord raté un rendez-vous avec nous-mêmes. L’important était d’exposer sans relâche la revendication des réparations. Ce qui a fait défaut en amont et en aval de la commémoration c’est une stratégie de communication offensive. On attendait des débats et des tribunes portés par des voix fortes, des affiches, banderoles, le son du tambour pour accompagner ce temps fort. En un mot, il fallait occuper l’espace public. Le vide ainsi créé a été squatté par des révisionnistes, des bateleurs » historiens « , » politologues » et divers autres personnages en quête de visibilité médiatique.
A travers cet évènement qui réunissait dans une opportunité historique les acteurs et les sujets des trois continents- (Afrique, Europe, Caraïbe) le seul contrepoint efficace e ût été le déploiement unitaire le 9 mai, à l’aéroport et à Gosier ,puis le 10 mai, sur la Place de la Victoire d’affiches et banderoles, la résonance des prises de paroles et des tambours ; une synergie contagieuse propre à mobiliser les masses populaires tenues à l’écart du site mémoriel
C’était l’opportunité, avec les représentants de la Caraïbe, présents en nombre, de mutualiser les demandes similaires.
C’était également l’occasion d’interpeller l’Afrique, si terriblement anémiée, et tellement en retrait sur ce qui est également son histoire.
Le Mémorial Acte était annoncé comme un outil à vocation caribéenne, internationale pour la défense d’une cause universelle.
Il existe encore en Guadeloupe beaucoup de résistance à la demande de réparations. Par crainte de recevoir un camouflet, par volonté d’enfouir dans un oubli profond une période douloureuse … Le peuple a besoin de sentir que la demande de réparation adressée par des militants aux autorités françaises n’est ni déplacée, ni honteuse, ni illégitime et que le combat qui peut être ressenti aujourd’hui comme celui du pot de terre contre le pot de fer est porté par d’autres peuples qui s’appliquent à faire vivre le même espoir. Partant, la pédagogie doit être une préoccupation de chaque instant. La retransmission de l’évènement en direct imposait aux partisans plus d’opportunisme médiatique.
A quoi avons-nous assisté le jour de l’inaugiration du Macte ?
-Une cérémonie bien orchestrée au cours de laquelle les présidents de région et de la république française égrenaient des discours mémoriels qui dissimulaient mal leurs préoccupations électoralistes. Et par-dessus tout, le choix paternaliste de François Hollande de se comporter en Père Noel d’avant saison distribuant cyclotrons, subventions, promesses d’égalité « » réelle « ,etc…
Ce ballet bien réglé a ravi les plus crédules et la promesse, clairement énoncée celle-là , de rembourser la rançon de l’indépendance payée par Haïti à la France a provoqué une standing ovation.
Ainsi, en lieu et place d’engagements, de prise en compte de la problématique des réparations, nous avons eu droit à une pantalonnade indigne d’un Président de la République, qui d’une part, déclare un jour l’inverse de ce qu’il a affirmé la veille et d’autre part , formule des propositions volontairement sibyllines que des
« communiquants » diligents sont chargés de décoder après son départ.
La promesse de rembourser Haïti fut une intoxication de plus. Mais quelle importance ? Haïti ne fait pas partie de l’électorat français, et elle est tellement nécessiteuse… Elle peut bien être outragée. Mais, sur ce point, attention. Quand on méprise Haïti, c’est nous qu’on méprise. On nous a gravement manqué de respect.
Ce qui a manqué dans la présentation de l’outil Mémorial Acte, c’est la notion de
« reconstruction ». N’en déplaise à M. Lurel, rédempteur inspiré : pour pardonner, il faut se reconstruire. A l’évidence, il manquait un supplément d’âme : la dimension d’autoréparation de la mémoire, la réhabilitation.
Le Mémorial Acte n’est pas la » chose » des Guadeloupéens, il ambitionne d’être le lieu d’une mémoire transversale, universelle. Cette dimension a quasiment été escamotée par l’absence du CIPN et de ses émules.
Les évènements récents montrent s’il en était besoin à quel point l’édification d’un bâtiment mémoriel, pour prestigieux qu’il soit, et en dépit de l’ambition qu’il affiche, ne clôt pas la question des réparations.
La réparation symbolique est indispensable car elle permet de mettre des mots sur des maux. Mais elle demeure insuffisante.
Il s’agit en tout premier lieu d’honorer les victimes de la Traite négrière et du système esclavagiste , de frapper les consciences et de nourrir la mémoire de toutes les générations. Frapper les consciences comme l’avait commencé le CIPN avec maestria lors de la simulation de l’arrivée d’un navire négrier sur la Darse à Pointe à Pitre, en 1998.
Il s’agit également d’installer une vigilance communautaire des peuples noirs et de restaurer des identités bafouées. Il s’agit enfin, au plan psychologique, de faire reculer le syndrome de Stockholm.
Les Juifs, o๠qu’ils se trouvent, quelle que soit leur origine, leur classe sociale, leurs convictions politiques sont – avec raison – des sentinelles résolues de la mémoire de la Shoah, contre la résurgence de la « bête immonde » et contre le révisionnisme. A leur exemple, nous pouvons nous adosser au Mémorial Acte pour promouvoir une connaissance de notre histoire et une conscientisation pour stopper le négationnisme et l’amalgame.
Contrairement à ce que certains prétendent, réclamer des réparations ce n’est pas promouvoir une mendicité contemporaine sur la base d’un passé révolu. Ceux qui se sont enrichi par la Traite et le système esclavagiste ont , eux, très tôt, bénéficié de réparations financières et il n’est venu à l’idée de personne de les traiter de mendiants.
Il est évident qu’aujourd’hui les réparations ne peuvent être individuelles et financières. Pourtant, au-delà du symbolique, il existe toute une gamme de modalités pour répondre à cette revendication fondamentale. En France trop souvent, la réparation symbolique est réduite à la notion de « repentance », d’acte de contrition.
Il y aurait pourtant beaucoup à faire pour améliorer dans l’hexagone l’image des afro-descendants ; permettre, par exemple, à l’un d’entre eux de présenter le 20h, mettre en place, autre exemple, à la manière des étatsuniens, une politique d’affirmative action dans le domaine cinématographique ; éviter que nombre d’entre eux croupissent dans les ghettos urbains ; voici quelques exemples non exhaustifs.
De même les réparations matérielles pourraient conduire à une domiciliation plus manifeste de la puissance publique ou à éviter que les Afro-descendants antillais, à la fois diversité visible et français de longue date, ne soient les recrues privilégiées du niveau C de la fonction publique, etc., etc.
La question des réparations ne progressera pas sans une mobilisation en continu, sans l’adhésion populaire et sans une stratégie de communication plus offensive.