Nathalie Minatchy est présidente d’honneur de la 14em édition du Terra Festival (1) qui a lieu du 17 au 25 avril dans 17 communes de la Guadeloupe. Au travers de films, de conférences et de débats, l’objectif de ce festival est de sensibiliser le grand public aux enjeux liés à la protection de l’environnement et à une » éthique » du développement.
En Guadeloupe, petit pays à la fois riche de sa diversité et fragile dans son espace la « maximisation des profits » ne peut pas, sans risque pour l’avenir, être la seule règle. C’est l’idée que défend Nathalie Minatchy dans l’entretien que nous publions sur Perspektives. Ingénieur Agro-alimentaire, présidente de l’association « Kap Gwadloup, Koudmen pour une agriculture paysanne en Guadeloupe », elle défend les principes de relocalisation de notre alimentation et d’autonomie de l’exploitation agricole au travers de la mise en pratique d’une agriculture paysanne moins consommatrice d’intrants et protectrice des écosystèmes.
– Perspektives: Vous êtes cette année présidente d’honneur de Terra Festival dont le concept est de sensibiliser le plus grand nombre, aux risques qui pèsent sur notre environnement. Au-delà de la sensibilisation du grand public qui fait peu à peu son chemin, pensez-vous que celle des décideurs – économiques, politiques, sociaux … – est en marche. Bref n’est-ce pas à eux aussi qu’est destiné Terra Festival ?
– Nathalie Minatchy : « Le Terra Festival est une opération grand public bien sûr, mais il faut espérer que les décideurs ne soient pas coupés du grand public. Généralement les décideurs agissent mieux sous la pression du peuple qui se responsabilise et exige des réponses pertinentes.
Ainsi, la mobilisation populaire a conduit les producteurs de bananes à changer de stratégie concernant l’épandage aérien. Ils ont compris que leur stratégie de judiciarisation du conflit n’était pas porteuse vis-à-vis de l’image de la profession dans la population. Ils ont donc fait le choix d’autres méthodes de lutte contre la cercosporiose sous la contrainte. J’espère que depuis, certains sont réellement convaincus qu’ils ont fait leur devoir pour ce qui est de la santé de la population et de la protection de l’environnement de leur propre pays.
Au-delà de tout cela, le Terra en appelle aussi à notre responsabilité individuelle qui doit nous amener à changer de comportement quelque soient les fonctions que nous occupons et notre statut, que l’on soit décideur politique ou simple citoyen. »
– P : Comment analysez-vous cette contradiction souvent posée entre protection de l’environnement et développement économique ?
– N.M : « Puisque nous parlions des décideurs, pendant longtemps, les discours des instances en charge du développement économique ont été : apportez-nous des projets suffisamment importants pour consommer les fonds européens afin que ceux-ci ne repartent pas ;
Pour répondre à la problématique du chômage de masse et du chômage des jeunes, les élus prêtent une oreille trop complaisante aux grands projets et à leur effet d’annonce en nombre d’emplois créés. Il s’agit aussi de montrer qu’on a fait, pour marquer les esprits, avec toujours quelques arrière-pensées électorales.
Or, ce sont des projets souvent conçus pour de grands ensembles, avec des montages financiers qui allient défiscalisation et subventions, et qui font donc fonctionner un système de cabinets conseils, consultants financiers et surtout qui permettent d’acheter de l’équipement industriel neuf aux sociétés européennes ; ces équipements finissant souvent à court ou moyen terme sous forme de friche industrielle.
Ces projets ne sont pas suffisamment évalués à l’aune des besoins du territoire, et du nécessaire respect de l’environnement.
Or nous sommes un petit pays. Nous devons donc envisager un développement avec des projets adaptés à notre taille, en fonction de nos propres réflexions et des aspirations légitimes de la population. L’objectif de cette démarche cohérente étant de lutter contre le chômage en redonnant activité et dignité au plus grand nombre.
De nombreuses activités s’appuyant sur notre cadre de vie, notre culture, notre biodiversité, et donc par essence, protectrices de notre environnement, impliquant des réflexions diverses peuvent être entreprises pour plus de créativité collective.
Nos décideurs doivent donc comprendre que la concentration des activités en un seul lieu, en une seule entité est dépassée. L’heure est à la diversité, aux activités, qui irriguent et dynamisent le tissu social plutôt qu’une seule importante qui étouffe sous la pression anthropique et qui a pour but de maximiser les profits. »
– P: Vous défendez l’agriculture paysanne, dont le rôle est important pour qui souhaite un « développement durable et équitable ». Ces dernières décennies la Guadeloupe perdait 1000 hectares de terres agricoles par an. Où en est-on aujourd’hui dans le rapport entre grandes mono cultures (canne, banane) urbanisation galopante et besoin de terre pour l’agriculture paysanne que vous souhaitez ?
