Le deuxième référendum sur l’indépendance ( ou pas ) de la Nouvelle Calédonie organisé le 9 octobre dernier a donné la majorité au « non », avec 53,26 % des suffrages. Les électeurs devaient répondre à la question : » Voulez-vous que la Nouvelle Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »
Victoire du non à l’indépendance donc; toutefois le vote indépendantiste a progressé en obtenant cette fois 46,74% des voix.
Le » oui à l’indépendance » a gagné des points même à Nouméa majoritairement peuplée d’Européens (1). Le recul du » non » est le signe que la campagne radicale et clivante menée par les partis dits » Loyalistes », composé de six partis dont le RN – qui veulent rester français – n’a pas fonctionné autant qu’ils l’espéraient. Des partisans du « non » il y a deux ans ont évolué et changé leur vote, la dynamique, dans le cas d’un troisième tour, tel que prévu par les accords de Matignon, serait donc plutôt du côté des indépendantistes.
La situation en Nouvelle Calédonie est le fruit d’un sombre passé colonial qui a spolié de leur terre et de leur histoire les Kanaks mais n’a pas brisé l’identité et la culture sur lesquelles ils se construisent et reconstruisent. L’histoire Kanak au 21em siècle éclaire crûment ce que l’Europe a longtemps glorifié comme étant des » conquêtes coloniales ».
En 1887 le premier recensement officiel de ce territoire colonisé faisait état de 41 784 Kanaks pour 42519 habitants. Dans les années 1860 les Kanaks représentaient 96% de la population de l’archipel, en 2014 ils sont 39%.
Une double revendication: celle de l’histoire et celle du nombre
Le referendum du 9 octobre porte une double revendication : celle des Kanaks, le peuple autochtone légitime, historique, qui revendique être maître chez lui en considérant qu’une histoire de 3000 ans ne peut pas être effacée par un siècle et demi de colonisation et de peuplement.
L’autre revendication est celle des Caldoches et des Européens installés dans l’archipel depuis le début de la colonisation, ils sont progressivement devenus majoritaires, certaines familles sont là depuis plus d’un siècle et n’imaginent pas vivre autrement ni ailleurs. Quelques uns d’entre eux en appelle à la démocratie, à la loi du nombre, à la majorité qui décide. Mais que vaut la démocratie si elle n’est pas étayée par la justice et l’équité ?
L’enjeu politico-historique qui se déroule en Nouvelle Calédonie résume l’histoire de ces derniers siècles et ce que furent la rencontre et le choc entre l’Occident et ces lointains ailleurs à conquérir. Dans la plupart de ces ailleurs les peuples autochtones ont été balayés par la puissance et l’aveuglement de la machine coloniale, en Amérique du Nord, du Sud, en Australie, dans la Caraïbe etc …
En Nouvelle Calédonie, l’originalité et la force des Kanaks est d’avoir survécu au pire et, au 21em siècle d’être en capacité de revendiquer à la fois leur identité et la gestion des affaires. Le paradoxe kanak est que leur revendication à l’indépendance a émergé à la fin du 20em siècle alors qu’ils devenaient minoritaires dans leur pays.
Pour en arriver là, il y a eu beaucoup de morts, de larmes et de sang.
Le sang a coulé dès le 19em siècle quand les révoltes kanaks contre les spoliations foncières au profit de grands investisseurs, ont été violemment réprimées; au 20em siècle , il y a eu l’affaire d’Ouvea 2 gendarmes et 19 Kanaks tués; puis en 1989 l’assassinat de Jean-Marie Djibaou par un indépendantiste opposé aux accords de Matignon.
Depuis les accords de Matignon le champ de bataille est sur la scène politique. C’est mieux. Mais cela ne résoud en rien l’écart qui s’est creusé durant des décennies entre les Kanaks, premiers calédoniens et les Européens venus s’installer. Ecarts de formation, de revenus, de culture. Dans ce contexte inégalitaire, et cette société calédonienne structurellement composée de dominants et de dominés, l’Etat français est intervenu tard pour réguler/atténuer le clivage et les injustices entre autochtones et colons. Est-ce trop tard aujourd’hui encore?
