La décision du tribunal administratif de Basse-Terre de suspendre l’épandage aérien de pesticides qu’autorisait par dérogation, contre tout principe de précaution, un arrêté préfectoral indique qu’il est possible à la société civile de s’exprimer et d’être entendue face aux pouvoirs économiques et politiques. Bon signe!
Une république bananière se caractérise par le non respect du droit. Les puissants ont tous pouvoirs et les faibles se taisent. En Guadeloupe nous ne vivons pas (plus) dans une république bananière. Des magistrats, sur plainte d’associations issues de la société civile, ont entendu les arguments des associations contre ceux de l’Etat et des planteurs.
Deux commentaires lus sur le web après la décision du tribunal le 5 juillet dernier donnent le ton chez les défenseurs de la nature, de la santé publique et de l’environnement.
– Enthousiasme de Jean-François Abillon pour l’association Vigilance citoyenne :
« Historique ! Contre le lobbyisme effréné des bananiers, contre le gouvernement, contre le mutisme de nos chers élus, contre le pouvoir de l’argent, nous avons gagné ! La décision du TA de Basse-Terre du 05 juillet 2013 est historique dans le sens o๠il s’agit d’une décision collégiale prise par les trois président(e)s du TA. Sauf éléments nouveaux, je ne vois pas comment le prochain jugement sur le fond pourrait être différent. Cependant, restons vigilants et attendons l’avis de l’ANSES sur le banole qui devrait être bientôt rendu. »
– Prudence et circonspection de Beatrice Ibéné pour l’association Asfa. Elle se réjouit mais ajoute: « Nous ne sommes pas à l’abri d’un appel du ministère de l’agriculture tant pour le référé (directement au conseil d’Etat) que de l’éventuelle annulation ( à la cour d’appel de Bordeaux).C’est ce qui a été fait l’an dernier, avec l’argent du contribuable (un avocat au conseil d Etat – cours de cassation c’est 10 à 15 000 euros). Deux instructions sont toujours en cours. »
Dans le camp adverse, des planteurs ont mis en cause le travail des juges et le chantage à l’emploi, déjà utilisé, est réapparu. Le syndicat de la magistrature a défendu le sérieux et la rigueur des magistrats, précisant – est-ce nécessaire ? – que » les juges ne sont pas à la solde du pouvoir politique » ; tandis J-M Normentin pour la CGTG a rappelé que les planteurs perçoivent beaucoup d’argent public pour des emplois qu’ils ne créent plus. Bref le débat est ouvert et l’affaire n’est pas terminée.
Depuis plus d’un an, un bras de fer se déroule entre le groupement des bananiers de la Guadeloupe, soutenus par l’Etat et plusieurs associations de protection et de défense de la santé publique et de l’environnement ( Asfa, Amazonia, Envie santé) à propos de l’utilisation des pesticides.
Le Tribunal a suivi l’argumentaire des associations. Exemple. L’épandage aérien de pesticides était autorisé par dérogation au delà de 50 mètres des zones habitées. Est-ce pensable ? Avec le régime des vents, la volatilité des produits utilisés, comment imaginer que 50 mètres est une distance de sécurité suffisante pour que les riverains ne trouvent pas de traces de produits chimiques sur leur arbustes, leurs potagers, leurs maisons, leurs voitures ou sur eux-mêmes s’ils se trouvent là .
En ce qui concerne le contrôle de la qualité de l’air dans les zones concernées, l »arrêté préfectoral mis en cause stipule que » l’agence régionale de santé procéde à des analyses, qu’un point zéro a été établi pour servir de références aux prochaines analyses. » C’est un peu court comme argumentation », accuse dans son mémoire l’association Envie-Santé: » La qualité des contrôles dépend des lieux et des moments o๠sont pratiqués les prélévements, de la proximité des habitations, du régime des vents ce jour là . » Des prélévements effectués en dehors des opérations d’épandage ne sont d’aucune utilité, c’est pourtant ce qui semble avoir été fait.
La justice a suivi l’argumentaire solide et étayé des associations, mais que sera l’après-épandage aérien en Guadeloupe ? Puisque on peut tout de même espérer que la ronde juridico -administrative des dérogations et des suspensions finira bien par s’arrêter.
Mettre un terme à l’épandage aérien n’est pas une fin en soi. Cela devrait être un commencement. Menacer, faire du chantage à l’emploi pour continuer à polluer l’eau et les sols est le signe d’une grande irresponsabilité. Plus responsable serait de la part des planteurs comme des décideurs économiques et politiques de prendre en compte la réalité et les erreurs du passé et préparer la transition.
Il y a en Guadeloupe des planteurs de banane de bonne foi. Qui ont été, pour certains d’entre eux, » embarqués » dans une forme d’agriculture intensive dont ils voient aujourd’hui le co ût et les effets pervers. Le moindre n’étant pas la facture à payer pour se fournir en produits phytosanitaires et la dépendance dans laquelle, au final, ces agriculteurs se trouvent. L’urgence est donc de songer et de préparer d’autres pratiques agricoles, de reconvertir des terres à une production destinée au marché local, d’aiguiller autrement les millions de l’argent public, actuellement monopolisé par la banane d’abord, puis la canne, bref de préparer l’avenir.
Et de quel avenir s’agit-il ? Celui d’une Guadeloupe à l’économie et à l’agriculture diversifiées, d’un territoire mieux équilibré en somme, s’écartant d’un passé fait de monocultures et de marchés captifs; ou bien d’une Guadeloupe bétonnée, à l’agriculture en péril, d’un territoire qui perdrait son âme.
Plusieurs associations, porte-parole de la société civile en Guadeloupe, ont choisi. Ce pays mérite mieux que de perdre 1000 hectares de terre agricoles par an pour finir dans trente ans – il reste 35 000 hectares de terres cultivées en Guadeloupe -en » paradis » pour vacanciers ou parc d’attraction pour tous les stressés de la terre.
Ces associations ont choisi et veulent préserver un art de vivre guadeloupéen, des paysages, une faune, une flore; mais les politiques et les décideurs en place, eux, ont-ils choisi ? Et quel est leur choix?