De D.W Griffith à Nate Parker, la question raciale hante la société et le cinéma américains

Après « Django » de Quentin Tarantino et  » Twelves years a slave » de Steve MacQueen, un cinéaste américain – Nate Parker – traite à nouveau la part sombre de l’histoire américaine, celle de l’esclavage, fondatrice du pays. Son film – « Birth of a nation  » – est sorti en 2016 aux USA, en janvier 2017 en Europe et en Guadeloupe. A partir de l’histoire vraie de Nat Turner un esclave qui s’est révolté contre les blancs du sud des Etats-Unis en 1831, il réécrit une histoire de son pays et la subvertit en reprenant le titre d’un film raciste de D.W Griffith, sorti en 1915, qui glorifiait la suprématie blanche.

D.W Griffith a tourné le premier  » Birth of a nation » en 1915. Ce film raciste, premier très long métrage tourné aux USA , invente la narration cinématographique moderne. Il est considéré comme un élément fondateur du cinéma américain et figure parmi les premiers à avoir été tourné dans ce qui était alors le village d’Hollywood.
C’était il y a un siècle, le film, muet et en noir et blanc, glorifie la suprématie blanche et le Klu klux klan. Griffith s’est inspiré pour son film d’un ouvrage écrit par un pasteur baptiste Thomas Dixon, The Clansman ( L’homme du Klan) qui développe l’idée que l’abolition de l’esclavage a fait naître un violent désir de revanche chez les anciens esclaves se traduisant par le viol, le meurtre, la dépravation systématique de la société. Si la société américaine et ses valeurs veulent survivre, elle doit se dresser contre et Dixon décrit le Klan comme l’armée des américains honnêtes en lutte contre la dégénérescence du pays, conséquence de la libération des noirs.
Le film de Griffith pose « la naissance de la nation » au moment où les blancs du sud quelques années après l’abolition se dressent pour  » sauver l’amérique ». Les noirs sont violents, obsédés par le viol et le meurtre et le Klan une armée de « braves gens » qui défend les valeurs de l’Amérique éternelle. Ce schéma binaire oppose noirs et blancs, gentils et méchants, meurtriers et honnêtes gens, tout à la gloire de la suprématie blanche. Les seuls  » bons noirs » dans le film sont ceux qui servent leurs maîtres en silence . Griffith justifie la  » résistance » du sud aux idées du nord, en manipulant l’histoire, les émotions et la peur de l’autre. Il redore l’image du sud et légitime la domination des planteurs blancs garants de l’ordre américain.
Lors de sa sortie en 1915, le film a rencontré un grand succès. Son contenu n’a pas été sans effet sur l’inconscient américain tout au long du XXem siècle. Le Ku Klux Klan peu visible jusqu’alors a vu sa notoriété grandir et l’idéologie raciste véhiculée par le film a alimenté – dans le pire des sens – la politique de ségrégation raciale en vigueur jusqu’aux années 1960.

Une autre vision de la naissance de la nation

En reprenant ce titre  » Birth of a nation  » un siècle plus tard et en l’associant à la révolte de Nat Turner contre le régime esclavagiste du sud, Nate Parker s’inscrit de manière iconoclaste dans l’histoire du cinéma américain et lui donne un autre sens.
La naissance de la nation n’est pas le moment qu’a décrit Griffith, quand les blancs du sud veulent justifier l’injustifiable; il est à l’opposé, contenu dans ce moment bref, violent, sans appel lorsqu’un esclave, Nat Turner, se dresse contre l’injustice et l’inhumanité de la société esclavagiste.
Dans son film Nate Parker montrent des noirs à la fois martyrisés et profondément humains, soumis à la violence de blancs immoraux, incultes et cruels qui règnent par la terreur et poussent par leur ignominie à la révolte, Nat Turner, un noir lettré. De quel côté sont les valeurs, de quel côté sont l’humanité et l’inhumanité ? Parker pose ces questions et les images répondent. Il pose aussi la question de la violence et de sa légitimité. C’est dans un bain de sang que Nat Turner, inspiré par Dieu et la bible, se révolte contre la société esclavagiste, alors qu’il est dans la première partie du film présenté comme un homme plutôt doux et attentionné. La violence appelle la violence, mais est-ce pour autant légitime ?

