Petite-Terre est un archipel inhabité des Petites Antilles situé entre la Pointe des Châteaux en Guadeloupe et l’île de la Désirade. Espace fragile et protégé culminant à 35 mètres d’altitude, il est convoité par les opérateurs du tourisme qui en font une destination très prisée. Concilier protection du site et développement touristique est un exercice difficile.
En arrivant à Petite-Terre, on est frappé bien sûr par la beauté du lieu : deux îlets ourlés de sable blanc et de cocotiers, un lagon aux eaux turquoise, promesse de plongées éblouissantes. L’endroit est paradisiaque et on se prendrait à le rêver pour soi.
C’est sans compter l’importante fréquentation touristique du site. Chaque jour les bateaux de croisiéristes déversent en bord de plage leur flot de passagers. Un peu plus loin, bateaux de location et plaisanciers sont au mouillage dans le lagon. La fréquentation annuelle de la réserve est estimée à environ 30 000 visiteurs par an. Beaucoup de monde finalement pour un espace naturel sous protection…
Une réserve naturelle à succès
Créée officiellement en 1998, la Réserve naturelle des îles de la Petite Terre abrite un patrimoine naturel, marin et terrestre, remarquable, qui en fait un espace majeur en matière de conservation des habitats et de la biodiversité dans l’archipel guadeloupéen.
Les îlets de Petite Terre possèdent des habitats marins parmi les plus riches de la région caribéenne, notamment leurs récifs coralliens, qui sont un habitat privilégié pour les poissons juvéniles et les poissons de récif. Leurs plages sableuses constituent des lieux de ponte pour les tortues marines. Les deux îlets abritent également une population importante d’Iguane des Petites Antilles, une espèce endémique protégée, et de nombreuses espèces d’oiseaux rares, dont l’Huîtrier d’Amérique et la Petite sterne.
Ce patrimoine naturel exceptionnel et l’absence d’installation humaine permanente font de Petite Terre un site très apprécié des visiteurs, et une manne touristique alléchante pour les professionnels des environs. Il suffit de faire un tour à la marina de Saint-François pour s’en convaincre: tous proposent des excursions à Petite Terre à la journée, et il y en a pour tous les goûts : de la simple location à la version all inclusive avec apéro et barbecue sur la plage.
Une journée à Petite Terre
Il est à peine 8h à Petite Terre et déjà les premiers bateaux apparaissent à l’horizon : navires de passagers (les plus imposants pouvant transporter jusqu’à 45 personnes), navires de plaisance ou de location.
C’est un balai minutieusement réglé qui se répète chaque jour : les bateaux s’alignent à leurs points de mouillage en bord de plage avant de débarquer leurs passagers ; ceux-ci sont brièvement briefés sur les caractéristiques du site et les principales consignes de préservation, parcourent le sentier de découverte aménagé par l’association Ti-Té, gestionnaire de la réserve, puis enfilent palmes, masque et tuba et partent à l’assaut du lagon ; pendant ce temps, les croisiéristes dressent les tables et préparent les braises pour le barbecue de midi, et le garde de la réserve patrouille et surveille le site.
A midi, le soleil est haut, tous déjeunent à l’ombre de la palmeraie. L’après-midi se prolonge entre promenade et baignade jusqu’aux alentours de 16h. Bientôt, c’est l’heure du départ et on assiste alors à l’étrange spectacle de touristes fendant l’eau en file indienne, sacs et effets posés sur la tête ou tenus à bout de bras, pour rejoindre leurs embarcations. Les bateaux un à un quittent la passe pour rentrer à Saint-François, à l’exception des quelques heureux plaisanciers autorisés à passer la nuit au mouillage.
Le calme revient sur Petite Terre. Les tortues viennent à nouveau paître sur les herbiers en bord de plage, les iguanes se hissent vers les derniers rayons du soleil le long des agaves en fleur et le garde consigne dans son carnet ses observations de la journée.
Demain tout sera à refaire : informer, surveiller, mettre en garde, nettoyer. Car préserver l’environnement, c’est un travail répétitif, du quotidien. Il faut chaque jour réexpliquer les mêmes choses à des visiteurs en vacances, plus ou moins sensibles aux enjeux environnementaux. Un travail de pédagogue patient, qui consiste ici beaucoup à éduquer les hommes.
La gestion pragmatique d’un patrimoine naturel d’exception
Dans les faits, les activités liées au tourisme dans la réserve sont encadrées par un système d’autorisations : les navires professionnels doivent obtenir une autorisation de la préfecture pour pouvoir y exercer une activité commerciale. Une trentaine de navires sont actuellement autorisés à fréquenter Petite Terre (navires de passagers, de plaisance ou de loueurs). Cela semble déjà beaucoup au vu des capacités d’accueil naturelles du site. Et c’est sans compter ceux qui se rendent à Petite Terre sans autorisation, au mépris de la réglementation.
Car la réserve naturelle de Petite Terre est avant tout considérée par nombre de professionnels et d’élus locaux comme une source potentielle importante de développement économique. Déjà , la mise en réserve du site en 1998 avait soulevé l’opposition des pêcheurs et agacé les habitants des environs qui avaient pour habitude d’y venir pique-niquer ou passer des week-ends en famille.
Préserver sans trop nuire aux activités humaines, tel semble donc être le grand écart difficile auquel s’essaient les autorités, en privilégiant une démarche partenariale avec les acteurs économiques locaux et une gestion pragmatique de la réserve.
Des horizons temporels incompatibles ?
Mais cet essor touristique n’est évidemment pas sans conséquences sur les habitats naturels fragiles de la réserve. Déjà l’association Ti-Té constate les dommages subis par les coraux et les herbiers, les inscriptions faites à terre sur les feuilles d’agave, les dégradations liées au mouillage des navires, etc.
L’horizon temporel des hommes, qui cherchent à maximiser à court terme plaisir ou profit, et celui des habitats naturels, dont la régénération s’inscrit dans des cycles beaucoup plus longs, semblent de fait incompatibles. Les ressources naturelles ne sont encore perçues par beaucoup que pour leur valeur d’usage directe (le plaisir qu’on en retire), et non comme un bien public collectif sous tension, qu’il nous faut partager – quitte à nous contraindre – préserver et transmettre.
Comme toutes les évolutions, une telle prise de conscience collective et la mise en place des moyens d’action pertinents prendront du temps. Rendre chacun responsable et exemplaire, y compris pendant ses congés, demeure un véritable défi, qui doit être relevé si l’on entend préserver les espaces naturels de l’extension incessante du domaine des activités humaines.