L’accord commercial signé au mois de juin – mais pas encore validé – entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur ( Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) pose la question du devenir économique, social, culturel des îles de l’arc caraïbe et en particulier de la Guadeloupe. Quels emplois, quelles productions, quels modes de vie vont survivre dans ces petits pays ? Sont-ils voués définitivement aux tourismes, aux loisirs, aux croisières, aux transferts sociaux, à la dépendance et l’assistanat ? Ce à quoi il faut ajouter le chômage des jeunes et le vieillissement de la population dont les courbes progressent.
Les accords que passent les grands pays continentaux laissent peu de marge à ces territoires qui importent quasiment tout ce qu’ils consomment et utilisent – produits alimentaires, produits de consommation, matériaux etc… – et en contre partie, produisent peu.
Dans les petits pays indépendants du sud de la Caraïbe qui ne sont pas liés à l’Europe le modèle Nord américain s’est progressivement imposé pour la partie la plus prospère de la population, les autres survivent plus ou moins bien.
Dans ce que certains considèrent comme des anachronismes historico-géographiques, bien réels pourtant, territoires d’Europe émiétés dans la mer des Caraïbes à 7500 kilomètres des côtes bretonnes – Guadeloupe et Martinique – quel futur et quel développement faut-il espérer pour préserver ce qui reste d’identité et de modes de vie spécifique.
La mondialisation va-t-elle engloutir ces petits territoires flottant entre l’Amérique et l’Europe ? Les poids lourds de l’économie mondiale comptent les populations par centaine de millions et les marchés en milliards, alors que ces archipels prétendent rester à taille humaine. Les grands Etats et les multinationales organisent et se partagent des marchés, passent des accords dans lesquels » produire local et consommer local » n’est qu’une intention peu suivie d’effet.
Le destin de territoires comme la Guadeloupe n’a rien d’anecdotique ni de marginal dans le monde tel qu’il évolue. La démocratie à l’échelle mondiale, si elle existe, ne devrait pas être la loi du plus grand nombre ni celle de la force. Une démocratie mondiale pourrait/devrait être le dialogue entre majorités et minorités, l’écoute, le droit à la différence et à la singularité, plutôt que l’uniformisation des modes de vie, la concentration croissante des pouvoirs économiques et politiques auxquels nous assistons sous couvert d’universalisme. Ces concentrations dessinent un monde dans lequel non seulement la pensée devient progressivement unique, mais aussi les modes alimentaires, vestimentaires, les choix de sociétés etc.
Un conflit mondial d’un nouveau type : celui de la Terre contre les hommes
L’accord Mercosur /Union Européenne s’il va à son terme signera le choix de la globalisation forcenée contre la production locale. On fera traverser l’Atlantique à des boeufs argentins pour servir des steaks à des alsaciens, tandis que des entreprises européennes iront construire des routes ou des hôpitaux au Brésil. Quel logique à cela à part celle d’un marché tout puissant et dévorant qui ne tient compte ni des contraintes climatiques et qui arme des porte-container toujours plus grand et polluant pour sillonner les océans ?
L’un des points de l’accord commercial porte sur la suppression quasi totale des droits de douane sur la viande de boeuf et la volaille importées d’Amérique du sud avec en contre partie la même réduction des droits de douane pour les produits industriels européens et l’accés des entreprises européennes aux marchés public sud-américains. Comment un éleveur de poulet guadeloupéen qui produit à petite échelle, pourra-t-il lutter contre cette concurrence massive ?
Les multinationales, trouvent leurs comptes dans ce marché globalisé mais pas les moyens et petits producteurs. Pour ouvrir des marchés aux grandes entreprises europénnes on fait traverser l’Atlantique à des millions de tonnes de viandes de boeufs pour servir des steaks argentins et brésilien aux consommateurs français, belges ou allemands. Cette logique du » libre-échange » est à l’opposé du produire local et consommer local qu’impose une approche plus sobre et frugale de la production mondiale, si l’on veut rééllement lutter contre les boulversements climatiques qui se préparent et annonce un » conflit mondial » d’un nouveau type : celui de la Terre contre les hommes.
Des territoires submergés d’importations qui tuent les productions locales
Destructrice du climat cette logique l’est aussi des productions agroalimentaires raisonnées et raisonnables, biologiques c’est à dire sans pesticides, sans quête du rendement et de la rentabilité à tout prix. Les agriculteurs européens s’inquiétent de l’accord avec le Mercosur et les plus lucides en Guadeloupe s’inquiétent aussi. Ils ont de bonnes raisons: à risque pour l’agriculture et l’élevage en Europe cet accord serait dramatique pour des petits territoires comme la Guadeloupe, déjà submergés par des importations de produits alimentaires en tout genre qui ont fait disparaître production locale, surfaces agricoles et emplois.
Ainsi le problème auquel est confronté la Guadeloupe, n’est pas anecdotique. Ce qui se joue sur ce petit territoire est symbolique des enjeux mondiaux qu’on peut résumer ainsi : dans quel type de monde et de société voulons-nous vivre ?
Dans un monde uniformisé ou la consommation, la quantité, la rentabilité maximum règnent toujours et partout où l’argent est le seul credo où manger un court-bouillon de poisson frais à une table guadeloupéenne deviendra une rareté voire un luxe ; ou bien dans un monde (et une Guadeloupe ) où après avoir frôlé la catastrophe, la prise de conscience est venue et où, comme le déclarait récemment le Dr Joseph, fondateur du laboratoire Phytobokaz en Guadeloupe, on déciderait de vivre et de produire autrement, sans pesticides, sans intrants pour sauver ce qui peut encore l’être. La partie n’est pas perdue mais elle est rude.
La mondialisation laisse peu de place à ces petits territoires, est-ce un handicap ou bien une chance ? A l’écart des grands enjeux stratégiques mondiaux, ils ont une carte à jouer s’il décident de prendre leur destin en main et ne plus se laisser glisser sur la pente facile de la déresponsabilisation et de l’assistanat. Pour cela une forte volonté est nécessaire. Question : cette forte volonté existe-t-elle ?