» C’est un peu tard, mais les fleurs de la vie finissent toujours par s’épanouir … » cette phrase prononcée par Compay Segundo, dans le documentaire de Lucy Walker
« Buena Vista Social Club: Adios » contient toute la nostalgie, les occasions manquées et les espoirs aussi d’un siècle d’histoire cubaine.
C’est par une sorte de miracle que ces musiciens, septuagénaires pour certains, si talentueux et si oubliés ont enregistré à la fin des années 1990 en six jours seulement, un disque vendu dans le monde à plus de six millions d’exemplaires. Cuba, la grande île de la Caraïbe, possédait un trésor, des êtres humains exceptionnels sur ses terres et les avait laissés sur le bord du chemin. Ibrahim Ferrer cirait des chaussures quand Ry Cooder, Nick Gold et Juan de Marcos Gonzalez sont allés le chercher pour enregistrer car on leur avait dit que cet homme avait la voix douce et suave qui manquait à la formation. Il avait 70 ans.
Lucy Walker a soigneusement évité d’aborder de front la question des relations entre le castrisme et le fameux « son » cubain. La question est là, sous-jascente; effleurée mais jamais vraiment mise en lumière. Le film est moins festif, moins enjoué que celui de Wim Wenders en 99, parce qu’il nous parle de la mort de trois des protagonistes de l’histoire – Ibrahim Ferrer, Compay Segundo et Ruben Gonzales – après nous les avoir montré, jeunes lorsqu’ils chantaient et jouaient déjà dans le Cuba précastriste, terrain de jeu de la mafia américaine. Des documents d’époque où l’on voit Ibrahim Ferrer, jeune, en costume et noeud papillon se produire, en second rôle, sur la scène des boîtes cubaines dans lesquelles les américains riches venaient se défouler.
L’art ou la révolution
Le documentaire de Lucy Walker tend un pont entre les années 50 quand la musique cubaine sous Battista était à son apogée et la renaissance de ces musiciens oubliés , patinés par les années et la révolution, quarante ans plus tard.
Plus que Wender, Lucy Walker tente de resituer cette musique dans son contexte social et historique. Et, malgré quelques longueurs, c’est réussi. Reste que les quarante années pendant lesquelles cette musique et ces musiciens ont été tenus à distance par l’Etat castriste apparaissent peu .
Le fameux » Buena Vista Social Club », salle réputée à La Havane où, dans les années 1950, sous la dictature Battista jouaient les musiciens noirs a fermé après la révolution. Comme dans l’Amérique ségrégationniste dans le Cuba de Battista il existait des clubs pour les Blancs et des clubs pour les Noirs.
Après la révolution, Castro a fermé tous les clubs. » Il a pensé régler la question raciale à Cuba de cette manière, mais il n’a fait qu’essayer » dit l’un des musiciens dans le film.
Castro comme la plupart des révolutionnaires d’inspiration marxiste a eu avec les arts et les artistes, les créateurs en général, une relation sans ambiguïté : n’est bon que ce qui peut servir la révolution. » L’art est une arme de la révolution … » déclarait Castro en avril 1971 lors de la clôture du congrès de l’éducation et de la culture à La Havane. Il oubliait que l’art n’est vraiment révolutionnaire que s’il s’exprime sans contrainte, avec talent; s’il est encadré par une idéologie et des normes étatiques il perd sa créativité et se vide de sens.
Buena Vista soutient involontaire du Cuba du XXIem siècle
La relation à l’art et aux artistes est l’une des occasions manquées de la révolution cubaine. Durant les premières années de la révolution, jusqu’au début des années 60 un état de grâce a régné. Cuba a vécu dans un bouillonnement d’idées et de projets. C’est dans ces années que le projet architectural de trois grandes écoles d’art à La Havane ( musique, danse, art dramatique) a vu le jour, projet avorté quelques temps plus tard et jamais achevé.
La création en 1961 de l’Union des écrivains et artistes cubains sur un modèle inspiré de l’union soviétique donne un coup de frein à l’effervescence artistique et culturelle cubaine en fixant pour objectif aux artistes » l’éducation politique et idéologique du peuple. » Dès lors, le pays est mis sous contrôle et les artistes soumis à la bureaucratie.
Vingt ans plus tard, dans les années 1980, le déclin de l’Union soviétique s’annonce et un début d’assouplissement se dessine, les Beatles ne sont plus considérés comme » dégénérés » et un square John Lennon est inauguré à La Havane.
Quand arrive le succès du Buena Vista Social Club, à la fin des années 1990, l’URSS n’existe plus et Cuba qui vient de vivre la » période spéciale » est isolé. Ibrahim Ferrer et ses amis arrivent au bon moment pour participer sans le vouloir au second souffle dont a besoin le pays pour préparer l’après Castro. Et cela marche, la popularité des musiciens dans le monde rejaillit sur Cuba et attire les touristes. Bref le Buena Vista participe à sa manière à cette autre révolution cubaine nécessaire pour construite le pays du XXI siècle.
Leur message est fait d’humour, d’amour, de tendresse et de paix, de mélancolie aussi et de souffrance : « On brille de l’intérieur, on chante en espagnol, » dit Omara Portuondo, » mais notre son est Afro, se sont les espagnols qui nous ont amené ici … On peut enlever beaucoup de choses à un peuple, mais on ne peut pas l’empêcher de chanter. » Surtout à Cuba.
J’ai vu le premier film, je les ai vu en concert ces musiciens sont un vrai bonheur, la vie est en eux, bouillonnante, indestructible et les idéologie n’y peuvent rien.