Dans une étrange indifférence, mise à part la mobilisation d’un groupe de guadeloupéens conscients de l’enjeu, le processus de vente de la centrale géothermique de Bouillante avance à petits pas. L’enjeu est la possibilité d’une autonomie énergétique, au moins partielle, de la Guadeloupe. Si cette autonomie est impossible, est-ce que toute idée d’autonomie, sous quelque forme que ce soit, ne le serait pas ?
Le processus et les conditions de vente de la centrale géothermique de Bouillante en Guadeloupe peuvent-ils encore être interrompus ? Le collectif qui s’est constitué au mois de mars pour la défense d’une » géothermie guadeloupéenne » agit en ce sens et tente de mobiliser la population autour de cette idée. Mais la tâche est ardue.
L’idée semble pourtant pleine de bon sens. D’autres territoires, tel l’Islande, petit pays de moins de 400 000 habitants, font ou ont fait de la géothermie l’instrument de leur indépendance énergétique et en garde le contrôle. IDDP ( Iceland deep drilling project) un consortium islandais a été crée pour optimiser la production d’énergie d’origine géothermale. Le marché mondial de la géothermie est en progression et les islandais exportent leur savoir faire. Plusieurs sociétés islandaises produisent de l’énergie issue de la géothermie, certaines d’entre elles sont liées à des municipalités. En effet pourquoi acheter de l’électricité à un marchand alors qu’on peut la produire et en contrôler le co ût. Bref, la démarche n’est pas dépourvue de bon sens.
Mais six mois après l’ouverture du débat sur la vente de l’usine de Bouillante, en Guadeloupe une sorte d’indifférence domine. Même les syndicats locaux, quelques uns parfois si vindicatifs , acceptent l’idée de la vente. » Si les américains sont capables de mieux faire alors pourquoi pas ? » C’est l’idée générale.
Qu’ils soient capable de faire, il n’y a pas de doute, Ormat leader mondial, maîtrise parfaitement son sujet. Si ses dirigeants ont pris cette décision dans des conditiohs assez favorables pour eux c’est qu’ils mesurent le potentiel de développement et les bénéfices possibles. Une entreprise US n’investit pas sans songer au retour sur investissement. Et c’est d’ailleurs normal dans l’économie de marché qui constitue notre environnement. Mais pourquoi céder ce marché car dans quelques années, si le développpement est au rendez-vous, la Guadeloupe achètera son électricité produite localement à une société américaine dont le siège social est dans le Nevada ? Cela donne à réfléchir, non ?
Lors d’une réunion organisée par le collectif au début du mois de juin au centre Rémy Nainsouta à Pointe-à -Pitre deux constats ont été faits: d’une part la motivation forte, voire l’indignation et le fort désir d’agir des membres du collectif qui ne se résignent à cette vente; d’autres part le peu d’écho à ce jour dans la population, chez les politiques locaux pas plus que dans les relais d’informations institutionnnels et grand public. Calme plat, circulez, il n’y a rien à voir. Le dernier match de l’Euro compte plus que tout le reste.
» On s’indigne du passé, j’entend parler de réparations, d’esclavage, mais on dirait que le présent n’intéresse personne … » s’est lui-même indigné l’un des intervenants, frappé par le fatalisme ambiant.
L’intérêt de la Guadeloupe n’est pas la priorité de cette vente
Le sujet devrait pourtant dépasser les clivages et les couleurs politiques, les sensibilités et » même » les couleurs de peaux pour concerner tous les Guadeloupéens vivant sur cet archipel. Il s’agit en effet de la production et de la consommation d’énergie électrique que tout un chacun utilise, consommation en croissance chaque année. Un territoire qui ne maîtrise pas sa production d’énergie, ni son co ût, est voué à terme à accepter les conditions de celui qui la produit pour lui. Avec la géothermie, la Guadeloupe détient un potentiel de développement possible pour améliorer son indépendance énergétique, céder ce potentiel à un tiers, n’est ce pas une erreur ?
Deux membres du collectif, Alain Plaisir et Jacky Dahomay ont publié au début du mois un article dans Médiapart dans lesquels ils avancent des arguments qui devraient retenir l’attention de tous ceux qui en Guadeloupe consomment de l’énergie : » … l’énergie électrique consommée en Guadeloupe est essentiellement produite à partir du pétrole et du charbon. Or, ces énergies sont condamnées à court ou moyen terme d’une part en raison de leur épuisement d’autre part par les dégats écologiques qu’ils entraînent. Nous avons la chance de disposer de conditions nécessaires pour réaliser une transition énergétique avec une électricité utilisant surtout les énergies renouvelables ( le soleil pour le photovoltaïque, les alizés pour les éoliennes, la mer, la biomasse et la géothermie.) La Cop 21 a souligné toute l’importance qu’il y a de développer ces énergies renouvelables. »
« En ce sens l’usine géothermique de Bouillante, cas unique sur le territoire français de production d’électricité à partir de la géothermie, était une réussite … Pourquoi donc la ministre de l’Ecologie, Ségoléne Royal, a-t-elle décidé de vendre l’usine de Bouillante à la société américaine Ormat ? »
On peut supposer que l’intérêt de la Guadeloupe n’a pas été une priorité dans les discussions qui ont eu lieu en amont de la vente, le peu de cas fait de la population concernée dans la décision est assez flagrant, tout comme est flagrant le désintérêt d’ EDF pour la géothermie. EDF a créé la centrale puis s’en est désengagé et l’Etat a laissé faire.
Le bras de fer qui oppose en ce moment même le gouvernement français et EDF à propos du démantélement de la centrale de Fessenheim pèse sans doute plus en terme d’enjeu stratégique et politique que la » petite » centrale de » Bouillante vendue 52 millions d’euros à Ormat alors qu’ailleurs des milliards sont enjeux.
Mais si petit soit-il comparé aux grands enjeux nationaux et internationaux, le pays Guadeloupe aurait mérité un peu plus d’attention. Puisque les politiques locaux ne se sentent manifestement pas concernés (??) la seule manière possible de changer le cours … de la vente serait une mobilisation importante de la population, de ces guadeloupéens qui seront aussi les acheteurs – un jour peut-être – d’une électricité américaine produite avec l’eau à 150 ° chauffée par la Soufrière.
Le collectif appelle à un rassemblement le samedi 25 juin à 9h00 devant le centre Rémy Nainsouta à Pointe-à -Pitre. Le volume de ce rassemblement décidera de l’avenir de la géothermie guadeloupéenne … ou pas.