Un accord a été trouvé et le Grexit n’aura pas lieu en ce mois de juillet 2015. On peut s’en satisfaire, mais ce « succés » a une saveur âpre. La question de fond, sur l’endettement des Etats, la financiarisation de leurs dettes n’est pas réglée. La logique endettement des pays /austérité des peuples, continue. Jusqu’à quand et au profit de qui?
» On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré »
Albert Enstein
Au cours des dernières semaines , il n’était plus possible d’ouvrir un journal, d’écouter une station de radio ou de regarder une émission de télévision sans que l’on nous évoque « la crise », celle qui frappe les Grecs, celle dont les Espagnols essayent de sortir , celle qui tourne autour des Italiens, celle dont-les Allemands-se-sont-préservés- à temps- grâce- à – « de bonnes réformes », celle qui nous guette.
Au fil des articles ou des débats, les mots changent, les concepts se bousculent. A coté de » la crise » apparaissent » la dette « , » l’euro « , » les marchés « .
Le résultat du référendum grec du 5 juillet a amplifié le phénomène. C’est désormais la grosse caisse pour nous mettre en garde contre des dangers imminents – et couteux-. De savants calculs nous prédisent que chaque citoyen français » paiera » environ 700 euros pour » rembourser la dette grecque « . Avec ce matraquage, on finit par se dire » s…. de Grecs, pourquoi ne payent-t-ils pas leurs dettes ? »
De quoi s’agit-il ? Qu’avons-nous fait pour mériter ça ? Quel est le lien entre tous ces concepts devenus si omniprésents et surtout si menaçants ?
Pour comprendre, il faut regarder dans deux directions :
– d’une part la crise financière importée des Etats Unis par le scandale des » subprimes « ,
– les mécanismes de construction de l’euro (sans oublier les petites magouilles de maquillage des statistiques par les autorités grecques lors de l’entrée de ce pays dans l’eurozone) d’autre part.
Pendant plusieurs années, et singulièrement au cours des premières années 2000, les banques américaines ont accordé des prêts hypothécaires à des ménages dits » à risques « , ménages à faible revenus . Les taux d’intérêt variables de ce type d’emprunt les rendent attractifs au début et font miroiter aux plus vulnérables, le rêve d’accéder enfin à la propriété. En contrepartie de critères d’attribution moins stricts que pour des crédits classiques, les intérêts sont plus élevés à long terme. Jusque là , cette affaire est américano américaine.
Les créanciers de ces malheureux emprunteurs (banques et organismes de crédit spécialisés) ont » titrisé » une partie des créances générées par ces prêts très risqués. « Titriser » signifie, dans ce cas précis, que ces organismes financiers ont transformé les créances en titres émis et négociés sur les marchés financiers internationaux. Ces titres étant risqués, ils sont très rémunérateurs . En effet, dans le système d’économie de marché, la rémunération est supposée récompenser le risque. Plus le risque est élevé, plus on gagne. A condition que tout se passe bien !
La conjoncture étant devenue défavorable aux Etats Unis , les défauts de paiement se sont multipliés, les créanciers sont devenus insolvables du fait de la hausse du chômage, situation aggravée pour les prêteurs par le fait que même en cas de saisie , la revente des biens immobiliers ne suffisait plus à assurer le recouvrement des créances.
L’incendie ainsi allumé par des établissements de crédit pyromanes s’est ensuite propagé à l’ensemble du secteur financier mondial par l’intermédiaire des obligations crées par la » titrisation ». En effet, des banques européennes, dont les principales banques de dépôt , flairant la » bonne affaire » s’étaient rués sur ces titres risqués.
Lorsque les ménages américains n’ont plus été en mesure de rembourser leurs prêts, ces titres se sont écroulés propageant le feu aux banques. Pour soutenir ces dernières dont la faillite aurait entraîné de graves problèmes économiques et sociaux (les banques de dépôt ont en effet joué avec nos économies), les Etats ont été amenés à soutenir ces banques et à transformer des dettes privées nées de la spéculation en dettes publiques.
En un mot, de spectateurs émus des malheurs de pauvres ménages victimes d’une arnaque aux mensualités croissantes assez classique, nous sommes tous devenus des acteurs qui doivent impérativement serrer la ceinture pour cause de » crise « .
Le tsunami venu de l’Atlantique vient en effet frapper des Etats déjà fragilisés par :
– les efforts consentis pour intégrer la zone euro ;
– l’impossibilité de mener une politique monétaire adaptée à la situation, impossibilité crée par les traités de Maastricht et de Lisbonne ;
– Le poids de la dette publique antérieure.