– N.M : « En 2015, la canne en Guadeloupe représentait 13 137 ha et la banane 2 055 ha soit respectivement 52 % et 8 % des surfaces agricoles déclarées (source Agrigua)
On voit donc l’importance de la filière canne pour la structuration du paysage agricole. La filière banane, elle, s’est fortement organisée, et il y a une volonté d’améliorer la qualité et la durabilité de cette filière, même si cela s’est fait et se fait toujours sous la contrainte.
La responsabilisation sociale et environnementale des acteurs doit se poursuivre. Il est toujours extrêmement gênant que des producteurs qui émargent à des dispositifs d’aides publiques pour leur production en Guadeloupe aient les reins suffisamment solides pour se permettre d’investir dans d’autres pays à niveau de vie plus faibles pour le même type de production.
Aussi, notre but n’est pas d’opposer frontalement les filières en mono culture et l’agriculture paysanne. Notre but est d’œuvrer pour une meilleure autonomie de l’exploitation agricole, autonomie qui nécessite la mise en pratique de concepts agro-écologiques, d’inciter à la relocalisation de la consommation afin que la population puisse profiter des bienfaits des produits locaux frais.
Concernant le foncier agricole, je pense que le problème est maintenant mieux cerné même s’il faut rester vigilant. Des instances ont été créées pour avoir une vision globale de la situation et non des déclassements au cas par cas comme cela se faisait avant.
Mais l’agriculture paysanne se développera surtout quand des conditions favorables au développement du métier d’agriculteur seront mises en place : la création et la sécurisation des débouchés afin d’attirer des jeunes (70 % des chefs d’exploitation ont plus de 52 ans) et leur permettre de vivre décemment, la formation aux pratiques agro-écologiques, la prise en compte du rôle des agriculteurs pour des activités non directement liées à la production agricole (entretien des surfaces, aménagement des paysages, protection des éco-systèmes etc..). »
– P : Depuis la création de votre association « Kap Gwadloup : pour une agriculture paysanne » en 2008, quels quels sujets de satisfaction et quelles inquiétudes peut-on avoir aujourd’hui ?
N.M : « Notre plus grand motif de satisfaction est de constater le retour de la population vers les marchés, notamment depuis le mouvement du LKP, son engouement pour les produits locaux et surtout la mise en lumière de questions relatives à la bonne alimentation.
Au niveau des décideurs, on peut citer des projets type « LizinSantral » porté par la communauté d’agglomération du Nord Grande Terre, qui vont dans le bon sens pour la création de débouchés pérennes pour les agriculteurs et l’amélioration des qualités nutritives des aliments servis dans les restaurants scolaires.
De même, le mouvement LKP auquel a participé Kap Gwadloup a permis une mise en relation rapide de nombreux acteurs qui ont continué à travailler ensemble et à se coordonner sur des projets communs.
On peut citer le groupe de réflexion autour de la protection de la biodiversité, qui a fait des propositions lors de l’élaboration de la loi cadre Biodiversité. Ce groupe réunissait des associations, des producteurs agricoles, des chercheurs en sciences économiques, sociales et politiques et des assistants parlementaires.
Au niveau de la formation, j’ai travaillé avec l’INRA et le Lycée agricole pour la mise en place d’une Licence d’agronomie tropicale et de développement rural au sein de l’Université dont l’objectif est de mieux accompagner les mutations du secteur agricole.
Globalement, la sensibilisation du grand public avance et la mobilisation également. On l’a vu avec les pétitions sur l’épandage aérien, la protection des espèces endémiques et maintenant avec la pétition contre le projet Albioma à Marie-Galante.
Cependant, le combat est rude, face aux puissances capitalistes et financières qui veulent faire de nous un territoire de consommation de produits venus d’ailleurs, ce type de consommation étant soutenu en grande partie par les transferts sociaux.
Il ne faudrait pas que la désespérance sociale et le manque de confiance dans l’avenir nous entrainent vers des solutions négatives de rejet, de violence, d’individualisme ou encore des solutions économiquement trop simplistes. »
– P : « Comment imaginez-vous la Guadeloupe à l’horizon 2030/2040 en matière de développement, de production agricole, de production et de consommation d’énergie ?
– N.M : « Sur tous ces aspects, je souhaite que nous nous comportions enfin, collectivement en vrais guadeloupéens, aptes à faire eux-mêmes leurs choix et que ces choix soient éclairés par notre identité, notre environnement physique, notre culture et notre relation au monde.
Il est important que nous soyons convaincus qu’un changement de paradigme s’impose et qu’un modèle économique, social et sociétal, basé sur les ressources de notre pays et faisant la part belle au développement de nos capacités propres, est indispensable pour une vie plus épanouie. »
– (1) Le programme complet du Terra Festival est accessible via le lien :
J’aime bien dans cet entretien l’allusion aux planteurs de banane qui enrichis et soutenus par les subventions de la France et de l’Europe vont investir en Afrique ou la main d’œuvre est moins chère. Est-ce du cynisme ou simplement du » business » ? Ou bien les deux, l’un n’allant pas sans l’autre ?