Le Black History Month s’est achevé cette année le jeudi 28 février. Cet hommage aux diaspora d’origine africaine de par le monde, a été initié dans les années 1920 par Carter Godwin Woodson, historien nord-américain mais ce n’est qu’en 1976 que le premier Black History a existé officiellement aux Etats-Unis. L’idée de cet hommage est de rappeler les contributions apportées par les hommes et les femmes aux origines africaines, aux sociétés occidentales. Le Royaume-Uni a lancé son Black History Month en 1987 et en France, à Bordeaux l’association Mémoire et Partages l’a initié pour la première fois en 2018.
Cette manifestation a parfois suscité des polémiques autant chez les Noirs que chez les Blancs. Mettre en valeur l’histoire noire pendant un mois spécifique ne renforcerait-il pas les préjugés des blancs sur son caractère spécifique voire anecdotique ? D’ailleurs, existe-t-il un mois de l’histoire blanche s’est interrogé en 1986 l’écrivain James Baldwin tandis qu’en 2005, l’acteur afro-américain Morgan Freeman avait fait polémique en déclarant que « son histoire n’avait pas à être « reléguée » à un seul mois dans la mesure où « l’histoire noire est l’histoire américaine ». » Pour se débarrasser du racisme », affirmait Freeman, il faudrait « arrêter d’en parler ». Ce serait sans doute merveilleux si cela devait fonctionner, mais hélas l’histoire lointaine et récente tend à prouver le contraire.
Nous publions donc un article non pas sur le Black History Month mais dans son sillage puisqu’il s’agit d’évoquer le mouvement peu connu de l’Afro futurisme.
Cette année, la célébration du Black History Month a été relayée en Guadeloupe par plusieurs manifestations artistiques. Ainsi, le complexe Cinestar aux Abymes a proposé une programmation appropriée à ce thème avec notamment la création de la pièce « l’Impossible Procès » de Guy Lafages sur une mise en scène de Luc Saint Eloi, et la projection du film « Héritage perdu » de Christian Lara.
La célébration du Black History Month en Guadeloupe intervient après le succès d’audience du film Black Panther qui a confirmé ici son énorme retentissement international .
Toutes ces manifestations ont une filiation avec l’Afro futurisme, un mouvement artistique et culturel informel impulsé dans les années 60 et qui a regroupé des écrivains, musiciens ou plasticiens pour la plupart afro-américains. Cette mouvance a été influencée à la fois par les écrits de Cheikh Anta Diop et par certaines interprétations de la légende dite des « des Anciens Astronautes » qui attribue aux anciennes civilisations la faculté de disposer de savoirs extraordinaires grâce à des «contacts » avec des « visiteurs » extraterrestres devenus ces êtres supranaturels dont parlent les anciennes mythologies
De nombreux artistes et intellectuels Noirs creuseront ce sillon , des romanciers comme Samuel R. Delany, Nora K. Jemisin ou la chanteuse et musicienne Janelle Monae.
Le mouvement est porté au cours des années 70 par le jazz – principalement le style psychédélique du pianiste et compositeur Sun Ra – et la littérature avec certaines œuvres de Chester Himes ou de James Baldwin notamment.
Le mouvement connait un déclin à la fin des années 70 avant d’être à nouveau relancé à la fin des années 80. Il est essentiellement porté par le rayonnement de l’œuvre du plasticien Jean-Michel Basquiat.
L’Afro futurisme connait actuellement un regain de faveur grâce au succès planétaire de l’adaptation au cinéma de la bande dessinée Black Panther.
Black Panther et Afro futurisme
Crée en 1966 par Stan Lee et Jack Kirby, le personnage de Black Panther apparaît pour la première fois dans le numéro 52 de la série Fantastic Four.
Dans cet épisode, des super héros, les « Quatre Fantastiques » découvrent l’existence d’un royaume secret au cœur de l’Afrique, le Wakanda, qui possède une technologie très en avance sur le reste du monde, et bien supérieure à celle de l’Occident.
Ce royaume hors du commun doit cette avance au vi-branium, sorte de métal miraculeux qui n’existe nulle part ailleurs sur Terre et que les Wakandais ont appris à maîtriser dès l’Antiquité.
Ce royaume a son protecteur , figure tutélaire que l’on retrouve de génération en génération, un guerrier qui doit ses pouvoirs à l’ingestion de l’ « herbe en forme de cœur », une plante mutée par le vibranium .Le souverain du Wakanda, « aussi puissant et rapide qu’un félin », est surnommé The Black Panther
A peine apparu, le personnage de bande dessinée de Black Panther devient immensément populaire, et s’impose rapidement comme un des piliers de la cosmogonie des super héros de bande dessinée à égalité de renommée avec les Avengers, Spider Man et autres X-Men.
