La Guadeloupe, c’est quoi ? Est-ce la page faits divers de la presse locale, les femmes assassinées, les jeunes gens tués sur la route; les embouteillages aux heures de pointe; les seniors d’Europe qui passent l’hiver au soleil ; les parkings de supermarchés, le chômage et l’illettrisme trop importants ; les fonctionnaires et les 40%; la consommation qui fait oublier le reste … C’est un peu ça et autre chose …
La version caraïbe des ateliers Varan a donné l’opportunité à huit réalisateurs amateurs de filmer leur pays et de rendre compte, chacun à leur manière, d’une partie de la réalité guadeloupéenne. Leur travail nous conduit loin des tendances et des stéréotypes. Guadeloupéens eux-mêmes, ces réalisateurs naissants proposent un regard intime, sincére et parfois émouvant sur ce qu’est encore la Guadeloupe aujourd’hui. Leurs films documentaires ont été présentés au mois de septembre à la Médiathéque de Baie-Mahault et en novembre durant le Mois du doc. C’est à voir, un peu d’espoir dans un monde et un pays en crise. Le thème de Varan Caraïbe 2012 était » Tourments d’amour ». Les films sont visibles en ligne en se connectant à www.varancaraïbe.com.
MANMA KREYOL : Didier Pierre a filmé Mamie et sa famille. Mamie a eu sa première fille à 16 ans. Ensuite elle a eu neuf autres enfants, qu’elle a élevé seule à la force du poignet « car ses mains ne sont ni coupées, ni liées ».
Dix enfants et plusieurs pères, absents. Ces hommes n’apparaissent pas dans le film. Mamie a aujourd’hui 27 ou 28 petits-enfants, elle ne sait plus très bien. C’est une histoire guadeloupéenne, le film est gai. Entre les lignes et les images on perçoit que tout n’a pas été simple, il y a eu des silences, de la souffrance au cours de ces années. mais on n’en parle pas, pudeur créole qui ne retient que ce qu’il est jugé bon de dire.
INTRIGUES ET PASSIONS A LA CITE CHANZY : Abel Bichara a filmé la vie à la cité Chanzy, dans les faubourg de Pointe-à -pitre. Comment passe-t-on le temps dans la cité ? Les enfants jouent au bas des immeubles, circulent dans les coursives. Dans les appartements les télénovelas occupent les écrans et les esprits. Le réalisateur est entré dans l’intimité de foyers o๠des femmes, des mères se retrouvent, l’après-midi, devant la télévision, serrées sur le canapé pour regarder ensemble, rire et commenter ces histoires d’amour télévisées qui n’en finissent pas. Le spectateur rit aussi et puis le rire reste dans la gorge, il s’interroge : » la vie ne serait-elle pas meilleure à la cité Chanzy, sans les télénovelas ? »
MAUVAIS GENRE : Guy Gabon raconte son histoire, celui d’une fille qui porte un prénom de garçon. Cela arrive en Guadeloupe, l’inverse aussi. Elle a porté ce prénom comme un fardeau et se demande pourquoi ses parents ont fait ce choix. Dialogue émouvant avec le père qui ne comprend pas: » Mais non, on t’a aimé autant que les autres, on n’aurait pas préféré un garçon . »
Ce père n’avait pas tout prévu: il est désagréable pour une fille d’être convoquée au service militaire et devoir justifier : » Mais non je ne suis pas un garçon ! ».
M ET Mme COURANT D’AIR : Cédric Michaux a filmé Rosette et Emile un couple précieux, ils sont âgés de 81 et 91 ans et la vie leur appartient toujours. Courant d’air, car ils ne tiennent pas en place, actifs dans leur maison, dans leur jardin, dans leur vie. En 15 minutes, le film montre quelques parcelles de leur histoire, de l’amour qui les lie, du go ût de la vie qui les habite, une vie simple et belle à la fois. Si tous les tourments d’amour pouvaient se vivre ainsi.
VIVRE AUTREMENT : Anna est venue de Pologne en Guadeloupe, elle a rencontré Laurent et elle n’est plus repartie. C’est une histoire d’amour qu’a filmé Frédéric Gircour, une histoire d’amour et une aventure naissantes. En plus d’un couple Anna et Laurent veulent fonder en Guadeloupe un village communautaire. Un lieu de partage, de retour à la terre, d’énergie et de consommation maîtrisées. Ceux qui y vivraient, partageraient une vision du monde et les téléphones portables. Utopie, aventure. En 2012, la Guadeloupe est aussi le théâtre de ces rêves.
L’AME SOEUR : Introduire un « beau-frère » dans le cercle familial, dans le trio complice de frère et soeurs, c’est le sujet qu’a traité Corinne Aiguadel-Jaleme. Qui décide ? Quelles sont les règles dans une famille guadeloupéenne très soudées ? La famille traditionnelle explose, nous dit-on, ce film montre que des liens sont encore solides. L’âme soeur doit se faire accepter.
DANSE LANMOU : Ah le zouk! Gloria Bonheur a filmé un couple qu’un air de zouk, sur une piste de danse, a lié. Puis le couple a fondé une famille. Le zouk, musique emblématique de la Guadeloupe, est-il un prélude à l’amour et à une longue vie de couple, cela ne marche pas à tout les coups, mais ça arrive. La preuve!
LA CHAMBRE DE SARAH : Sarah est une jeune femme active, gaie qui vit en Guadeloupe. Rien ne l’entrave et pourtant elle souffre d’un handicap physique. Pierre Dahomay l’a filmé dans sa vie et dans son travail. Lequel fut le plus gêné des deux lors de leur première rencontre …
Ateliers Varan : deux principes d’enseignement,
la pratique et la sincérité
Ces huit films documentaires ont été réalisés en Guadeloupe au mois de juillet et ao ût 2012. Deux mois pour » sortir » huit documentaires d’une quinzaine de minutes, les stagiaires ont été soumis à un rythme de travail assez intense.
Les ateliers sont fondés sur la pratique poussée à l’extrème: c’est en réalisant leurs propres films que les stagiaires s’initient à l’écriture, à la prise de vue et à la réalisation.
Les Ateliers Varan sont nés à Paris au début des années 1980 d’une demande de l’Etat africain du Mozambique à Jean Rouch, cinéaste ethnologue français et Jacques d’Arthus, de réaliser un documentaire sur la réalité d’un pays en mutation. Au lieu de réaliser eux-mêmes ce documentaire les deux cinéastes ont préféré former de jeunes mozambicains à la réalisation, pour qu’ils soient en mesure de produire eux-mêmes une vision de leur pays. Le principe s’est étendu ensuite à d’autres pays.
2012 est la deuxième année des ateliers Varan en Guadeloupe. En 2011, le thème a porté sur l’identité guadeloupéenne et l’habitat. Le travail collectif des stagiaires a produit un film sur la case et la manière de l’habiter.
Le principe de Varan Caraïbe outre la pratique, est la sincérité. Le but est de produire des films à l’opposé du déballage de la téléréalité. La sincérité, la poésie, le furtif de la vie, l’empathie, la curiosité et le plaisir sont les ingrédients de ces documentaires.
POUR EN SAVOIR PLUS : www.varancaraïbe.com