La vie continue en Haïti en ce mois de juin 2010 alors que la planéte est mobilisée par la grande messe du foot-ball en Afrique du sud. Les Haïtiens n’ont pas baissé les bras. 8000 à 12000 paysans haïtiens se sont mobilisés début juin en manifestant contre la pression de Monsanto, une multinationale américaine qui produit des semences hybrides, et la faiblesse du gouvernent haïtien qui laisse entrer dans le pays des semences issues de la biotechnologie. Cette manifestation cinq mois après le tremblement de terre meurtrier est presque passé inaperçue. » L’introduction dans le pays de ce maïs hybride est une menace contre l’agriculture paysanne » estime le MPP (Mouvman peyizan papaye) Les Terriens et les media ayant la tête en Afrique du sud, un événement en Haïti est passé presque inaperçu ce mois-ci. 8 à 12 000 paysans haïtiens ont manifesté à Hinche, une ville du centre du pays, pour protester contre la distribution de semences données à Haïti par la multinationale américaine Monsanto: 475 tonnes de maïs offerts aux paysans haïtiens dans le cadre d’un programme dit Project Winner soutenu par l’agence de développement étatsunienne USAID. Un tel don pour aider les agriculteurs haïtiens parait généreux, mais lorsqu’il s’agit d’un don de la multinationale qui fabriqua jadis l’agent orange un défoliant à base de dioxine utilisé massivement durant la guerre du Viet-Nam et dont les pratiques, plus près de nous ont organisé la dépendance et ruiné des milliers de cultivateurs de coton en Inde, il faut y regarder à deux fois.
C’est ce qu’on fait les Haïtiens du MPP ( Mouvman peyizan papay ): «Le gouvernement haïtien utilise le séisme pour vendre le pays aux multinationales», dénonce Jean-Baptiste Chavannes, coordinateur du MPP. Pour le MPP les dons de Monsanto constituent «une attaque contre l’agriculture paysanne, contre les fermiers, contre la biodiversité, contre les semences locales, contre ce qui reste de pratique et de culture traditionnelle en Haïti. »
On le voit, cinq mois après le tremblement de terre, la vie continue à Haïti, la population ne baisse pas les bras. Après le drame, les enjeux de la reconstruction du pays sont là et nous aurions tort de nous en désintéresser. La reconstruction d’Haïti nous concerne de même que certains choix sur le point d’être faits.
Les semences de maïs gracieusement donné par la multinationale américaine sont des hybrides, beaucoup plus sophistiquées et productrices que celles utilisées traditionnellement par les paysans haïtiens. A priori, une meilleure productivité pourrait permettre de mieux couvrir les besoins alimentaires du pays. Mais l’utilisation de ces semences pose plusieurs questions. Tout d’abord, seule la première semence est fertile. Les paysans qui l’utiliseront devront chaque nouvelle année acheter de nouvelles semences à Monsanto. Le risque pour les paysans et l’intérêt pour la multinationale est le principe du marché captif, une dépendance créée.
Par ailleurs, des spécialistes expliquent que si ces semences sont plus productives, elles sont aussi plus fragiles. Elles ont besoin d’importantes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides spécifiques. L’utilisation de ces semences va de pair avec ce que la confédération paysanne en France appelle un « paquet technologique », paquet fourni évidemment par Monsanto. Ce qui est un don la première année risque à terme de devenir une dépendance co ûteuse et inadaptée à la fois au niveau de revenu du pays et à sa culture en faisant disparaître les semences locales. S’ils entrent dans cette logique les paysans sont contraints ensuite d’acheter une technologie qu’ils ne maîtrisent pas.
Les tonnes de maïs que Monsanto a commencé à distribuer à Haïti ne représentent qu’une faible part des besoins en semences de l’île. Est-il opportun d’introduire dans l’un des pays les plus pauvres de la planéte les principes d’une économie et d’une agriculture sophistiquées et mondialisées sur lesquels les paysans haïtiens n’ont aucun poids. La réponse est évidemment non .
Traditionnellement l’agriculture haïtienne est en mesure de produire et reproduire à partir de semences locales. Jusqu’aux années 1980 le pays était autosuffisant sur le plan alimentaire à hauteur de 80%, fin 2009 le pays ne l’était plus qu’à hauteur de 40% et ce n’est pas par hasard. Dans les années 1980 et 1990 sous l’administration Reagan et Clinton les produits agricoles américains ont envahi le marché haïtien: baisse des cultures vivrières au profit de cultures d’exportation puis réduction des barrières douanières, le résultat a été catastrophique pour le pays et ses habitants l’une des conséquence étant le laminage de l’agriculture traditionnelle . Cela a abouti aux émeutes de la faim en 2008 et a une prise de conscience des observateurs les plus lucides de l’aide internationale.
« Quand la crise touche un pays à revenus bas qui n’a ni les moyens financiers ni la capacité administrative de mise en place de programmes de sécurité sociale d’amplitude suffisante, c’est le retour à l’agriculture de subsistance qui offre la seule option possible » estimait il y a quelques mois, Alain de Janvry, professeur à l’Université de Berkeley en Californie, dans une tribune au journal Le Monde.
Le 4 juin dernier à Haïti, comme point départ de leur manifestation, les paysans ont semé, sur une ferme expérimentale du Mpp, des grains de maïs créole pour montrer leur détermination à consommer des produits créoles à partir de semences autochtones. Ces semences sont moins productives mais plus robustes, moins co ûteuse, mieux adapté à l’économie d’un petit pays en proie a un chômage important, une économique fragile, dépendante.
Les paysans du Mpp sont dans une logique opposée celle de Monsanto: celle la souveraineté alimentaire de leur pays qui va de pair avec la sécurité alimentaire, en intégrant l’agriculture comme facteur de développement, de création d’emplois et de structuration de l’économie. Dans ce contexte de crise, la partie n’est pas gagnée. Les bénéfices de la multinationale Monsanto ont baissé de 19% en un an ( une perte de 19 millions de dollars par rapport à 2009). Les herbicides se vendent moins. Dans sa quête de nouveaux marchés la firme n’a-t-elle pas jeté son dévolu sur Haïti pour redorer son image et renflouer ses caisses ?
On ne peut pas terminer sans ajouter cette précision. L’un des intermédiaires haïtiens de Monsanto et directeur du Projet Winner en Haïti est Jean-Robert Estimé qui fut durant plusieurs années, ministre des Affaires étrangères de Jean-Claude Duvalier. Les paysans haïtiens du MPP ont de bonnes raisons d’être excessivement veyatifs et nous, avons quelques raisons de ne pas les oublier, leur combat est le notre.