En Guadeloupe, le Cippa (1) a été le premier à faire circuler l’information : des négociations sont en cours pour la vente à une entreprise américaine de la centrale géothermique de Bouillante qui produit 6% de l’énergie del’archipel. Simultanément à la Cop 21 et aux débats sur la » transition énergétique » , avec la bénédiction de Ségoléne Royal et Emmanuel Macron le gouvernement français se réjouit de céder la géothermie guadeloupéenne à Ormat, une entrepride US leader mondial du secteur. Le social-libéralisme à l’oeuvre.
La centrale géothermique de Bouillante en Guadeloupe est mal gérée, son co ût de production est élevé, ce qui pourrait être une source de richesse et de fierté pour ce territoire français des Amériques, si dépendant par ailleurs, ne l’est pas. Est-ce une raison pour s’en débarrasser et vendre cette unité de production d’énergie à une entreprise américaine ? Ne serait-il pas plus logique d’investir, de valoriser et de garder le contrôle sur cette ressource locale, propre et inépuisable. Les élus guadeloupéens, silencieux sur le sujet, n’auraient-il pas leur mot à dire ? Quant à la population de l’archipel peut-elle en spectatrice assister à cette vente, sans demander des explications ?
Et comble des paradoxes, est-ce cohérent d’entendre la ministre de l’Environnement , Mme Royal, présenter cette vente comme » une justification positive de la politique du gouvernement français dans le développement de l’énergie géothermique très bien accueillie en Guadeloupe comme une alternative aux combustibles fossiles »?
En 2014, Ségoléne Royal, » l’amie de la Guadeloupe » et aussi ministre de l’Environnement a visité la centrale thermique de Bouillante dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique. Une visite très officielle au cours de laquelle le Pdg, François Demarq a expliqué ses projets et sa stratégie à la ministre, assurant que la géothermie apportait une » contribution majeure à la transition énergétique et qu’il avait des projets de développement ambitieux, notamment une usine » Bouillante 3″ à l’étude. »
Sur le site internet du BRGM ( 2) qui rend compte de cette visite une petite phrase aurait pu alerter les observateurs : « des interrogations demeurent sur le modèle économique, l’équilibre financier du site et la recherche d’investisseurs … » En fait depuis plusieurs années le BRGM cherchent à vendre la centrale de Bouillante et a trouvé un acheteur. Le reste est effet d’annonce et plan de communication à court terme.
Ce qui pourrait paraître déroutant dans un monde fondé sur la transparence et la cohérence n’étonnera pas de la part de politiques qui font du reniement un principe de gouvernement. Car il y a moins d’un an, en avril 2015 la même ministre de l’Environnement annonçait la création d’un fonds de développement de la géothermie ( Geodeep) dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. En perspective de la Cop 21, l’Etat s’engageait à investir 50 millions d’euros pour développer la géothermie. Huit mois plus tard la vente à une entreprise américaine, pour une somme à peu près identique, de la seule centrale géothermique opérationnelle sur un territoire français est annoncée. O๠se trouve la cohérence ? D’une part on prétend investir pour développer une énergie verte – la géothermie – d’autre part on vend ce qui est prometteur et existe déjà . Cherchez à comprendre !
Les négociations en cours doivent conduire Ormat-technologie, une entreprise américaine basée dans l’Etat du Nevada à contrôler 85% du capital de la centrale thermique de Bouillante. Ormat est une entreprise leader mondiale de l’industrie géothermique. Elle est implantée aux USA, mais aussi en Nouvelle Zélande, en Afrique, au Guatemala et bientôt – peut-être -dans la Caraïbe. Elle emploie 470 personnes aux Etats-Unis et environ 600 dans ses implantations à l’étranger. Le montant de la vente serait de l’ordre de 52 millions d’euros. Une somme relativement modeste, s’il faut tenter une comparaison, c’est moins que le chantier du Mémorial act.