Ce succès est d’abord dû à son originalité. En effet, s’il n’est pas à proprement parler le premier personnage noir à être un héros titre de bande dessinée – cet honneur revient à LOBO, un cowboy du milieu des années 60 – il est le premier à être dépeint comme possédant de grandes capacités intellectuelles et non uniquement des qualités physiques hors du commun.
Scientifique de génie, stratège hors pair et diplomate accompli en plus d’être un guerrier redouté, le Black Panther est un homme quasi parfait, à une époque où les personnages Noirs sont trop souvent dépeints comme brutaux, fainéants et peu intelligents.
Ceci est d’autant plus à souligner que les créateurs du personnage d’origine ne sont pas afro-américains.
Figure tutélaire de l’Afro futurisme, bien que sa création précède formellement le mouvement, le personnage de Black Panther a retrouvé le devant de la scène avec la sortie récente du film de Ryan Coogler .
Jean Michel BASQUIAT: énorme succès de l’exposition de ses œuvres à Paris
Le terme de «génie» est de nos jours parfois galvaudé, accommodé à toutes les sauces et apposé sans grand discernement à des talents très ordinaires.
Mais, s’il existe un artiste pour lequel ce qualificatif sied à merveille, c’est bien Jean-Michel BASQUIAT.
Né en 1960 à New York d’un père d’origine haïtienne et d’une mère d’origine portoricaine , le jeune Jean-Michel est très tôt sensibilisé à l’art par sa mère, qui l’emmène notamment voir les œuvres exposées au Musée des Arts Modernes de New York.
La culture qui formera l’esthétique du futur artiste est d’abord classique : la peinture de la Renaissance, Picasso, les grands romanciers occidentaux . Basquiat, il convient de le souligner, fut toute sa vie un lecteur insatiable. Son univers culturel plonge également dans les formes d’art plus populaires telles que le jazz , les bandes dessinées, le hip-hop naissant .
C’est à l’orée des années 80 qu’avec son ami Al Diaz, le jeune Basquiat va commencer à taguer sur les murs de New York des aphorismes et des jeux de mots qu’il signe SAMO (contraction de SAMe Old Shit).
Très tôt repéré par les milieux artistiques underground puis par les galeristes, Basquiat devient rapidement, sous son propre nom, l’un des artistes les plus côtés des années 80.
Un style expressionniste et provocateur
Le style de Basquiat est provocateur, ses tableaux fourmillent de détails, de citations, de couleurs vives, de personnages dont les visages déformés et hurlants évoquent les masques africains, de commentaires caustiques sur le racisme, la violence policière ou le statut de l’homme Noir en Amérique et dans le monde.
Le style de Basquiat est également expressionniste, certains disent « néo-expressionniste », et dénote une parfaite maîtrise des techniques et des codes artistiques.
Mais Jean-Michel Basquiat sombre dans la drogue et en devient de plus en plus dépendant. Il s’isole peu à peu de sa famille et de ses amis. Il meurt d’une overdose en 1988. Il avait 28 ans.
L’influence de Basquiat est cependant énorme . On ne compte plus les plasticiens, graphistes ou cinéastes qui se réclament de lui à un niveau ou à autre . Son aura contribuera , avec d’autres, à relancer le mouvement informel et pluridisciplinaire appelé Afro futurisme
L’exposition qui s’est tenue à Paris du 18 Octobre 2018 au 14 janvier 2019 à la Fondation Louis Vuitton, a permis au grand public de découvrir, sur trois étages, la quasi totalité de l’œuvre de l’artiste.
Le succès a été tel que l’exposition a été prolongée du 14 au 21 janvier 2019.
Une bien belle reconnaissance et une revanche posthume pour celui qui, à ses débuts, fut éjecté par un portier raciste d’une galerie d’art qu’il désirait visiter.
Basquiat, une sorte d’extra-terrestre en effet, hors du temps et des normes comme il y en a quelques uns dans l’histoire du monde et, dans ce cas, cela va bien au-delà d’une question de couleur, blanc ou noir quelle importance.
Dans son cas, ce détonnant mélange caribéen Porto-Rico/Haïti est bien sûr valorisant pour nous, gens de ces îles, mais posons-nous la question les Blancs aiment-ils Mozart parce qu’il est blanc ou parce qu’il fut un compositeur à la fois précoce et génial
Parler ou pas du racisme … Quelle question. Pendant des années nos parents et nos grands-parents ont été silencieux sur l’esclavage, le colonialisme, la question de la couleur qui pourtant est toujours là, et ce n’était mieux. Ne soyons pas esclave de notre histoire comme l’a dit Fanon, mais pour la dépasser il faut la connaître et l’assumer.