La morale se retourne contre le réalisateur moralisant

Le film devait être un événement hollywoodien, un objet de marketing de la grande usine à images et émotions américaine abordant la question raciale avec peut-être un Oscar à la clé et un terme à la campagne lancée en 2016  » OscarSO White ». Mais le lancement du film a été déstabilisé lorsqu’a surgit une vieille affaire de viol dans laquelle a été impliqué Nate Parker en 1999, lorsqu’il était étudiant. Il a été accusé d’avoir avec son colocataire – Jean Celestin qui est aussi son partenaire dans la réalisation du film – d’avoir violé une jeune femme après une soirée de beuverie. Parker a été acquitté en 2001 et son colocataire condamné à 6 mois de prison. Condamnation annulée en appel car la victime n’a pas témoigné à nouveau. Le viol, la soumission forcée des femmes noires aux désirs et à la violence des hommes blancs, est montré dans son film comme un élément déclencheur de la révolte. Et voilà que lui et un de ses proches, tout deux Afro-américains – sont impliqués à leur tour dans une affaire de violence faite aux femmes, une jeune femme blanche en l’occurrence qui s’est plus tard suicidée – en 2012 – lors d’une cure en centre de désintoxication. Sombre affaire et sombre conclusion.
Aux USA, l’affaire a retourné la situation , a plombé le film et son réalisateur, les distributeurs se sont détournés et la promotion a tourné court. Nate Parker qui voulait mettre l’Amérique blanche face à ses crimes a été piégé par son passé. Est-ce juste ou bien l’occasion a-t-elle été saisi d’enlever sa crédibilité à un cinéaste venu faire la morale à l’Amérique blanche ? La controverse reste entière.

Nate Parker a déclaré, lors de la sortie américaine, qu’il espérait que le public saurait dissocier le film et l’histoire de Nat Turner de la polémique autour du réalisateur.  » Ce film est plus grand que moi » a-t-il déclaré avec une certaine maladresse . Malgré un prix du Grand Jury au festival du film indépendant de Sundance, la terne performance de  » Birth » au boxoffice américain montre que les spectateurs n’ont pas fait la part des choses de même en France où seulement 59 000 tickets ont été vendus la première semaine, plaçant le film très loin derrière les sorties du mois de janvier. Producteurs et distributeurs auront du mal à récupérer les millions de dollars investis. Objectivement le  » Birth of a nation  » de Nate Parker ne mérite pas autant d’ostracisme, au-delà du contexte et des approximations il aborde pour le grand public un pan de l’histoire des USA qui mérite d’être revisité et revisité encore tant le sujet n’est pas épuisé.
L’actualité le répète quand à l’investiture du, si clivant, 45em président des USA une foule quasi exclusivement blanche se presse à Washington.

Spectateurs, allez voir le film, le passé de Parker relève d’un autre débat

Pour qui veut en savoir plus, les confessions de Nat Turner ont été traduite en français (1). Elles ont été écrites à partir de notes prises par son avocat -blanc- qui l’a défendu dans les jours qui ont précédé son procés et sa condamnation à mort. Dans un entretien à l’hebdomadaire le Point, le traducteur Michael Roy exprime quelques réserves, après avoir vu le film, par rapport à la réalité historique:  » Dans la réalité la révolte est à la fois plus collective et plus structurelle contre la société esclavagiste dans son ensemble et ne provient pas d’une réaction impulsive aux viols de deux femmes comme s’est montré dans le film; les femmes noires ont joué un rôle plus important qu’il ne l’est dit, le film est trop centré sur Nat Turner et sur la masculinitè et enfin le personnage de Nat Turner est plus complexe et trouble que le montre  » Birth of a nation » ».
Nat Turner a-t-il été un Spartacus noir ou bien un révolté illuminé poussé à prendre une revanche dans le sang ? Il faut lire l’histoire et voir le film pour faire sa propre idée. On peut voir le film on peut même le conseiller en considérant que le passé de Nate Parker relève d’un autre débat.
Le  » Women ‘s law project » organisme qui a défendu la jeune femme violée ou supposée violée en 1999, a fait ce choix. Sa directrice Carol Tracy n’a pas appelé au boycott elle a déclaré  » qu’il était important que Parker présente son film au public et sur les campus, mais qu’il se prépare aussi à répondre aux questions sur les accusations portées contre lui. » Les relations sexuelles entre noirs et blancs ont été longtemps un tabou et une obsession de la société américaine, un président, Obama, semblait avoir levé ce tabou, mais il en reste de lourdes traces.

 

NDLR
« Confession de Nat Turner » – traduit par Michaël Roy, edition Allia, 80 pages, 6,5 euros