La centrale de Bouillante a été construite par EDF à la fin des années 1970 et a été raccordée au réseau en 1986. Son propriétaire est SAGEOS une filiale du Bureau de recherche géologiques et minières ( BRGM). L’eau à plus de 150 degrés est puisée en profondeur et la châleur récupérée active des turbines qui produisent de l’électricité. C’est une énergie renouvelable et non polluante. Actuellement la centrale produit 6% de l’énergie consommée en Guadeloupe, mais son potentiel va au-delà . Le projet d’Ormat est de multiplier par trois la quantité d’énergie produite en passant 14,7 MW à 45 MW d’ici 2021. Il s’agit donc d’installations prometteuses qui dans moins de 10 ans pourraient produire près de 20% de l’énergie consommée par les Guadeloupéens.
Et la Guadeloupe justement ! Ce territoire si dépendant pour tout – énergie, produits alimentaires – peut-il accepter tranquillement de voir une entreprise américaine contrôler l’une des rares sources d’énergie à la fois locales et opérationnelles pouvant contribuer à améliorer son indépendance énergétique . Quel sens faut-il donner à ce qui ressemble à un désengagement de la France ?
Pour l’instant les réactions ont été rares. Alain Plaisir, président du Cippa a diffusé un communiqué dans lequel il reprend l’information et s’en inquiéte : » Pourquoi l’Etat a-t-il choisi de vendre à une entreprise privée, de surcroit américaine, cette centrale qui pourrait servir de modèle d’énergies renouvelables ? Pourquoi Edf s’en désintéresse-t-elle alors qu’elle investit en Indonésie et au Mexique sur des projets similaires » s’interroge le président du Cippa, par ailleurs étonné du faible niveau de réaction de la classe politique guadeloupéenne : » Que disent les élus ? ».
Autour du Cippa et de Jean-Pierre Malo, l’ancien maire de Bouillante, un petit groupe s’est constitué pour faire entendre la voix de la Guadeloupe dans ce dossier. A ce jour la population est peu informée et les réactions sont rares. Au sein de l’usine, ni les salariés, ni le principal syndicat, la CGT, ne se sont exprimés. Le fonctionnement de l’unité de production est si peu satisfaisante que la » solution américaine » semblent à quelques uns envisageables. » Il faut maintenir cette usine dans le service public, au regard des conditions de la vente, Ormat fera ce qu’elle veut si elle devient propriétaire » répond le Cippa.
La vente de l’usine de Bouillante doit être bouclée d’ici le mois de mai. On en entendra parler d’ici là . Le comité qui s’est constitué a pour objectif d’informer la population, d’adresser une lettre ouverte aux élus et de faire annuler la vente. L’objectif n’est pas d’en faire un sujet polémique mais plutôt d’en appeler au » bon sens » : la Guadeloupe a peu de ressource propre, elle achète et consomme trop, il est aberrant d’un point de vue économique et moral, de vendre ainsi une richesse de son sous-sol.
Cela étant, « l’effet de nuisance » ne suffit pas, si la vente est cassée que se passera-t-il, après ? Le modèle économique actuel ne fonctionne pas, la filiale du BRGM gère mal la centrale donc le statu quo n’est pas possible. L’occasion se présente de créer et de trouver des alternatives. Un rachat par EDF et des investissements sont envisageables mais incertains. Est-il possible d’imaginer et d’inciter l’implication de la Guadeloupe et des Guadeloupéens sous une forme alternative d’entreprenariat ? Il y a des investisseurs publics et privés dans cet archipel: la région rachète des hôtels, des privés investissent dans des activités liées à l’importation qui ne produisent aucune plus-value et n’enrichissent pas le pays. Là , sous nos pieds autour de la Soufrière git une richesse quasi inépuisable qui peut fournir l’énergie dont tout un chacun a besoin. 20% à l’horizon 2021 dit Ormat et pourquoi pas avec ou sans Ormat 50% à l’horizon 2050. C’est là que se trouvent les enjeux.
(1) CIPPA : comité d’initiative pour une alternative politique en Guadeloupe
(2) BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières, établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre. Sageos, propriétaire de la centrale de Bouillante, est une filiale du BRGM.