Schématiquement, la dette publique est, dans le domaine des finances publiques, l’ensemble des engagements financiers pris sous formes d’emprunts par l’à‰tat, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement (certaines entreprises publiques, les organismes de sécurité sociale etc …
Le déficit public apparait lorsque les produits (les recettes fiscales essentiellement) sont inférieurs aux charges (dépenses budgétaires essentiellement) des administrations publiques. Les déficits sont généralement financés par des emprunts qui accroissent la dette.
Les agences de notation : Lorsque les Etats recourent à l’emprunt, leur capacité de remboursement est évaluée par les agences de notation financière.
Le recours à l’emprunt : Les économistes se disputent sur la nécessité de recourir à l’emprunt public. Levier de développement efficace pour les uns, il représente un vice inefficace des Etats pour les autres. Cependant, il faut faire taire l’idée » de bon sens » abondamment colportée par la vulgate économique selon laquelle un Etat, comme un ménage, » ne doit pas dépenser plus qu’il ne gagne « .
Citons Denis Clerc de la revue Alternatives Economiques » il existe une grande différence entre les dettes publiques et les dettes privées, que ces dernières soient contractées par les ménages ou par les entreprises. Dans ce dernier cas, en effet, la capacité de remboursement des emprunteurs dépend de l’évolution de leurs revenus, lesquels, dans une économie de marché, peuvent fortement fluctuer. S’ils diminuent ou disparaissent (faillite) et si les garanties exigées lors du prêt se révèlent sans valeur suffisante, le créancier n’a alors plus que ses yeux pour pleurer. Et cette probabilité est loin d’être nulle. En revanche, un Etat a toujours la possibilité d’augmenter les impôts ou, au pire, de recourir à la planche à billets pour honorer ses engagements, du moins ses engagements intérieurs. » A condition de garder la maitrise de sa politique monétaire !!
Prenons le cas de la France. La vague vient frapper un pays qui s’est progressivement dessaisi d’un pouvoir régalien fondamental, celui de la création monétaire. Voici comment :
Evolution du mode de financement de l’Etat français:
– Avant 1973 L’Etat emprunte auprès de la Banque de France : Taux d’intérêt = 0
– De 1973 à 1995 : la Loi 73-7 du 4 janvier supprime la possibilité pour l’Etat d’emprunter auprès de la Banque de France. Le Trésor doit désormais emprunter auprès des banques privées. Taux d’intérêt = variable
– Depuis 1995 Traité de Lisbonne. Consolidation de la mise en place en Europe de la monnaie unique, article 123 : « Il est interdit à la Banque Centrale Européenne et aux banques centrales des Etats membres d’accorder des découverts, des escomptes ou toute autre type de crédit aux organismes ou entreprises publics des Etats membres »
Nous avons donc la création d’un système dans lequel les pouvoirs publics français :
– dans un premier temps se sont liés les mains sous prétexte de lutter contre la tentation de créer de la monnaie de manière débridée ( » faire fonctionner la planche à billets « ) pour couvrir d’éventuels déficits ;
– dans un deuxième temps, les intérêts sont transférés aux banques privées.
L’Etat s’est donc déssaisi d’un pouvoir régalien majeur : la création monétaire qui non seulement permet des ajustements budgétaires et comptables mais aussi, et surtout, est l’instrument central de la politique économique.
Progressivement , et pour faire bonne mesure, l’on a rajouté des écrous, des vis : » Règle d’Or » à inscrire dans la Constitution, » Traité européen de stabilité budgétaire , etc …
Ensuite, tout peut fonctionner. Ainsi, dans le système euro :
– Les banques privées empruntent à la BCE à des taux bas (le dernier taux directeur est de 0,05 )
– Ensuite, elles prêtent aux Etats européens à des taux d’intérêt variables selon les » notes » des agences de notation : très élevés pour les » mauvais élèves « , moins élevés pour les » bons « , mais dans tous les cas largement supérieurs au taux obtenu de la BCE. A titre d’exemple les taux des emprunts d’Etat à 10 ans sont début juillet 2015 de 0,65 pour l’Allemagne, 1,13 pour la France, 2,2 pour l’Italie, 2,29 pour l’Espagne.