En repoussant d’une décennie ou plus les perspectives d’indépendance, les accords de Matignon espéraient que le temps allait combler les écarts et les clivages en rééquilibrant la société calédonienne d’un point de vue économique, électoral et politique. Il fallait rattraper le temps perdu, développer la formation, promouvoir les Kanaks a des postes de responsabilité, lisser les clivages.
Ce temps n’a pas suffit, le vote du 9 octobre montre que l’objectif n’est pas atteint. Le clivage reste fort, cette stratégie consensuelle a montré ses limites et les Kanaks revendiquent plus que jamais.
Les peuples anciens et l’homme contemporain
En ce temps soumis aux menaces climatiques, sanitaires, sociales, politiques, la Nouvelle Calédonie et les Kanaks ont pourtant quelque chose à nous dire. Le pourront-ils ? L’état d’un monde en danger, justifierait que l’on écoute la sagesse de ces peuples anciens qui ont pour eux le temps et la durée; à côté d’eux l’homme contemporain consommateur et pressé a des airs d’adolescent turbulent prêt à casser ses jouets.
L’une des caractéristiques de la culture kanak est le rapport à la terre, à la culture et à la production vivrière. La richesse chez les Kanak repose plus sur la densité et la qualité des relations sociales que sur l’argent lui-même. Le jardin vivrier, le respect de la terre et de ses produits sont à la base du mode de vie kanak, même transplanté en ville.
Au nom du progrès et d’une modernité aux contours confus, les Kanaks comme d’autres peuples ont été bâillonnés et leur mode de vie méprisés alors qu’ils portaient et portent encore un message qui devient de plus en plus audible, dans le monde tel qu’il se dessine .
La société kanak pratiquait le développement durable et la culture bio bien avant que ces termes ne s’imposent. Le progrès et la modernité sont un versant de l’expérience humaine, l’autre versant plonge loin ses racines dans les traditions et savoir-faire d’un temps passé et présent à la fois, ces deux versants sont nécessaires à la vie, c’est ce que nous rappellent les Kanaks et ce que la colonisation a voulu effacer, heureusement sans réussir .
Ainsi la Nouvelle Calédonie si elle dépasse ses clivages a quelque chose de nouveau à inventer, qui n’existe pas à l’échelle de son territoire ni ailleurs. Des pistes existent celle notamment d’un Etat indépendant qui pourrait conserver des liens privilégiés avec la France et l’Europe. Roch Wamytan un indépendantiste élu UC-FLNKS ne l’exclut pas.
Dans ce vaste océan Pacifique sous l’oeil du géant chinois, de l’ami australien, de la puissante Amérique le petit pays kanak devra manoeuvrer avec finesse pour gagner son indépendance réelle.
NDLR
(1) L’aire urbaine de Nouméa compte 182 341 habitants – recensement 2019 – sur une population totale du territoire de 284 000 habitants . Les Européens représentent dans cette partie de l’île 43,2% de la population, les Kanaks 23,8%, les 30% restant se partagent entre les Walliens, les métis et ceux qui ne déclarent pas d’appartenance ethnique. Le vote » oui » recueille à Nouméa – province Sud – 29,14% ( contre 25,88% en 2008). Dans les provinces du Nord, majoritairement kanak le vote pour le oui se rapproche ou dépasse les 80%.
Pour ce référendum, les Kanaks étaient inscrits automatiquement sur les listes électorales, pour les non Kanaks des listes électorales spéciales ont été constituées avec des critères de résidence très stricts. Notamment pouvoir justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie au plus tard en 2014 soit depuis 1994 . Le vote des non Kanaks sur l’ensemble du territoire a été de 53,3% pour le non et 46,7% pour le oui.