Un jour de 1892 l’armée coloniale française commandée par le colonel Dodds, promu général peu après, métis né à Saint-Louis du Sénégal, est entrée dans Abomey, la capitale de ce qui était alors le royaume du Dahomey. Cette monarchie africaine fondée au XVIIem siècle occupait un territoire architecturellement, militairement, socialement et culturellement très organisé, sur lequel se développait une société très hiérarchisée, avec un roi tout puissant,des princes, un peuple et des esclaves. Le royaume s’étendait jusqu’à la côte Atlantique d’où il pratiquait un commerce très actif celui des armes et des esclaves notamment.
Les rois du Dahomey étaient hostiles à la pénétration européenne à l’intérieur des terres et menaient une résistance qui s’est achevée cette année là par une dernière bataille opposant les Béninois et les troupes coloniales, les fusils à silex, les couteaux et les lances des Béninois, l’artillerie et les fusil Lebel de l’armée coloniale. Le roi Behanzin avait réuni une armée de 15 000 hommes et de 4000 amazones pour stopper la pénétration française, mais cela n’a pas suffit. Ni ses soldats, ni ses dieux n’évitèrent la défaite, Il perdit la bataille plusieurs milliers d’hommes et sa capitale Abomey.
La vingtaine de statues que la France a restituée au Bénin, fin 2018, provient de cette défaite et de ce que l’histoire coloniale française a retenu sous le nom de » mise à sac d’Abomey ».
Butin de guerre puis oeuvres d’art
Les statues Bocio ont été saisies dans les ruines de la ville par le colonel Dodds qui en fit don en 1893 et 1895 au musée du Trocadéro à Paris. Cette collection de 26 statues est longtemps restée connue sous les nom de collection Dodds. Les statues Bocio sensées détenir des pouvoirs surnaturels associés au pouvoir des rois du Dahomey furent réduites d’abord à l’état de butin de guerre puis au fil du temps et de l’effacement colonial, elles devinrent » oeuvres d’art » montrées dans les musées en France et dans le monde.
Mais la mémoire demeurant, dans l’ancien Dahomey, aujourd’hui Benin, l’idée que ces statues retournent un jour dans leur pays d’origine a toujours persisté. En 2016, sous la présidence Hollande une demande de restitution a été refusée au motif de » l’inaliénabilité et l’insaisissabilité des collections nationales ». Où va donc se cacher ce qui est inaliénable et ce qui ne l’est pas ? Deux ans plus tard, ce qui n’était pas possible l’est devenu et 26 statues sont retournées au Bénin.
Cette restitution est symbolique. 26 statues sur près de 90 000 objets spoliés ou achetés à bas prix durant la période coloniale uniquement en Afrique subsaharienne, c’est peu.
La restitution a eu lieu à la suite du rapport demandé sur ce sujet sensible, par le président de la République, Emmanuel Macron. Le rapport rendu en 2018 a suscité un débat, voire une polémique, symboliques – comme les statues – des relations qu’entretiennent les pays colonisés et leurs anciennes métropole. « Pourquoi rendre ces objets, ils appartiennent désormais au patrimoine universel et sont bien conservés dans les musées français » se sont exclamés les gardiens de la » bonne conscience » ou de la « bonne inconscience » universaliste. De fait une grande majorité du patrimoine et de ce qu’on peut appeler l’héritage culturel africain antérieur aux conquêtes coloniales se trouvent dans les musées européens et américains. Allez savoir pourquoi !
Le directeur du musée du Quai Branly, Stephane Martin a publiquement critiqué ce rapport en lui reprochant de ne pas être le résultat d’un travail collectif mais être l’oeuvre de personnes engagées. Engagées c’est à dire ayant une opinion, un avis sur le sujet, ne pas être neutre en somme. Tandis que le directeur du musée des Arts Premiers – voulu par Jacques Chirac – craignait sans doute voir son musée vidé de sa substance, les auteurs du rapport en effet avaient un certain parti pris. Mais peut-on le leur reprocher ?
L’Afrique porteuse d’un futur possible
Felwine Sarr et Benedicte Savoy sont les auteurs de ce rapport. L’un est écrivain et universitaire sénégalais, auteur notamment de Afrotopie ; l’autre est également universitaire, historienne, spécialiste des patrimoines artistiques en Europe. Les deux s’interrogent et nous interrogent : « et si l’avenir de l’humanité comme sa naissance était en Afrique … » Le dire ainsi est en effet un parti pris.
» L’Afrique est porteuse d’un autre futur possible pour l’ensemble de la planète » écrit Sarr, » le continent africain a adopté un prêt à porter social qui ne vient pas d’elle. Les Africains ne doivent plus répondre aux injonctions mais développer leur propres modèles, dans un espace autre que l’Asie, l’Amérique, l’Inde qui ont reproduit le modèle capitaliste (…)
Sarr cite Frantz Fanon : » Nous ne devons pas copier l’Europe ou alors autant laisser les Européens gérer nos affaires, ils le feront mieux que nous. Si nous voulons que l’Humanité avance d’un cran, qu’elle se porte à un niveau différent de celui où l’Europe l’a menée, alors il faut inventer, il faut découvrir… »
Inventer et reprendre le fil d’une histoire brisée. Le modèle occidental qui s’ impose à la planète avec les dégâts que nous connaissons, dans lequel la logique économie et financière déborde toutes les autres a fait la preuve de sa puissance; mais n’a-t-il pas aujourd’hui à apprendre des sociétés africaines qui incluent l’économique dans un système social plus vaste. Tout resterait à inventer dans une réelle Afrotopie/utopie qui serait ni imitation de l’occident, ni réactivation nostalgique de « traditions », telle que Sarr l’appelle de ses voeux.
Quelle place alors revient aux statues Bocio, symboles de la puissance de rois africains déchus ? » Si on refonde la relation dans ce domaine, répond avec beaucoup d’optimisme Felwine Sarr, « le politique et l’économique suivront, l’art est un levier ».
Une question de dignité et d’identité donc : en renouant les liens de l’histoire de l’Afrique précoloniale en ne la niant plus comme l’a fait un ancien président français à Dakar, un avenir devient possible.
Possible mais pas acquis, tant la restitutions des 26 statues a provoqué de réactions mitigées dans les médias entre le » nécessaire retour » pour les uns – dont nous sommes – mais aussi la crainte de voir les collections nationales démantelées, ou pire, pour d’autres, les doutes sur la capacité des Africains à conserver et gérer ces collections dans leurs pays. Les traces n’ont pas disparu de l’infantilisation du sud dans le dialogue nord/sud. Mais on peut espérer.
Lire dans l’article qui suit sur la page d’accueil du site, la tribune d’Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture et du tourisme du Mali, parue en 2006, il y a donc 12 ans mais qui a conservé l’essentiel de son actualité. C’était à propos du musée du Quai Branly.
Elle pointait ce paradoxe: le musée du quai Branly musée des Arts premiers, donc des arts africains célèbre et en met en valeur les objets de cultes et les œuvres de l’Afrique précoloniale, dont les terres n’ont cessé d’être pillées et dont les ressortissants auxquels étaient destinées ces œuvres n’ont d’une manière générale pas accès à ce musée, plutôt accessible à des visiteurs européens ou des touristes du monde entier qui viennent admirer la beauté voire « l’exotisme » de cet art africain. A lire.