A première vue, cette construction parait complètement folle. La vérité est malheureusement plus terre à terre. La marche forcée vers une intégration européenne qui n’harmonise que les marchés et délaisse complètement les aspects sociaux (lois sociales, sécurité au travail, politiques de santé et d’éducation ) répond à un double objectif :
– bien entendu, accroitre le marché
– mais aussi , et surtout, mettre sous pression les travailleurs des espaces qui bénéficient d’avancées sociales. Les relais d’opinion , journaux, Télés, » Experts « , les accusant ensuite de » co ûter trop cher « . Il faut les préparer à des » sacrifices « , à se » serrer la ceinture « . En filigrane, si cela ne suffit pas, il faut les préparer à revenir sur certaines conquêtes sociales devenues » hors de prix » ou à trouver des boucs émissaires responsables de l’austérité : « les Grecs » aujourd’hui, demain… Pendant ce temps, les timides réformes réclamées aux banques notamment la séparation entre les activités de dépôt et les activités spéculatives ont été enterrées. » Mon ennemi, c’est la finance ! » n’est même plus un souvenir.
Ainsi, tout est lié. Rien de ce qui est arrivé hier au Portugal ou à l’Espagne, aujourdhui à la Grèce , demain à l’Italie ou même la France n’est le fait du hasard.
La dette qui ne cesse d’augmenter et dont l’essentiel réside dans » charge de la dette » comprenez le paiement des intérêts, la crise financière, les traités organisant la monnaie unique s’emboitent parfaitement comme des poupées russes.
Mais, la » babouchka » qui contient toutes les autres, la superstructure qui sous tend tout cet édifice et qui donne sens et cohérence idéologique à l’ensemble, s’appelle le triomphe du capitalisme financier.
En effet, la situation actuelle n’est que l’apogée d’une vaste mutation du système capitaliste qui, de capitalisme productif, a évolué vers le capitalisme financier basé sur la spéculation.
Or, la quasi-totalité des élites politiques, économiques et de pouvoir, s’est ralliée à l’ « inexorabilité » de la vision financière de l’économie et ce faisant, signent la victoire des théories économiques monétaristes de l’Ecole de Chicago et de son gourou Milton Friedmann.
Ces théories, désormais baptisées » libérales « , sont le liquide nourricier dans lequel barbotent les énarques, les commentateurs, les journalistes et les économistes bien en cour .Toute autre vision est écartée comme » pas sérieuse « , » pas réaliste « .
Or, rompre avec le monétarisme , dont les failles théoriques sont évidentes, est soutenu par de nombreux économistes, à l’intérieur même du camp de l’économie de marché. On peut citer pour mémoire le » Manifeste des économistes atterrés » ; l’équipe du journal de résistance » Alternatives économiques » entre autres .
Au niveau des travaux de réflexion, il est à noter que le premier économiste français Prix Nobel , Maurice Allais, a basé l’essentiel de son oeuvre scientifique sur la critique du monétarisme. C’est probablement pour cette raison que, jusqu’à sa mort, il n’a jamais été invité sur les plateaux de télévision ou les forums médiatiques. On peut ajouter, dans un autre registre, l’appel de l’économiste américain Paul Krugman qui prône un retour à une inflation modérée. Mais, après tout, cet auteur est-il réellement qualifié pour s’exprimer ainsi, lui qui n’est que Prix Nobel d’économie 2008 ?
Au-delà des péripéties de la Grèce qui , non seulement a maquillé ses statistiques pour être conforme aux critères d’accession à la zone euro, mais aussi a usé d’artifices avec l’aide de la banque Goldmann Sachs pour obtenir des crédits et contourner la règle de ne pas dépasser 3% de déficit budgétaire. qui n’impose pas les biens de l’église orthodoxe ni les armateurs surpuissants, au-delà des fautes des gouvernants Grecs, ce qui est en jeu c’est le combat contre le capitalisme financier.
C’est à dire, un retour à la prise du pouvoir par les responsables élus, c’est-à -dire par les peuples
L’économie est l’une des rares disciplines dans laquelle le discours des experts mélange l’analyse des faits et leur interprétation idéologique. Cette imposture a commencé par une bataille sémantique, l’économie politique se muant progressivement en « science économique « .
Si l’approche scientifique, ses méthodes, ses techniques, notamment la formalisation mathématique, sont un incontestable apport dans la compréhension des mécanismes économiques, il demeure que l’objet de cette discipline est fondamentalement de nature politique. Le choix du système qui permet de produire des richesses, le choix du mode de répartition des richesses produites sont des choix politiques. Le dernier mot doit donc revenir à ceux qui vivent dans ces sociétés, c’est-à -dire aux peuples.
Il s’agit simplement de rappeler cette évidence parfois oubliée et de signaler que, même en l’absence de » grand soir » des politiques économiques alternatives sont possibles, un autre monde est possible.
Je ne souhaite pas que demain, toutes les jeunes filles se prénomment » TINA « , Tina, l’acronyme préférée de Mme Tchatcher : » There Is No Alternative »